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13/12/2000 | LUXEMBOURG | N°12224

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 13 décembre 2000, 12224


N° 12224 du rôle Inscrit le 10 août 2000 Audience publique du 13 décembre 2000

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Recours formé par M. … ALJICEVIC et son épouse, Mme. … et consorts, contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12224 et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 août 2000 par Maître Marc WALCH, avocat à la Cour, assisté de Maître Jean-Louis UNSEN, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avoca

ts à Diekirch, au nom de Monsieur … ALJICEVIC, né le … à …(Monténégro), et de son épouse, Madame ...

N° 12224 du rôle Inscrit le 10 août 2000 Audience publique du 13 décembre 2000

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Recours formé par M. … ALJICEVIC et son épouse, Mme. … et consorts, contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12224 et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 août 2000 par Maître Marc WALCH, avocat à la Cour, assisté de Maître Jean-Louis UNSEN, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur … ALJICEVIC, né le … à …(Monténégro), et de son épouse, Madame …, née le … à …(Bosnie-Herzégovine), agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leur enfant mineur …, né le … à …(Luxembourg), tous les trois de nationalité yougoslave, originaires du Monténégro, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 3 mai 2000, notifiée le 6 juin 2000, portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre, rendue sur recours gracieux, du 10 juillet 2000;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er septembre 2000;

Vu le mémoire en réplique déposé le 28 septembre 2000 au nom des demandeurs ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Jean-Louis UNSEN, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.

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Le 14 mars 2000, Monsieur … ALJICEVIC, né le … à …(Monténégro), et son épouse, Madame …, née le … à …(Bosnie-Herzégovine), agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leur enfant mineur…, né le …à …(Luxembourg), tous les trois de nationalité yougoslave, originaires du Monténégro, demeurant actuellement ensemble à L-…, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par 1 règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux ALJICEVIC-… furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-

ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 20 avril 2000, les époux ALJICEVIC-… furent entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 3 mai 2000, notifiée le 6 juin 2000, le ministre de la Justice informa les époux ALJICEVIC-… de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « (…) Vous, Monsieur, vous avez exposé que vous êtes membre du SDA et que vous avez eu des problèmes en raison de cette adhésion, mais également en raison de votre religion musulmane. Ainsi, en date du 28 juin 1998, la police civile est venue à votre domicile pour vous réclamer une arme. La maison a été perquisitionnée, mais comme les policiers n’ont rien trouvé, vous avez été emmené au poste de police. Toujours d’après vos dires, vous avez alors été frappé par trois policiers et emprisonné pour une nuit. Le lendemain vous avez pu partir, mais en raison de vos blessures vous avez dû être hospitalisé, d’abord à l’hôpital de Podgorica, ensuite à l’hôpital de Pljevlja.

Lors de votre entrée à l’hôpital de Pljevlja, vous avez porté plainte par l’intermédiaire de votre avocat, Monsieur Milan GRACOVIC. Vous ne vous êtes pas présenté à l’audience du tribunal du 27 septembre 1999, parce que vous vous sentiez menacé par les trois policiers qui vous avaient frappé et qui vous avaient demandé de ne pas porter plainte. Comme ces menaces perduraient, vous avez décidé de quitter le pays.

Vous avez affirmé par ailleurs ne pas avoir d’opinions politiques. A la question pourquoi vous n’êtes pas resté à Sarajevo, d’où votre femme est originaire, vous avez répondu que là il vous serait impossible de trouver du travail.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective ait été telle qu’elle laissait craindre d’être persécuté.

En l’espèce, Monsieur, le récit de l’arrestation arbitraire par la police en raison de la recherche d’une arme et des brutalités vous infligées ont trait à des pratiques certainement condamnables, mais ces faits, - à les supposer établis, - ne sont cependant pas d’une gravité telle qu’ils justifient une persécution au sens de la Convention de Genève, d’autant plus que vous n’avez même pas attendu que le tribunal se prononce dans votre affaire, jugement qui aurait pu vous être favorable.

Vous, Madame, vous n’invoquez, en ce qui vous concerne, aucun motif propre de persécution.

Par conséquent, vous n’alléguez, tous les deux, aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte 2 justifiée de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

Le recours gracieux introduit par le mandataire des époux ALJICEVIC-… en date du 4 juillet 2000 à l’égard de la décision ministérielle précitée fut rencontré par une décision confirmative du 10 juillet 2000.

Par requête déposée en date du 10 août 2000, les époux ALJICEVIC-…, ainsi que leur enfant mineur Elvir, ci-après dénommés ensemble les « consorts ALJICEVIC-…», ont fait introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation des décisions précitées du ministre de la Justice des 3 mai et 10 juillet 2000.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, dans sa teneur applicable au moment de la prise des décisions déférées, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal. Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est irrecevable. Le recours en réformation est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs estiment que la notion de crainte avec raison de persécutions implique la réunion d’éléments objectifs relatifs à la situation générale du pays d’origine et d’éléments subjectifs propres à la situation personnelle des demandeurs d’asile.

En guise d’éléments objectifs, les demandeurs font valoir que les Musulmans du Monténégro seraient maltraités et discriminés par les Serbes et qu’un retour forcé dans leur pays d’origine les exposeraient à des risques sérieux de persécution pour un des motifs visés par la Convention de Genève. Par ailleurs, la situation générale au Monténégro ne serait pas « des meilleures à l’heure actuelle, alors que cette région est et demeure une poudrière ».

