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11/12/2000 | LUXEMBOURG | N°12297

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 11 décembre 2000, 12297


N° 12297 du rôle Inscrit le 1er septembre 2000 Audience publique du 11 décembre 2000

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Recours formé par Monsieur … TARANIS, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12297 et déposée au greffe du tribunal administratif le 1er septembre 2000 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … TARANIS, né l

e … à … (Monténégro/Yougoslavie), sans état particulier, de nationalité yougoslave, demeurant ac...

N° 12297 du rôle Inscrit le 1er septembre 2000 Audience publique du 11 décembre 2000

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Recours formé par Monsieur … TARANIS, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12297 et déposée au greffe du tribunal administratif le 1er septembre 2000 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … TARANIS, né le … à … (Monténégro/Yougoslavie), sans état particulier, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 31 mai 2000, notifiée le 30 juillet 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 1er août 2000, notifiée le 4 août 2000;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 septembre 2000;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 13 octobre 2000 au nom du demandeur;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 9 mars 1999, Monsieur … TARANIS, né le … à … (Monténégro/Yougoslavie), sans état particulier, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé “ la Convention de Genève ”.

1 Monsieur TARANIS fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur TARANIS fut en outre entendu le 10 août 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 31 mai 2000, notifiée le 30 juin 2000, le ministre de la Justice informa Monsieur TARANIS de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: “ (…) Il ressort de vos déclarations qu’en date du 25 juin 1998 vous avez quitté le Monténégro pour aller à Sarajevo où vous êtes resté jusqu’à 10 jours avant votre arrivée au Luxembourg. Vous avez transité par la Croatie, la Slovénie et l’Italie changeant à plusieurs fois de voiture. Vous avez dû (…) traverser les frontières à pied. Vous êtes arrivé au Luxembourg le 9 mars 1999 et vous avez déposé une demande en obtention du statut de réfugié le même jour.

Vous avez exposé qu’en juin 1998, vous avez reçu une convocation pour la réserve et vous auriez dû vous présenter le 27 juin 1998, ce que vous n’avez pas fait. Vous affirmez qu’à l’époque, tous les réservistes étaient envoyés au Kosovo et vous aviez peur de vous faire tuer. Mais vous prétendez également que vous n’avez pas rejoint l’armée parce que vous auriez été maltraité alors que vous faisiez votre service militaire, ceci parce que vous êtes de confession musulmane.

Vous déclarez que vous êtes membre du LSCG, le parti qui se bat en faveur de l’indépendance du Monténégro. Vous dites être membre actif, défendant les thèses d’un Monténégro indépendant et démocratique où les gens puissent vivre et s’exprimer librement.

Vous affirmez avoir été interpellé à plusieurs reprises par la police à cause de votre adhésion à ce parti. Vous prétendez même avoir été emmené au poste de police où les policiers vous auraient demandé d’user de votre influence pour recruter des gens pour le parti de Djukanovic.

Il résulte donc de vos déclarations que vous avez quitté votre pays à cause de la réserve et des provocations et menaces proférées à votre égard par la police.

L’insoumission n’est pas en elle-même un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d’asile, une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la Convention de Genève.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas non plus uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile, qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Si les activités dans un parti d’opposition peuvent, le cas échéant, justifier des craintes légitimes de persécution, il n’en résulte pas automatiquement que tout membre actif d’un parti d’opposition risque des persécutions de la part du pouvoir en place. Vous restez en défaut de produire le moindre élément de preuve objectif concernant le rôle et les activités exercées au sein du parti LSCG.

2 Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ”.

Le 31 juillet 2000, Monsieur TARANIS introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 31 mai 2000.

Par décision du 1er août 2000, notifiée le 4 août 2000, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 1er septembre 2000, Monsieur TARANIS a fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions précitées du ministre de la Justice des 31 mai et 1er août 2000.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, le demandeur fait exposer qu’il est originaire du Monténégro et de religion musulmane, qu’il aurait quitté son pays, entre autres, en raison du fait qu’il a refusé d’être enrôlé dans les forces militaires yougoslaves, de sorte qu’il risquerait d’être condamné à une peine manifestement disproportionnée par rapport à la gravité de l’infraction commise, à savoir une peine de prison pouvant aller jusqu’à 20 ans.

Il conclut à la réformation des décisions ministérielles pour violation de la loi et pour erreur manifeste d’appréciation des faits.

Il reproche au ministre de la Justice de ne pas avoir pris en considération la persécution dont il aurait été victime en raison de son comportement pouvant être interprété comme l’expression d’une opinion politique, ainsi que le risque de persécution en raison de son insoumission. Sur ce, il estime qu’il ferait valoir des craintes justifiées de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur TARANIS et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme “ réfugié ” s’applique à toute personne qui “ craignant avec raison d’être persécutée du fait de 3 sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ”.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur TARANIS lors de son audition en date du 10 août 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, si les activités dans un parti d’opposition poursuivant l’autonomie du Monténégro peuvent justifier de telles craintes, la simple qualité de membre à elle seule étant insuffisante, il y a lieu de constater que le demandeur a affirmé avoir joué un rôle actif, avoir été membre “ de la commission ”, avoir délivré des cartes de membre et avoir été observateur du parti lors des élections, cependant il n’a pas fait état d’un état de persécution vécu ou d’une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine, en raison de son appartenance au parti “ LSCG ” et de ses activités politiques et il reste actuellement en défaut de produire le moindre élément de preuve objectif les concernant.

Concernant les interpellations de la part de la police dont le demandeur prétend avoir été l’objet, elles ne sont pas suffisamment graves pour qu’on puisse en conclure que la vie au Monténégro soit devenue insupportable pour le demandeur.

L’insoumission, seul motif subsistant, n’est pas non plus, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève. En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur TARANIS risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison 4 de sa religion musulmane, lui ont été infligés ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, le demandeur n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la réticence du gouvernement monténégrin de coopérer avec les autorités fédérales en ce qui concerne l’exécution des peines prononcées et de la loi d’amnistie votée par le Parlement du Monténégro visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale serbe, que les jugements en question sont exécutés effectivement.

Le recours est donc à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en la forme;

au fond déclare le recours non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 11 décembre 2000, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12297
Date de la décision : 11/12/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-12-11;12297 ?

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