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18/12/2000 | LUXEMBOURG | N°12299

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 18 décembre 2000, 12299


N° 12299 du rôle Inscrit le 1er septembre 2000 Audience publique du 18 décembre 2000

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Recours formé par Monsieur … DURAKOVIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12299 et déposée au greffe du tribunal administratif le 1er septembre 2000 par Maître Jean-Georges GREMLING, avocat à la Cour, assisté de Maître Monique CLEMENT, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des

avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … DURAKOVIC, né le … à …(Yougoslavie), serrurier, de ...

N° 12299 du rôle Inscrit le 1er septembre 2000 Audience publique du 18 décembre 2000

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Recours formé par Monsieur … DURAKOVIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12299 et déposée au greffe du tribunal administratif le 1er septembre 2000 par Maître Jean-Georges GREMLING, avocat à la Cour, assisté de Maître Monique CLEMENT, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … DURAKOVIC, né le … à …(Yougoslavie), serrurier, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 27 juin 2000, notifiée le 4 août 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique;

Vu la lettre du 1er septembre 2000 de Maître Monique CLEMENT déposée le même jour au greffe du tribunal administratif, par laquelle elle informe le tribunal de ce que son mandant a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 septembre 2000;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 19 octobre 2000 au nom du demandeur;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Monique CLEMENT, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 21 juillet 1998, Monsieur … DURAKOVIC, né le … à … (Yougoslavie), serrurier, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé “ la Convention de Genève ”.

1 Monsieur DURAKOVIC fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur DURAKOVIC fut en outre entendu le 18 mars 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 27 juin 2000, notifiée le 4 août 2000, le ministre de la Justice informa Monsieur DURAKOVIC de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: “ Il résulte de vos déclarations que vous êtes arrivé au Luxembourg le 17 juillet 1998.

Vous exposez avoir été appelé à la réserve en août 1998, alors que vous étiez déjà au Luxembourg. Vous avez peur d’être enfermé à cause du non-respect de cette convocation.

Vous déclarez avoir été simple membre du SDA depuis 1994. Vous auriez fait le courrier pour le parti et vous auriez participé à un grand nombre de manifestations et de réunions. Vous n’avez pas eu de problèmes importants à cause de votre adhésion au SDA.

Vous n’avez jamais été maltraité par la police.

Vous expliquez avoir peur de tout le monde. Cette peur serait également liée à votre religion.

Vous invoquez avoir eu des problèmes à l’école.

Force est cependant de constater que la crainte d’une condamnation pénale pour le fait de ne pas avoir accompli ses obligations militaires n’est pas suffisante pour établir une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

De même l’insoumission ne constitue pas, à elle seule, un motif valable pour obtenir le statut de réfugié.

En outre, il ressort de vos déclarations que vous avez un sentiment général d’insécurité. Vous déclarez cependant que vous n’avez pas personnellement subi des persécutions. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

En ce qui concerne les problèmes que vous avez eus à l’école, ces faits - même à les supposer établis - ne sont pas suffisamment graves pour constituer une crainte raisonnable de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

2 Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ”.

Par requête déposée en date du 1er septembre 2000, Monsieur DURAKOVIC a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision précitée du ministre de la Justice du 27 juin 2000.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle entreprise.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, le demandeur fait exposer qu’il est originaire du Monténégro et de religion musulmane, qu’il n’aurait jamais travaillé au motif qu’il aurait été très difficile de trouver un emploi en tant que musulman, qu’il a fait son service militaire de mars 1996 à mars 1997, qu’au mois d’août 1998, lorsqu’il avait déjà quitté son pays, il aurait reçu un appel pour la réserve, qu’il craindrait une condamnation en raison de son insoumission, qu’il aurait été membre du “ SDA ” de 1994 jusqu’à sa fuite, que son engagement actif au sein dudit parti aurait consisté à “ faire le courrier pour le parti de manière bénévole et qu’en contrepartie il recevait de l’aide ” et qu’il aurait participé à de nombreuses manifestations et réunions, lors desquelles il aurait “ porté des panneaux avec des slogans électoraux ”. Il fait encore ajouter qu’il aurait connu des problèmes lorsqu’il faisait ses études, ces problèmes résultant exclusivement de sa religion musulmane, discriminée par les Serbes. Enfin, il fait exposer qu’ils aurait peur de retourner au Monténégro et que les musulmans seraient maltraités et discriminés par les Serbes et les Albanais.

Sur ce, il estime qu’il ferait valoir des craintes justifiées de persécution en raison de sa religion et de ses opinions politiques justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur DURAKOVIC et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme “ réfugié ” s’applique à toute personne qui “ craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ”.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a 3 été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur DURAKOVIC lors de son audition en date du 18 mars 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, si les activités dans un parti d’opposition peuvent justifier de telles craintes, la simple qualité de membre à elle seule étant insuffisante, il y a lieu de constater que le demandeur a affirmé avoir joué un rôle actif, au motif qu’il se serait occupé du courrier du parti et qu’il aurait participé à des réunions et manifestations organisées par le parti “ SDA ”, cependant il n’a pas fait état d’un état de persécution vécu ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine, en raison de son appartenance audit parti et de ses activités politiques et il reste actuellement en défaut de produire le moindre élément de preuve objectif les concernant. Dans ce contexte, il convient de relever que lors de son audition, questionné spécialement quant aux problèmes qu’il aurait eu à cause de son adhésion au “ SDA ”, Monsieur DURAKOVIC a déclaré “ j’avais eu quelques menaces, mais rien de très important. Je n’ai jamais été maltraité ou frappé par la police. Ils m’ont arrêté dans la rue et m’ont dit qu’ils m’auraient un jour. Mais rien ne s’est passé par après ”.

L’insoumission alléguée, n’est pas non plus, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève. En outre, il ne ressort pas des éléments du dossier que Monsieur DURAKOVIC risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de sa religion musulmane, risquaient ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, le demandeur n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la réticence du gouvernement monténégrin de coopérer avec les autorités fédérales en ce qui concerne l’exécution des peines prononcées et de la loi d’amnistie votée par le Parlement du 4 Monténégro visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale serbe, que les jugements en question sont exécutés effectivement.

Concernant les prétendus problèmes que le demandeur aurait connu lors de l’accomplissement de ses études, ils ne sont pas suffisamment graves pour qu’on puisse en conclure que la vie au Monténégro lui soit devenu insupportable. Il en est de même de la peur alléguée à l’égard des Serbes et, même à l’égard des Albanais - le délégué du gouvernement posant à juste titre la question, restée sans réponse, de savoir comment les Albanais risquent de persécuter le demandeur au Monténégro -, qui constitue, en substance, l’expression d’un sentiment général de peur, sans que le demandeur n’a fait état d’un état de persécution vécu ou d’une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Le recours est donc à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

donne acte au demandeur qu’il bénéficie de l’assistance judiciaire;

reçoit le recours en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 18 décembre 2000, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12299
Date de la décision : 18/12/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-12-18;12299 ?

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