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18/12/2000 | LUXEMBOURG | N°12286

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 18 décembre 2000, 12286


N° 12286 du rôle Inscrit le 30 août 2000 Audience publique du 18 décembre 2000

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Recours formé par Monsieur … KOCAN, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12286 et déposée au greffe du tribunal administratif le 30 août 2000 par Maître Luc SCHANEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … KOCAN, né le … à …(Monténégro), de nat

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…, tendant principalement à la r...

N° 12286 du rôle Inscrit le 30 août 2000 Audience publique du 18 décembre 2000

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Recours formé par Monsieur … KOCAN, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12286 et déposée au greffe du tribunal administratif le 30 août 2000 par Maître Luc SCHANEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … KOCAN, né le … à …(Monténégro), de nationalité yougoslave, sans état particulier, demeurant actuellement à L-

…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 31 mai 2000, notifiée le 27 juin 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique et d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par ledit ministre le 31 juillet 2000;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 septembre 2000;

Vu le mémoire en réplique, intitulé “ mémoire en duplique ”, déposé au greffe du tribunal administratif le 13 octobre 2000 au nom du demandeur;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Alban COLSON, en remplacement de Maître Luc SCHANEN, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 22 juillet 1998, Monsieur … KOCAN, né le … à … (Monténégro), de nationalité yougoslave, sans état particulier, demeurant actuellement à L-…, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé “ la Convention de Genève ”.

1 Monsieur KOCAN fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 27 octobre 1999, Monsieur KOCAN fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 31 mai 2000, notifiée le 27 juin 2000, le ministre de la Justice informa Monsieur KOCAN de ce que sa demande d’asile avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: “ (…) Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté le Monténégro en 1995.

Trois mois après votre arrivée, vous avez été arrêté par la police. A ce moment vous auriez demandé l’asile politique auprès du Ministère de la Justice où on vous aurait expliqué que votre demande n’aurait pas de chance d’aboutir. Au lieu de quitter le territoire luxembourgeois à ce moment, vous avez sollicité une autorisation de séjour en date du 10 octobre 1995. Le 18 septembre 1996 vous avez demandé une nouvelle fois une autorisation de séjour, par l’intermédiaire de Monsieur Emile Lies, votre employeur à l’époque, demeurant à L-7681 Waldbillig, 8, rue de la Montagne. En date du 18 octobre 1996 vous avez obtenu un refus à cette demande d’autorisation de séjour et une invitation formelle de quitter le territoire luxembourgeois sans délai. Vous n’avez cependant pas donné suite à cette décision et vous êtes resté au Luxembourg. En date du 27 juillet 1998 vous avez de nouveau déposé une demande d’asile politique. De même il est indiqué dans le rapport de police judiciaire, que vous avez travaillé illégalement au Luxembourg auprès de Monsieur Emile Lies, cultivateur, de juillet 1996 à juin 1997.

Il ressort de vos déclarations, que vous avez quitté votre pays en raison de la mauvaise situation politique en général et des menaces des Serbes à l’égard des musulmans en particulier. Ainsi les Serbes vous auraient contraint à quitter votre travail. Au moment de votre départ, il y avait également la mobilisation générale pour la guerre en Bosnie et vous aviez peur de devoir partir à la guerre.

Par ailleurs, il résulte du rapport d’audition que vous n’avez jamais été membre d’un parti politique et que vous n’avez pas d’opinions politiques. Vous n’avez pas non plus été maltraité physiquement. Vous exprimez le désir de pouvoir rester pour toujours au Luxembourg.

Quant aux événements auxquels vous faites référence concernant la situation particulière des ressortissants de religion musulmane au Monténégro, dont vous êtes originaire, la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Or, en l’espèce, il ne se dégage pas de vos allégations, qui ne sont d’ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, que vous risquiez ou risquez d’être persécuté pour une des raisons énumérées par l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève.

2 Par ailleurs, la seule crainte de peines du chef d’insoumission, à supposer que vous ayez réellement été convoqué, ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ”.

Par lettre datée du 25 juillet 2000, réceptionnée au ministère de la Justice le lendemain, Monsieur KOCAN introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 31 mai 2000.

Par décision du 31 juillet 2000, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 30 août 2000, Monsieur KOCAN a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des décisions précitées du ministre de la Justice des 31 mai et 31 juillet 2000.

