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18/12/2000 | LUXEMBOURG | N°12275

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 18 décembre 2000, 12275


N° 12275 du rôle Inscrit le 25 août 2000 Audience publique du 18 décembre 2000

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Recours formé par Madame … KUC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12275 et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 août 2000 par Maître Marc BOEVER, avocat à la Cour, assisté de Maître Olivier LANG, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom

de Madame … KUC, née le … à … (Serbie), de nationalité yougoslave, sans état particulier, demeura...

N° 12275 du rôle Inscrit le 25 août 2000 Audience publique du 18 décembre 2000

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Recours formé par Madame … KUC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12275 et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 août 2000 par Maître Marc BOEVER, avocat à la Cour, assisté de Maître Olivier LANG, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … KUC, née le … à … (Serbie), de nationalité yougoslave, sans état particulier, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 3 mai 2000, notifiée le 30 mai 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique et d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par ledit ministre le 20 juillet 2000, notifiée au mandataire de la demanderesse le 27 juillet 2000;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 septembre 2000;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Olivier LANG, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 16 décembre 1999, Madame … KUC, née le … à …(Serbie), de nationalité yougoslave, sans état particulier, demeurant actuellement à L-…, introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé “ la Convention de Genève ”.

1 Madame KUC fut entendue en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 14 janvier 2000, elle fut entendue par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 3 mai 2000, notifiée le 30 mai 2000, le ministre de la Justice informa Madame KUC de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit:

“ Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté Vitomirica/Kosovo fin mars 1999 pour aller au Monténégro, où vous avez séjourné jusqu’au début septembre 1999. Vous êtes ensuite allée à Sarajevo chez votre cousine et c’est de là que vous êtes partie avec un passeur pour arriver au Luxembourg en date du 16 décembre 1999.

Vous déclarez avoir travaillé au Kosovo comme institutrice de langue serbo-croate, mais ne plus avoir exercé ce métier depuis cinq ans.

Vous relevez avoir quitté votre pays à cause de la guerre et de ne plus vouloir y retourner parce que vous avez peur des Albanais, mais d’ailleurs liée au fait que vous avez enseigné le serbo-croate, que vous ne maîtrisez pas la langue albanaise et que vous êtes de confession musulmane. Vous précisez que de toute façon vous ne pouvez plus retourner au Kosovo, étant donné que votre maison a été incendiée par les Albanais en avril 1999.

Concernant votre peur des Albanais, il y a lieu de relever qu’une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, est installée au Kosovo et une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place. En outre, des groupements d’Albanais ne sauraient être considérés comme agent de persécution au sens de la Convention de Genève.

Tout en mesurant à leur juste valeur les difficultés matérielles que vous devez affronter après l’incendie de votre domicile, vous n’êtes pas exposée à un risque de persécution tel qu’il est visé par la Convention de Genève.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Partant, une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ”.

Par lettre du 29 juin 2000, réceptionnée au ministère de la Justice le même jour, Madame KUC introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 3 mai 2000.

Par décision du 20 juillet 2000, notifiée au mandataire de Madame KUC le 27 juillet 2000, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

2 Par requête déposée en date du 25 août 2000, Madame KUC a fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions précitées du ministre de la Justice des 3 mai et 20 juillet 2000.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, la demanderesse fait exposer qu’elle est originaire du Kosovo, qu’elle est de confession musulmane, qu’elle ne maîtrise pas la langue albanaise, qu’elle a enseigné le serbo-croate pendant 5 ans et que sa maison a été incendiée par les Albanais en avril 1999.

Elle fait état de ce que la présence des forces onusiennes au Kosovo ne garantirait pas la sécurité des minorités ethniques au Kosovo et qu’eu égard à des tensions inter-ethniques très fortes, la situation générale serait loin d’être sûre. Sur ce, elle soutient que le ministre ne saurait pas utilement invoquer la présence des forces onusiennes pour justifier le rejet de la demande d’asile, au motif que le système de protection installé connaîtrait des défaillances.

Elle estime encore qu’il serait faux de soutenir que des groupements d’Albanais ne sauraient être considérés comme agent de persécution au sens de la Convention de Genève.

La demanderesse estime, au contraire, avoir fait état de raisons sérieuses de craindre légitimement pour son intégrité physique voire pour sa vie en cas de retour dans son pays d’origine.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Madame KUC et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme “ réfugié ” s’applique à toute personne qui “ craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ”.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant 3 compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle de la demanderesse, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de la demanderesse.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Madame KUC lors de son audition en date du 14 janvier 2000, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, une persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant non pas de l’Etat, mais de groupes de la population, en l’espèce de la population albanaise du Kosovo, ne peut être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

En l’espèce, la demanderesse fait état de sa crainte de voir commettre des actes de violence à son encontre, mais elle ne démontre point que les forces onusiennes et l’administration civile actuellement en place ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Kosovo.

Par ailleurs, il y a lieu de relever que même à admettre qu’à l’heure actuelle, il est toujours difficile pour des membres d’une minorité ethnique non-albanaise au Kosovo, de s’y réinstaller, au vu des affrontements ethniques qui sont toujours d’actualité au Kosovo, la demanderesse reste en défaut d’établir des raisons pour lesquelles elle ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre partie de la Yougoslavie et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne, le délégué du gouvernement relevant à bon droit, dans ce contexte, le fait que la demanderesse a pu profiter d’une possibilité de fuite interne, alors que de mars à septembre 1999 elle s’était réfugiée au Monténégro.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme étant non fondé.

4 Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 18 décembre 2000, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12275
Date de la décision : 18/12/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-12-18;12275 ?

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