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18/12/2000 | LUXEMBOURG | N°12300

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 18 décembre 2000, 12300


N° 12300 du rôle Inscrit le 1er septembre 2000 Audience publique du 18 décembre 2000

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Recours formé par Monsieur … KOZAR et son épouse, Madame …, contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12300 et déposée au greffe du tribunal administratif le 1er septembre 2000, par Maître Jean-Georges GREMLING, avocat à la Cour, assisté de Maître Monique CLEMENT, avocat, tous les deux inscrits au table

au de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … KOZAR, né le … à … (Yougoslavie)...

N° 12300 du rôle Inscrit le 1er septembre 2000 Audience publique du 18 décembre 2000

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Recours formé par Monsieur … KOZAR et son épouse, Madame …, contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12300 et déposée au greffe du tribunal administratif le 1er septembre 2000, par Maître Jean-Georges GREMLING, avocat à la Cour, assisté de Maître Monique CLEMENT, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … KOZAR, né le … à … (Yougoslavie), boulanger, et de son épouse, Madame …, née le … à …(Yougoslavie), sans état particulier, tous les deux de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 5 juillet 2000, notifiée le 4 août 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique;

Vu la lettre du 1er septembre 2000 de Maître Monique CLEMENT déposée le même jour au greffe du tribunal administratif, par laquelle elle informe le tribunal de ce que ses mandants ont été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 septembre 2000;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 19 octobre 2000 au nom des demandeurs;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Monique CLEMENT, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 7 juillet 1998, Monsieur … KOZAR, né le … à …(Yougoslavie), boulanger, et son épouse, Madame …, née le … à …(Yougoslavie), sans état particulier, tous les deux de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, introduisirent oralement 1 auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé “ la Convention de Genève ”.

Les époux KOZAR-… furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur KOZAR fut en outre entendu les 15 juin et 7 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile. Son épouse fut entendue séparément le 15 juin 1999.

Par décision du 5 juillet 2000, notifiée le 4 août 2000, le ministre de la Justice informa les époux KOZAR-… de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: “ Il résulte de vos déclarations que vous avez transité à travers la Hongrie, la Slovaquie, la République tchèque et l’Allemagne pour arriver au Luxembourg le 7 juillet 1998 vers 6.00 heures.

Monsieur, vous exposez avoir été déclaré officiellement à Berane au Monténégro, et d’avoir habité à Djakovica au Kosovo, sans y être officiellement déclaré.

Vous expliquez avoir été membre de l’organisation de jeunesse du SDA depuis 1994.

Vous n’aviez pas de problèmes à cause de votre adhésion à cette organisation du parti SDA.

Vous invoquez que votre père aurait eu des problèmes à cause de son adhésion au SDA.

Vous indiquez avoir fait votre service militaire en 1995/96. Vous auriez été appelé à faire la réserve militaire un mois après la fin de votre service militaire. En juin ou juillet 1996, le Tribunal militaire vous aurait condamné à payer une amende de 700 DM.

Le 23 avril 1999 vous auriez à nouveau reçu une convocation pour la réserve.

Vous déclarez avoir peur d’être condamné à une peine d’emprisonnement à cause de votre refus de faire la guerre dans l’armée serbe. Vous ignorez quelle pourrait être la peine exacte.

Vous relatez avoir été maltraité par la police ensemble avec votre oncle le 30 décembre 1996.

Madame, vous confirmez les déclarations de votre mari et vous n’invoquez pas d’éléments de persécution personnelle.

Force est cependant de constater que la crainte d’une condamnation pénale pour le fait de ne pas avoir accompli ses obligations militaires n’est pas suffisante pour établir une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

2 De même l’insoumission ne constitue pas, à elle seule, un motif valable pour obtenir le statut de réfugié.

En outre, il ressort de vos déclarations que vous avez un sentiment général d’insécurité en raison de votre religion musulmane. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

L’armée fédérale yougoslave et les forces de police dépendant des autorités serbes, à l’origine des répressions et exactions commises au Kosovo, ont quitté ce territoire. Une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée au Kosovo et une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place.

Par ailleurs des centaines de milliers de personnes, qui avaient quitté le Kosovo pour se réfugier en Albanie et dans l’Ancienne République yougoslave de Macédoine, ont réintégré leurs foyers après l’entrée des forces internationales sur le territoire.

Dans ces circonstances vous ne pouvez pas faire état d’un risque actuel de persécution pour des motifs tenant à votre race, à vos opinions politiques, à votre religion, à votre nationalité ou à votre appartenance à un groupe social, que vous courriez si vous deviez retourner dans votre territoire d’origine.