Le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours subsidiaire en annulation, au motif que les dispositions légales applicables en la matière prévoiraient un recours au fond.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles déférées. Le recours en réformation, formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. - Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

A l’appui de son recours, le demandeur expose qu’il est originaire du Monténégro et de religion musulmane, qu’il aurait subi un certain nombre de persécutions par les Serbes en raison de sa religion musulmane, qu’il aurait dû quitter son travail après avoir été menacé par une arme et qu’il serait déçu par la politique pratiquée dans son pays d’origine.

Il fait ajouter qu’il risquerait d’être persécuté en cas de retour dans son pays d’origine en raison du fait qu’il aurait déserté l’armée en raison de ses convictions religieuses. Dans ce 3 contexte, il relève qu’il risquerait d’être condamné à une peine manifestement disproportionnée par rapport à la gravité de l’infraction commise, à savoir une peine de prison de 8 à 20 ans.

Sur ce, le demandeur reproche au ministre de la Justice d’avoir méconnu les dispositions de la Convention de Genève et il estime que les décisions querellées seraient à réformer, au motif qu’il remplirait les conditions d’octroi du statut de réfugié politique En outre, le demandeur conclut à l’annulation des décisions critiquées pour violation des articles 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, 12 de la loi précitée du 3 avril 1996 et 1er, section A 2 de la Convention de Genève, au motif que le ministre aurait omis de motiver à suffisance de droit les décisions litigieuses.

Le délégué du gouvernement n’a pas pris position quant au moyen d’annulation tiré du non-respect de l’obligation légale de motivation. Au fond, il soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur KOCAN et que le recours laisserait d’être fondé.

Il convient en premier lieu d’examiner le moyen d’annulation invoqué par le demandeur consistant à soutenir que les décisions ministérielles critiquées seraient entachées d’illégalité pour défaut de motivation suffisante.

Or, force est de constater que ledit moyen laisse d’être fondé, étant donné qu’il ressort du libellé prérelaté de la décision initiale du 31 mai 2000 que le ministre de la Justice a indiqué de manière détaillée et circonstanciée les motifs en droit et en fait, sur lesquels il s’est basé pour justifier sa décision de refus, motifs qui ont ainsi été portés, à suffisance de droit, à la connaissance du demandeur. - Par ailleurs, le fait par la décision du 31 juillet 2000 de confirmer purement et simplement la décision initiale, implique que cette deuxième décision se base sur les mêmes dispositions légales et réglementaires ainsi que sur les mêmes motifs en fait que ceux sur lesquels s’est basée la décision initiale.

L’existence de motifs ayant été vérifiée, il s’agit d’analyser la justification au fond des deux décisions de refus d’accorder le statut de réfugié politique.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève dispose que le terme “ réfugié ” s’applique à toute personne qui “ craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ”.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

4 Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur KOCAN lors de son audition du 27 octobre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Les déclarations faites par le demandeur, notamment ses craintes à l’égard des Serbes en raison de sa religion musulmane, constituent l’expression d’un sentiment général de peur, sans que le demandeur n’ait établi un état de persécution vécu ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine, étant relevé dans ce contexte que, lors de son audition, il est resté très vague dans ses déclarations, qu’il a précisé ne pas avoir été persécuté physiquement, qu’il n’a pas été accusé d’un crime ou d’un délit, ni incarcéré avec ou sans jugement, et qu’il n’établit aucunement une raison personnelle suffisamment précise de nature à justifier dans son chef une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa religion musulmane ou pour un des autres motifs visés par la Convention de Genève. - Dans ce contexte, il convient de relever que les insultes ou menaces verbales, non autrement précisées, ainsi que le fait qu’il aurait dû quitter son travail après avoir été menacé par une arme par un collègue de travail, à les supposer établis, ne constituent pas des actes d’une gravité suffisante justifiant une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Concernant la prétendue désertion ou insoumission, il convient de relever que, d’une part, la désertion ou l’insoumission ne sont pas, en elles-mêmes, des motifs justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elles ne sauraient, à elles seules, fonder dans le chef du demandeur d’asile, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève et, d’autre part, il ne ressort des éléments du dossier ni que le demandeur risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de sa désertion ou de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève.

Le recours est donc à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

5 déclare le recours en annulation irrecevable;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 18 décembre 2000, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12286
Date de la décision : 18/12/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-12-18;12286 ?

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