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13/12/2000 | LUXEMBOURG | N°12245

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 13 décembre 2000, 12245


N° 12245 du rôle Inscrit le 17 août 2000 Audience publique du 13 décembre 2000

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Recours formé par Monsieur … CIKOTIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12245 et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 août 2000 par Maître Jacques WOLTER, avocat à la Cour, assisté de Maître Barbara ROUSSEAU, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom

de Monsieur … CIKOTIC, né le … à …(Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellemen...

N° 12245 du rôle Inscrit le 17 août 2000 Audience publique du 13 décembre 2000

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Recours formé par Monsieur … CIKOTIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12245 et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 août 2000 par Maître Jacques WOLTER, avocat à la Cour, assisté de Maître Barbara ROUSSEAU, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … CIKOTIC, né le … à …(Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 7 juin 2000, notifiée le 18 juillet 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er septembre 2000;

Vu le mémoire en réplique déposé le 28 septembre 2000 au nom du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Barbara ROUSSEAU, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.

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Le 22 septembre 1998, Monsieur … CIKOTIC, né le … à …(Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé “ la Convention de Genève ”.

1 Monsieur CIKOTIC fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 23 août 1999, Monsieur CIKOTIC fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 7 juin 2000, notifiée le 18 juillet 2000, le ministre de la Justice informa Monsieur CIKOTIC de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: “ (…) Vous exposez ne pas avoir accompli le service militaire, mais avoir été appelé à le faire en septembre 1998. N’ayant pas envie de tuer ou d’être tué, vous avez refusé l’appel. Vous précisez qu’en cas de retour dans votre pays vous craignez une peine de 3 à 4 ans de prison en raison de l’insoumission.

Vous relevez avoir quitté votre pays à cause de la situation politique régnant dans votre pays et ne pas vouloir y retourner actuellement en raison de l’éclatement éventuel d’une guerre au Monténégro. Vous invoquez des mauvais traitements et injures vous infligés de la part de la police civile en précisant qu’un policier vous aurait arrêté et menacé avec une arme en pleine rue. Il vous avait injurié en disant que le jour noir des Musulmans serait arrivé et qu’ils seraient tous tués.

Vous affirmez également avoir peur de la guerre, de la police de M. Milosévic, des paramilitaires et de l’armée, sans pour autant donner des précisions.

Concernant votre premier motif, à savoir la crainte d’une éventuelle sanction pénale en raison de l’insoumission, il y a lieu de relever que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d’asile une crainte justifiée.

Par ailleurs, le fait d’avoir invoqué une peur à l’égard de la guerre, de la police de M. Milosévic, des paramilitaires, de l’armée, de la situation générale et de l’éclatement d’une éventuelle guerre n’est pas de nature à justifier une persécution au sens de la Convention de Genève. En effet, la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution pour une des raisons énumérées par la Convention de Genève.

Quant aux autres faits invoqués, il y a lieu de relever que même s’ils ont trait à des pratiques certainement condamnables, ces faits ne sont cependant pas d’une gravité telle – même à les supposer établis – qu’ils justifient une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

2 Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ”.

Par requête déposée en date du 17 août 2000, Monsieur CIKOTIC a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision précitée du ministre de la Justice du 7 juin 2000.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoyant un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation.

Le recours ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, le demandeur fait exposer être de confession musulmane et originaire du Monténégro, qu’il aurait quitté son pays, entre autres, en raison du fait qu’il a refusé d’être enrôlé dans les forces militaires yougoslaves, de sorte qu’il risquerait d’être condamné à une peine manifestement disproportionnée par rapport à la gravité de l’infraction commise.

Il soulève encore qu’il aurait fait l’objet de menaces de la part de la police serbe qui aurait “ proclamé que le jour noir des musulmans était arrivé et qu’ils seront tous tués ”.

Il fait par ailleurs état de son appartenance politique au parti démocrate pour soutenir que les membres de celui-ci subiraient régulièrement des poursuites et traitements discriminatoires de la part des autorités serbes. Il rappelle finalement que le Monténégro se trouverait dans une situation difficile qui “ dans les prochains jours peut escalader jusqu’à l’état de guerre ”.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur CIKOTIC et que le recours laisserait d’être fondé.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève dispose que le terme “ réfugié ” s’applique à toute personne qui “ craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ”.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

3 En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur CIKOTIC lors de son audition du 23 août 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que, d’une part, l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d’asile une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève et que, d’autre part, il n’est pas établi qu’actuellement, au vu notamment des élections ayant eu lieu en Serbie, le demandeur risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance à une minorité religieuse, risquent de lui être infligés, ni encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la peine - d’emprisonnement - éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, le demandeur n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement la réticence du gouvernement monténégrin de coopérer avec les autorités fédérales en ce qui concerne l’exécution des peines prononcées et de la loi d’amnistie votée par le Parlement du Monténégro visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale serbe, que les jugements en question sont exécutés effectivement.

Concernant le moyen de Monsieur CIKOTIC basé sur son appartenance au parti démocrate, force est de constater que le demandeur a déclaré lors de son audition qu’il n’avait pas d’opinions politiques et qu’il n’était pas membre du parti, mais qu’il a été “ partisan du parti démocratique ”. Or la simple qualité de membre ou de “ partisan ” ne constitue pas, à elle seule, un motif valable de reconnaissance du statut de réfugié, le demandeur n’ayant par ailleurs pas établi ni même allégué avoir joué un rôle actif au sein du parti politique.

Pour le surplus, le tribunal est amené à constater que les déclarations et récits du demandeur restent vagues et qu’il n’a pas apporté suffisamment de précisions quant aux persécutions qu’il risquerait personnellement de subir du fait de son appartenance ethnique et de ses convictions religieuses, de sorte qu’il convient de conclure qu’il n’a pas fait état de persécutions vécues ou d’une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

Le recours en réformation est donc à rejeter comme non fondé.

4 Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

se déclare compétent pour connaître du recours en réformation;

le déclare également recevable en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, Mme. Lenert, premier juge, Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 13 décembre 2000, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12245
Date de la décision : 13/12/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-12-13;12245 ?

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