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18/12/2000 | LUXEMBOURG | N°12310

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 18 décembre 2000, 12310


N° 12310 du rôle Inscrit le 7 septembre 2000 Audience publique du 18 décembre 2000

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Recours formé par Monsieur … TURKOVIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12310 et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 septembre 2000 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … TURKOVIC, né le

…à …(Serbie/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la ...

N° 12310 du rôle Inscrit le 7 septembre 2000 Audience publique du 18 décembre 2000

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Recours formé par Monsieur … TURKOVIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12310 et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 septembre 2000 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … TURKOVIC, né le …à …(Serbie/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 31 mai 2000, notifiée le 27 juin 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 4 août 2000, notifiée le 25 août 2000;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 septembre 2000;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 24 octobre 2000 au nom du demandeur;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 21 juin 1999, Monsieur … TURKOVIC, né le … à …(Serbie/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé “ la Convention de Genève ”.

1 Monsieur TURKOVIC fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur TURKOVIC fut en outre entendu les 21 juin 1999 et 3 janvier 2000 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 31 mai 2000, notifiée le 27 juin 2000, le ministre de la Justice informa Monsieur TURKOVIC de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: “ (…)Vous avez exposé que vous avez quitté votre pays d’origine en avril, au moment où il y avait la mobilisation générale. Comme à l’époque vous n’aviez pas encore fait votre service militaire, vous aviez peur d’être appelé sous les drapeaux. Vous avez préféré fuir, car tous ceux qui ont reçu une convocation pour l’armée ont été envoyés à la guerre au Kosovo.

Il résulte de vos déclarations faites lors de l’audition complémentaire en date du 3 janvier 2000, qu’en fait vous n’avez pas été convoqué pour le service militaire et que d’après vos renseignements, vous n’êtes même pas recherché par la police militaire. La seule chose que vous craignez maintenant, c’est d’être convoqué à présent pour faire votre service militaire.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. En effet, d’après les renseignements dont je dispose, l’accomplissement du service militaire dans l’armée régulière yougoslave n’imposerait actuellement pas la participation à des actions militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ”.

Le 27 juillet 2000, Monsieur TURKOVIC introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 31 mai 2000.

Par décision du 4 août 2000, notifiée le 25 août 2000, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 7 septembre 2000, Monsieur TURKOVIC a fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions précitées du ministre de la Justice des 31 mai et 4 août 2000.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

2 Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, le demandeur fait exposer qu’il est originaire de Novi Pazar et de religion musulmane, qu’il aurait quitté son pays en raison du fait qu’il a refusé d’être enrôlé dans les forces militaires yougoslaves, de sorte qu’il risquerait d’être condamné à une peine manifestement disproportionnée par rapport à la gravité de l’infraction commise, à savoir une peine de prison pouvant aller jusqu’à 20 ans.

Il conclut à la réformation des décisions ministérielles pour violation de la loi et pour erreur manifeste d’appréciation des faits.

Il reproche au ministre de la Justice de ne pas avoir pris en considération la persécution dont il aurait été victime en raison de son comportement pouvant être interprété comme l’expression d’une opinion politique, ainsi que le risque de persécution en raison de son insoumission. Sur ce, il estime qu’il ferait valoir des craintes justifiées de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur TURKOVIC et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme “ réfugié ” s’applique à toute personne qui “ craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ”.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur TURKOVIC lors de ses deux auditions en date des 21 juin 1999 et 3 janvier 2000, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de 3 persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève. En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur TURKOVIC risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de sa religion musulmane, lui ont été infligés ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève.

Par ailleurs, le demandeur, lors de son interrogatoire du 3 janvier 2000, a déclaré que comme il avait été déclaré apte lors d’un contrôle médical en 1998 à effectuer le service militaire, il avait peur d’y être convoqué et ce serait pour cette raison qu’il aurait pris la fuite. Il a encore affirmé que par la suite ses parents n’auraient reçu aucune convocation qui lui aurait été adressée et que la police ne l’aurait pas recherché. Force est dès lors de constater que la peur exprimée par le demandeur qu’une condamnation pénale soit prononcée à son encontre du fait de son insoumission est dès lors hypothétique, étant donné qu’il n’est pas un insoumis et que par ailleurs, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie, il n’établit pas qu’il risque d’être persécuté pour une des raisons énumérées à la Convention de Genève.

Enfin, il ne ressort pas des éléments du dossier que Monsieur TURKOVIC risque de subir des traitements discriminatoires en raison de sa religion musulmane ou que de tels traitements lui ont été infligés dans le passé. Au contraire, il ressort des prédits rapports d’audition que Monsieur TURKOVIC a déclaré qu’il avait peur de la police et des militaires à cause de sa “ désertion ”, mais que cette peur ne serait pas liée à ses opinions politiques ou religieuses, mais qu’il “ y a beaucoup de gens qui ont fuis la Serbie durant la guerre car ils avaient peur. Ce n’a rien avoir du fait d’être musulman, ou monténégrin ou serbe ”.

Abstraction faite de ce que le tribunal dispose de tous les éléments nécessaires afin de statuer au fond dans la présente affaire, il y a lieu de déclarer irrecevable la demande tendant à l’institution d’une expertise par nomination d’une organisation non-gouvernementale ayant pour objet d’examiner la situation générale du pays d’origine du demandeur, notamment quant aux traitements réservés aux insoumis par les autorités yougoslaves, étant donné que cette demande a été formulée oralement lors des plaidoiries, alors que la procédure devant les juridictions administratives est essentiellement écrite.

Le recours est donc à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, 4 le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en la forme;

déclare irrecevable la demande tendant à l’institution d’une mesure d’expertise ;

au fond déclare le recours non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 18 décembre 2000, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12310
Date de la décision : 18/12/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-12-18;12310 ?

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