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20/12/2000 | LUXEMBOURG | N°12203

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 décembre 2000, 12203


Numéro 12203 du rôle Inscrit le 4 août 2000 Audience publique du 20 décembre 2000 Recours formé par Monsieur … GEGIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête, inscrite sous le numéro 12203 du rôle, déposée le 4 août 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … GEG

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Numéro 12203 du rôle Inscrit le 4 août 2000 Audience publique du 20 décembre 2000 Recours formé par Monsieur … GEGIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête, inscrite sous le numéro 12203 du rôle, déposée le 4 août 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … GEGIC, né le … à …(Serbie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 2 juin 2000 et d’une décision confirmative du 17 juillet 2000, les deux portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 août 2000;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 21 novembre 2000.

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Le 5 mai 1999, Monsieur … GEGIC, né le … à … (Serbie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur GEGIC fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur GEGIC fut entendu en date du 5 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande.

Le ministre de la Justice informa Monsieur GEGIC, par lettre du 2 juin 2000, notifiée en date du 15 juin 2000, que sa demande avait été rejetée aux motifs suivants : « (…) Il résulte de vos déclarations que vous êtes arrivé au Luxembourg le 4 mai 1999 vers minuit.

Vous exposez que vous n'avez pas fait votre service militaire à cause d'une épaule fracturée. Vous auriez été convoqué pour faire la réserve en janvier 1999. Vous auriez refusé cette convocation. Votre père vous a informé par téléphone qu'une seconde convocation vous aurait été envoyée.

Vous expliquez que vous ne vouliez pas aller au front. Vous avez peur que la police militaire vous mette en prison dès que vous passez la frontière.

Vous indiquez que vous étiez membre du SDA. La police vous aurait régulièrement arrêté à cause de votre appartenance au SDA. Vous auriez été frappé à trois reprises. On vous aurait giflé et frappé avec des bâtons. La police aurait voulu vous obliger à sortir du SDA et à adhérer au SPS.

Vous n'avez pas l'intention de rentrer dans votre pays parce que la police vous arrêterait tout de suite.

Force est cependant de constater que la crainte d'une condamnation pénale pour le fait de ne pas avoir accompli ses obligations militaires n'est pas suffisante pour établir une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

De même l'insoumission ne constitue pas, à elle seule, un motif valable pour obtenir le statut de réfugié.

En ce qui concerne les problèmes que vous avez eus avec la police serbe, ces faits ne sont pas d'une telle gravité - même à les supposer établis - qu'ils justifieraient une crainte de persécution justifiée au sens de la Convention de Genève.

Par conséquent vous n'alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la' religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social n'est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile ; 2) d'un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

Le recours gracieux introduit par le mandataire de Monsieur GEGIC en date du 12 juillet 2000 à l’égard de la décision ministérielle précitée fut rencontré par une décision confirmative du 17 juillet 2000.

2 A l’encontre de ces deux décisions ministérielles de rejet des 2 juin et 17 juillet 2000, Monsieur GEGIC a fait introduire un recours en réformation par requête déposée le 4 août 2000.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, dans sa teneur applicable au moment de la prise des décisions déférées, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur reproche au ministre une appréciation erronée des faits en retenant que les éléments par lui soumis ne seraient pas de nature à fonder dans son chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution. Il soutient que la désertion devrait être admise comme pouvant fonder une crainte légitime de persécution dès lors que l’attitude de la personne visée est dictée par des raisons politiques et de conscience, voire lorsque son comportement est perçu par les autorités comme un acte d’opposition contre le pouvoir en place et donc comme l’expression d’une opinion politique. Il expose avoir refusé d’être enrôlé dans les forces militaires yougoslaves alors qu’il ne pouvait accepter, en tant que musulman originaire du Monténégro, de faire partie de cette armée qui était responsable de nombreuses exactions condamnées par la communauté internationale et de devenir « l’outil répressif » au service d’une autorité poursuivant une politique d’épuration ethnique sur base de considérations xénophobes. Il affirme qu’en cas de retour dans son pays d’origine, son insoumission risquerait d’être sanctionnée moyennant une condamnation pénale militaire de la part des autorités militaires serbes d’une sévérité disproportionnée l’exposant à un traitement discriminatoire en raison non seulement de son attitude, mais également de sa confession musulmane, de manière à constituer un acte de répression à caractère politique intolérable au sens de la Convention de Genève.

Le demandeur se fonde en second lieu sur les persécutions dont il aurait fait l’objet en raison de son engagement au sein du parti politique d’opposition SDA, la police serbe l’ayant arrêté régulièrement pour exercer sur lui des pressions, en le retenant au poste de police et « au besoin en le battant à coups de bâtons », afin de l’amener à sortir de ce parti.

Sur base des faits ainsi soumis, le demandeur estime avoir subi des actes de persécution à caractère politique au sens de la Convention de Genève et risquer de se voir exposé à des exactions similaires en cas de retour dans son pays d’origine, de sorte à devoir bénéficier de la protection prévue par la Convention de Genève. Il renie encore, en renvoyant à une décision étrangère en ce sens, toute possibilité de fuite interne dans son pays d’origine voire au Kosovo, étant donné qu’il ne maîtrise pas la langue albanaise et que l’administration civile en place serait incapable de garantir une sécurité suffisante à des personnes n’appartenant pas à la communauté albanaise.

Le délégué du Gouvernement soutient que ni l’insoumission, ni la seule situation générale dans le pays d’origine, à laquelle le demandeur se référerait, ne constitueraient à elles seules des motifs valables de reconnaissance du statut de réfugié politique. Il estime encore que le demandeur ne se prévaudrait, concernant son engagement politique, en substance que d’une simple qualité de membre, insuffisante pour valoir comme motif suffisant pour l’octroi du statut de réfugié politique. Il qualifie l’affirmation du demandeur quant à l’impossibilité d’une fuite interne d’ « argumentation .. incompréhensible alors que le ministère de la Justice n’a jamais rien affirmé de tel ».

3 Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n° 12179C du rôle, non encore publié).

Concernant le motif de l’insoumission invoqué par le demandeur, force est de constater que l’insoumission ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A de la Convention de Genève.

En effet, au-delà du fait que le demandeur reste en défaut d’établir à suffisance de droit avoir déserté l’armée fédérale yougoslave pour des raisons de conscience valables susceptibles de justifier, en application de la Convention de Genève, la reconnaissance du statut de réfugié politique, il reste encore en défaut d’établir qu’il aurait risqué de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables et que la condamnation qu’il risquerait d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève.

Concernant le moyen du demandeur tenant aux pressions exercées sur lui par la police serbe en raison de son appartenance au parti d’opposition SDA, ces faits, même à les supposer établis, ne sont pas d’une nature suffisamment grave pour justifier, à l’heure actuelle, une crainte raisonnée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il résulte des développements qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé au demandeur la reconnaissance du statut de réfugié politique, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

4 PAR CES MOTIFS Le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 20 décembre 2000 par:

Mme LENERT, premier juge, Mme LAMESCH, juge, M. SCHROEDER, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

SCHMIT LENERT 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12203
Date de la décision : 20/12/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-12-20;12203 ?

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