Par conséquent vous n’alléguez tous les deux aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ”.

Par requête déposée en date du 1er septembre 2000, les époux KOZAR-… ont fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision précitée du ministre de la Justice du 5 juillet 2000.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle entreprise.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, les demandeurs font exposer qu’ils sont musulmans, qu’ils sont nés à Bérane au Monténégro, mais que depuis 1995, ils habitent à Djakovic au Kosovo, que le père de Monsieur KOZAR aurait été incarcéré pour avoir refusé de faire la réserve militaire lors de la guerre de Croatie, que Monsieur KOZAR aurait fait son service militaire en 1995/1996, qu’en avril 1996, il aurait été convoqué pour faire la réserve militaire, qu’il aurait refusé de donner suite à cet appel, raison pour laquelle il aurait été condamné en juin/juillet 1996, à une amende 3 de 700 DEM, que le 23 avril 1999, il aurait reçu une nouvelle convocation pour la réserve militaire et qu’il aurait peur de faire l’objet d’une condamnation pénale par le tribunal militaire en raison de son insoumission. Il fait encore exposer que depuis 1994, il aurait été membre du “ SDA ”, qu’il n’aurait jamais rencontré de problèmes à cause de ses opinions et activités politiques, mais que son père aurait été maltraité à cause de son adhésion au prédit parti. Ils ajoutent qu’ils ont peur des Serbes et des Albanais, qu’en décembre 1996, Monsieur KOZAR et son oncle auraient fait l’objet d’un contrôle de police, lors duquel Monsieur KOZAR aurait reçu un coup de matraque dans les jambes et qu’il aurait reçu des gifles.

Sur ce, ils estiment qu’ils feraient valoir des craintes justifiées de persécution en raison de leurs opinions politiques et de leur religion musulmane, respectivement des activités politiques de leur proches parents, justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des époux KOZAR-… et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme “ réfugié ” s’applique à toute personne qui “ craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ”.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux KOZAR-… lors de leurs auditions respectives en date des 15 juin et 7 juillet 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les trois comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Le tribunal est amené à retenir, sur base des éléments qui se dégagent du dossier administratif, que si les demandeurs sont nés au Monténégro, ils s’étaient établis au Kosovo, de 4 sorte que la situation des consorts KOZAR-… en cas de retour dans leur pays d’origine doit prioritairement être examinée par rapport à la situation existant au Kosovo et non celle qui existe au Monténégro, cette dernière n’intervenant qu’indirectement respectivement dans la mesure où elle est de nature à influer sur celle du Kosovo ou, le cas échéant, dans le cadre de l’examen d’une possibilité de fuite interne.

Il convient encore de relever qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité de la décision querellée à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance des demandeurs d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de leur départ, voire antérieurement. - Sur ce, c’est à bon droit que le ministre de la Justice a relevé que l’armée fédérale yougoslave et les forces de police dépendant des autorités serbes, à l’origine de répressions et exactions commises au Kosovo, ont quitté ce territoire et qu’une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée au Kosovo, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place, et qu’il convient d’en conclure, abstraction faite de ce que les demandeurs n’ont aucunement établi des raisons personnelles suffisamment précises de nature à justifier dans leur chef une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur religion musulmane ou de leurs opinions politiques, que les demandeurs ne sauraient pas faire état d’un risque actuel de persécution au sens de la Convention de Genève en raison de leur crainte de subir de la part des autorités serbes des actes de persécution notamment du fait que Monsieur KOZAR a été membre du “ SDA ” et qu’il n’a pas donné suite à un appel pour la réserve militaire. - Concernant les prétendus problèmes que Monsieur KOZAR aurait connus lors d’un contrôle de police, ils ne sont pas suffisamment graves pour qu’on puisse en conclure que la vie lui soit devenu insupportable dans son pays d’origine.

Quant à la situation existant à l’heure actuelle au Kosovo, force est de constater qu’un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant de groupes de la population, en l’espèce de la population serbe ou albanaise du Kosovo, ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p.

113, nos 73-s).

En l’espèce, les demandeurs font état de leur crainte de voir commettre des actes de violence à leur encontre, mais ne démontrent point que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Kosovo.

5 Le recours en réformation est donc à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

donne acte aux demandeurs qu’ils bénéficient de l’assistance judiciaire;

reçoit le recours en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 18 décembre 2000, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12300
Date de la décision : 18/12/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-12-18;12300 ?

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