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13/12/2000 | LUXEMBOURG | N°12276

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 13 décembre 2000, 12276


N° 12276 du rôle Inscrit le 25 août 2000 Audience publique du 13 décembre 2000

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Recours formé par Monsieur … SERATLIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro 12276 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 août 2000 par Maître Georges KRIEGER, avocat à la Cour, assisté de Maître Natha

lie HAGER, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de ...

N° 12276 du rôle Inscrit le 25 août 2000 Audience publique du 13 décembre 2000

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Recours formé par Monsieur … SERATLIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro 12276 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 août 2000 par Maître Georges KRIEGER, avocat à la Cour, assisté de Maître Nathalie HAGER, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … SERATLIC, né le … à … (Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 26 juillet 2000, rendue sur recours gracieux effectué contre une première décision datant du 31 mai 2000, notifiée le 20 juin 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 septembre 2000;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en ses plaidoiries à l’audience publique du 21 novembre 2000.

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En date du 10 mai 1999, Monsieur … SERATLIC, né le … à … (Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé “ la Convention de Genève ”.

Monsieur SERATLIC fut entendu en date du 11 mai 1999 par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg, ainsi que sur son identité.

Le 14 juillet 1999, Monsieur SERATLIC fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

1 Par décision du 31 mai 2000, notifiée le 20 juin 2000, le ministre de la Justice informa Monsieur SERATLIC de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: “ (…) Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté votre domicile pour aller à Podgorica et puis à Sarajevo, d’où vous êtes venu au Luxembourg à l’aide d’un passeur. Vous prétendez ne pas pouvoir donner de précisions quant au chemin emprunté.

Vous déclarez avoir accompli votre service militaire en 1989/1990 en Croatie et avoir été appelé à la réserve durant la guerre du Kosovo. Vous précisez que la police militaire s’est présentée à votre domicile pour vous emmener à la section militaire de Berane. Y arrivé et en attendant d’être réparti sur une des différentes sections militaires, vous avez profité du désordre général afin de prendre la fuite. Vous déclarez avoir agi ainsi du fait que vous ne vouliez pas aller à la guerre et risquer d’y être tué. Vous prétendez même avoir eu peur de vous faire tuer par les réservistes serbes avant même d’arriver au Kosovo. Vous relevez qu’en cas de retour dans votre pays vous craignez une peine d’emprisonnement de 5 ans en raison de votre désertion en précisant que vous aviez le premier grade militaire.

Vous relatez également avoir peur du Tribunal militaire et de l’éclatement d’une guerre au Monténégro en affirmant que cette peur serait liée à votre confession musulmane.

Comme persécutions subies vous invoquez des injures de la part de “ l’armée ”, sans pour autant invoquer des mauvais traitements physiques.

Concernant le premier motif invoqué à l’appui de votre demande, à savoir la crainte d'une éventuelle sanction pénale en raison de votre désertion, il y a lieu de relever que la désertion n'est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d'asile une crainte justifiée.

Quant aux autres motifs invoqués, ils ne sont pas de nature à rendre votre vie intolérable dans votre pays d’origine et ne dénotent pas une persécution de nature à justifier une crainte pour une des raisons énoncées par la Convention de Genève. En effet, la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution pour un des motifs énumérés par la Convention de Genève.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie. ” Par courrier de son mandataire datant du 14 juillet 2000, Monsieur SERATLIC a fait introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée. Celui-ci s’étant soldé par une décision confirmative du ministre datant du 26 juillet 2000, il a fait introduire, par requête déposée en date du 25 août 2000, un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du ministre de la Justice du 26 juillet 2000, confirmative sur recours gracieux de celle également précitée du 31 mai 2000.

2 Une décision prise sur recours gracieux, purement confirmative une décision initiale tire son existence de cette dernière, et, dès lors, les deux doivent être considérées comme formant un seul recours. Il s’ensuit qu’un recours introduit en temps utile contre la seule décision confirmative est valable (cf. trib. adm. 21 avril 1997, n° 9459 du rôle, Pas. adm. 1/2000, V° Procédure contentieuse, n° 46 et autres références y citées).

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoyant un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est irrecevable.