Quant à leur situation personnelle, les demandeurs se fondent sur l’appartenance de Monsieur ALJICEVIC au parti politique SDA et qu’en raison de ses opinions politiques, la police aurait effectué en date du 28 juin 1998 une perquisition à leur domicile avec pour objectif de trouver des armes. N’ayant trouvé aucune arme lors de leur perquisition, les policiers auraient emmené Monsieur ALJICEVIC au poste de police, où il aurait été détenu illégalement pendant une nuit, au cours de laquelle il aurait été gravement maltraité et brutalisé par les policiers, en précisant que ces blessures auraient nécessité une hospitalisation « pendant plus ou moins deux semaines ».

Ils exposent qu’à la suite de cette arrestation arbitraire de Monsieur ALJICEVIC, ils auraient chargé leur avocat afin de déposer une plainte contre les prédits policiers pour coups et blessures volontaires, que le dépôt de cette plainte et les poursuites judiciaires qui auraient ainsi été déclenchées, auraient eu pour effet que les policiers, auteurs de son arrestation arbitraire, les auraient persécutés et menacés de mort, de sorte qu’ils auraient préféré quitter 3 leur pays, alors qu’ils craignaient pour leur vie. Ils soutiennent encore qu’ils ne bénéficieraient pas d’une protection appropriée dans leur pays d’origine, ce qui y rendrait leur vie intolérable.

Sur ce, les demandeurs estiment qu’ils remplissent les conditions légales en vue de la reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève et que les décisions ministérielles devraient être réformées en ce sens.

Le délégué du gouvernement conclut que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des consorts ALJICEVIC-… et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux ALJICEVIC-… lors de leurs auditions respectives en date du 20 avril 2000, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Le demandeur se prévaut d’une manière générale de la discrimination par les Serbes du groupe religieux dont il fait partie et plus particulièrement de menaces proférées contre lui et sa famille par trois policiers suite au dépôt d’une plainte pénale à leur encontre. En ce qui concerne le prétendu risque actuel de subir des persécutions de la part d’un groupe de la population, notamment des trois policiers, et partant d’un défaut de protection de la part des autorités de son pays d’origine face à ces actes de persécution, mis en exergue par le demandeur, il convient de relever qu’une persécution au titre de l’une des cinq causes visées à 4 l’article 1er de la Convention de Genève émanant non pas de l’Etat, mais de groupes de la population ne peut être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. La notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves CARLIER : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p.

113, nos 73-s).

S’il ne peut être exclu que les demandeurs, en ce qu’ils font partie de la minorité religieuse des Musulmans du Monténégro, soient exposés à un risque d’agression de la part de la population serbe, il n’en demeure pas moins qu’ils ne démontrent point que le gouvernement actuellement en place ne soit pas capable d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Monténégro. Ils omettent par ailleurs d’établir concrètement quels risques ils ont encouru ou qu’ils sont susceptibles d’encourir en cas de retour dans leur pays d’origine. Il convient en outre de relever que les demandeurs avaient intenté une procédure judiciaire, qui avait été entamée et qu’un avocat s’occupait de la défense de leurs intérêts, mais que les demandeurs n’ont pas attendu l’issue de la prédite instance judiciaire, qui aurait pu faire droit à leur demande de condamnation des trois policiers contre lesquels leur recours était dirigé. Ils ne sauraient dès lors soutenir qu’ils n’ont pas bénéficié de la protection des autorités en place et que les brutalités commises par les trois policiers auraient été tolérées par les autorités monténégrines. Par ailleurs, comme Madame … est originaire de Sarajevo, où elle habitait jusqu’à la célébration de son mariage en date du 5 novembre 1999, les demandeurs bénéficiaient de la possibilité de s’installer auprès de la famille de Madame …, et à ce titre, l’affirmation faite par Monsieur ALJICEVIC lors de son audition, qu’il n’y trouverait pas de travail, ne saurait constituer un motif valable afin de ne pas s’y installer.

Concernant le moyen de Monsieur ALJICEVIC basé sur son appartenance au parti politique SDA, force est de constater que le demandeur a déclaré lors de son audition qu’il n’avait pas d’opinions politiques et qu’il est devenu membre du parti, étant donné « qu’on m’avait demandé de devenir membre ». Or la simple qualité de membre ne constitue pas, à elle seule, un motif valable de reconnaissance du statut de réfugié, le demandeur n’ayant par ailleurs pas établi ni même allégué avoir joué un rôle actif au sein du parti politique.

Pour le surplus, le tribunal est amené à constater que les déclarations et récits des demandeurs restent vagues et qu’ils n’ont pas apporté suffisamment de précisions quant aux persécutions qu’ils risqueraient personnellement de subir du fait de leur appartenance ethnique et de leurs convictions religieuses, de sorte qu’il convient de conclure qu’ils n’ont pas fait état de persécutions vécues ou d’une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine.

5 Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

se déclare compétent pour connaître du recours en réformation;

le déclare également recevable en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, Mme. Lenert, premier juge, Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 13 décembre 2000, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12224
Date de la décision : 13/12/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-12-13;12224 ?

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