A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer que son départ du Monténégro aurait été motivé par des persécutions subies du fait de sa religion musulmane, ainsi que par la crainte de ne plus pouvoir vivre en sécurité dans un pays où les personnes de confession musulmane seraient devenues plus qu’indésirables. Il critique la décision déférée d’abord en s’emparant des dispositions de l’article 8, alinéa 1er de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH) pour soutenir que le ministre aurait en l’espèce violé son droit au respect de sa vie privée et familiale en ce que seuls ses parents et sa sœur vivraient encore en ex-Yougoslavie et que son frère se trouverait actuellement au Grand-Duché de Luxembourg. Concernant plus particulièrement les persécutions par lui subies dans son pays d’origine, il expose que la police militaire se serait présentée à son domicile pour l’emmener à la section militaire de Berane, que dans l’armée il aurait subi des persécutions en raison de sa religion musulmane, qu’il aurait dû porter le chapeau des “ tschetnik ”, et que par ailleurs la population des musulmans représenterait une minorité sur le territoire yougoslave ayant déjà fait l’objet de nombreuses persécutions dans ce pays, pour conclure qu’il ne souhaiterait pas retourner dans son pays d’origine où il serait menacé et où le libre exercice de sa religion ne serait pas assuré. Il fait par ailleurs état d’une crainte dans son chef d’une éventuelle sanction pénale en raison de sa désertion de l’armée yougoslave.

Le délégué du Gouvernement relève en premier lieu que suivant les indications du demandeur même, tant ses parents que sa sœur vivent toujours en ex-Yougoslavie, de sorte qu’il verrait mal comment une vie familiale au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme pourrait exister au Luxembourg. Il rétorque ensuite que la simple appartenance à une minorité religieuse, en tant que telle, ne saurait suffire pour se voir accorder le statut de réfugié politique et estime que la même conclusion s’imposerait au sujet de la qualité d’insoumis invoqué par le demandeur. Concernant enfin la circonstance alléguée que le demandeur aurait dû porter le “ chapeau des tschetniks ”, le représentant étatique estime que le motif en question ne serait pas de nature à rendre la vie du requérant intolérable dans son pays d’origine et ne dénoterait pas non plus une persécution de nature à justifier une crainte pour un des motifs énoncés par la Convention de Genève dans son chef.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme “ réfugié ” s’applique à toute personne qui “ craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas 3 de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ”.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

En l’espèce, l’examen des déclaration faites par Monsieur SERATLIC lors de son audition en date du 14 juillet 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit l’existence dans son chef d’une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

L’unité de la famille, invoquée par le demandeur à travers son moyen basé sur l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme, est prise en compte dans le cadre de la Convention de Genève en ce sens que, dès lors que le chef de famille satisfait aux critères fixés par ladite Convention, les membres de sa famille qui font partie de son ménage et qui se trouvent à sa charge sont susceptibles de se voir également reconnaître le statut de réfugié politique (cf. trib. adm. 24 mai 2000, n° 11956 du rôle, Sabotic, non encore publié).

En l’espèce, le demandeur, actuellement âgé de 30 ans, n’établit pas que l’unité familiale dont il fit partie dans son pays d’origine aurait été dissoute et que son frère demeurant au Luxembourg devrait être considéré comme le chef de cette unité familiale, étant donné que ses parents, voire d’autres membres de sa famille, en l’occurrence sa sœur, vivent toujours au Monténégro.

Il s’ensuit que le premier moyen du demandeur basé sur l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme laisse d’être fondé.

Concernant le motif de l’insoumission invoqué par le demandeur, force est de constater que l’insoumission ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A de la Convention de Genève.

En effet, au-delà du fait que le demandeur reste en défaut d’établir à suffisance de droit avoir déserté l’armée fédérale yougoslave pour des raisons de conscience valables susceptibles de justifier, en application de la Convention de Genève, la reconnaissance du statut de réfugié politique, et que des traitements discriminatoires auraient pu lui être infligés dans le cadre de son service militaire, il reste encore en défaut d’établir, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la réticence du gouvernement monténégrin de coopérer avec les autorités fédérales en ce qui concerne l’exécution des peines prononcées 4 du chef d’insoumission et de la loi d’amnistie votée par le parlement du Monténégro visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale serbe, qu’une condamnation pour insoumission, le cas échéant encourue, serait effectivement exécutée à son encontre.

Pour le surplus, l’examen des arguments et déclarations faites par le demandeur amène le tribunal à conclure que, dans leur ensemble et en substance, ils constituent l’expression d’un sentiment général de peur, sans que le demandeur fasse état d’une persécution vécue ou d’une crainte qui seraient telles que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Nonobstant le fait que le demandeur n’était pas représenté à l’audience publique du 21 novembre 2000 à laquelle l’affaire fut plaidée, l’affaire est jugée contradictoirement à l’égard de toutes les parties, la procédure étant écrite devant les juridictions administratives.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

déclare le recours en annulation irrecevable condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 13 décembre 2000 par:

Mme Lenert, premier juge, Mme Lamesch, juge M. Schroeder, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12276
Date de la décision : 13/12/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-12-13;12276 ?

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