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11/12/2000 | LUXEMBOURG | N°12287

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 11 décembre 2000, 12287


N° 12287 du rôle Inscrit le 30 août 2000 Audience publique du 11 décembre 2000

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Recours formé par Monsieur … RASTODER, son épouse, Madame …, contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12287 et déposée au greffe du tribunal administratif le 30 août 2000 par Maître Jean-Georges GREMLING, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … RAST

ODER, né le …à …(Yougoslavie), sans état particulier, et de son épouse, Madame …, née le … à …(You...

N° 12287 du rôle Inscrit le 30 août 2000 Audience publique du 11 décembre 2000

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Recours formé par Monsieur … RASTODER, son épouse, Madame …, contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12287 et déposée au greffe du tribunal administratif le 30 août 2000 par Maître Jean-Georges GREMLING, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … RASTODER, né le …à …(Yougoslavie), sans état particulier, et de son épouse, Madame …, née le … à …(Yougoslavie), sans état particulier, tous les deux de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 15 juin 2000, notifiée le 31 juillet 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 septembre 2000;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Monique CLEMENT, en remplacement de Maître Jean-Georges GREMLING, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 4 septembre 1998, Monsieur … RASTODER, né le …à … (Monténégro), sans état particulier, et son épouse, Madame …, née le … à … (Kosovo), sans état particulier, agissant pour eux mêmes ainsi qu’en nom et pour compte de leur enfant mineur…, née le …à …(Kosovo), tous les trois de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par 1 règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé “ la Convention de Genève ”.

Les époux RASTODER-… furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-

ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur RASTODER fut en outre entendu les 27 mai et 6 septembre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile. Son épouse fut entendue séparément le 6 septembre 1999.

Par décision du 15 juin 2000, notifiée le 31 juillet 2000, le ministre de la Justice informa les époux RASTODER-… de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: “ Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté Pec le 31 août 1998 pour arriver au Luxembourg le 4 septembre 1998 vers 8.30 heures.

Monsieur, vous exposez dans votre audition du 6 septembre 1999 avoir été sympathisant du SDA sans en avoir été membre. Lors de l’audition du 27 mai 1999 vous indiquez cependant avoir été membre du SDA. Vous auriez été appelé à la police parce que vous auriez participé à une réunion du SDA.

Vous expliquez avoir eu peur d’une mobilisation générale. Selon vos déclarations du 27 mai 1999 vous auriez reçu un appel pour faire la réserve et ceci en raison de votre religion musulmane. Or, selon vos déclarations du 6 septembre 1999 vous n’avez pas personnellement été appelé à la réserve.

Vous indiquez avoir été persécuté parce qu’il y aurait eu des inspections sanitaires et financières dans votre magasin. Vous auriez aussi eu des problèmes à l’université.

Vous ne précisez pas en quoi auraient consisté vos problèmes à l’université et en quoi les contrôles sanitaires et financiers auraient été abusifs.

Vous relatez encore avoir peur du SPS et d’une milice serbe appelée “ FRENK ”.

Votre nom aurait été sur une liste noire. Vous n’arrivez pas à expliquer comment vous avez connaissance que vous vous trouverez sur ces listes noires.

Vous auriez également peur de la vengeance des Albanais, parce que vous auriez été obligé de servir des policiers serbes dans votre magasin. Vous déclarez que votre situation serait actuellement difficile étant donné que vous ne parlez pas l’albanais.

En 1993 vous auriez été maltraité par la police serbe.

Madame, vous déclarez que votre mari ne pourrait pas rentrer à cause de ses problèmes, sans être en mesure de préciser de quels problèmes il s’agit.

Vous n’invoquez pas d’éléments de persécution personnelle.

Force est cependant de constater que l’armée fédérale yougoslave et les forces de police dépendant des autorités serbes, à l’origine des répressions et exactions commises au 2 Kosovo, ont quitté ce territoire. Une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée au Kosovo et une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place.

Par ailleurs des centaines de milliers de personnes, qui avaient quitté le Kosovo pour se réfugier en Albanie et dans l’Ancienne République yougoslave de Macédoine, ont réintégré leurs foyers après l’entrée des forces internationales sur le territoire.

En outre, il ressort de vos déclarations que vous avez un sentiment général d’insécurité. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Dans ces circonstances vous ne pouvez pas faire état d’un risque actuel de persécution pour des motifs tenant à votre race, à vos opinions politiques, à votre religion, à votre nationalité ou à votre appartenance à un groupe social, que vous courriez si vous deviez retourner dans votre territoire d’origine.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ”.

Le 25 avril 2000, Madame … donna naissance à un deuxième enfant dénommé Edvin.

Par requête déposée en date du 30 août 2000, les époux RASTODER-… ont fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision précitée du ministre de la Justice du 15 juin 2000.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle entreprise.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, les demandeurs font exposer que Monsieur RASTODER est originaire du Monténégro et de religion musulmane, que la situation générale existant au Monténégro serait “ explosive étant donné qu’il s’y trouve de nombreux partisans pro-Milosevic ”, qu’il aurait effectué son service militaire en 1988/1989 en Croatie, qu’en 1992, il aurait été convoqué à trois reprises pour faire la réserve militaire, raison pour laquelle il se serait enfui et pour laquelle il ne pourrait pas rentrer dans son pays d’origine. Il fait encore exposer qu’il serait sympathisant du “ SDA ”, sans en avoir été membre, qu’il aurait participé à des “ bals ” et à des réunions organisés par le “ SDA ”, qu’à la fin d’un de ces bals, il aurait été interpellé par la police et frappé avec une matraque, qu’il figurerait sur une liste noire et risquerait d’être tué et que toute sa famille serait en danger de mort.

Concernant encore la personne de Monsieur RASTODER, ils font ajouter qu’il aurait peur de l’armée yougoslave, du “ SPS (parti politique serbe) ” et des “ Frenkovi (milice serbe 3 qui existe depuis 1998) ”, qu’il craindrait les Serbes et les Albanais, que sa peur serait liée à ses convictions religieuses, qu’il aurait connu des problèmes pendant qu’il a effectué ses études universitaires et, plus particulièrement, qu’il aurait été “ ignoré et maltraité ” par ses professeurs, qu’après ses études, il aurait ouvert une épicerie et que l’inspection sanitaire et l’inspection des prix serait venue le contrôler tous les jours et lui aurait fait payer des amendes.

Enfin, les demandeurs font exposer qu’ils auraient peur de retourner au Monténégro, qu’ils ne parleraient pas l’albanais et que les musulmans seraient maltraités et discriminés par les Serbes et les Albanais et qu’eux-mêmes et leurs enfants seraient en danger de mort.

Sur ce, ils estiment qu’ils feraient valoir des craintes justifiées de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des consorts RASTODER-… et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme “ réfugié ” s’applique à toute personne qui “ craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ”.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux RASTODER-… lors de leurs auditions respectives en date des 27 mai et 6 septembre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les trois comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

4 En premier lieu, c’est à bon droit que le délégué du gouvernement relève que les demandeurs mélangent d’une manière allègre les situations qui existent ou existaient au Monténégro et au Kosovo.

Sur ce, le tribunal est amené à retenir, sur base des éléments qui se dégagent du dossier administratif, que, si Monsieur RASTODER est né au Monténégro, il a fait ses études au Kosovo, où les époux RASTODER-… s’étaient également établis à Vitomirica/Pec, où leur première fille est née en avril 1997, et d’où ils déclarent s’être enfuis le 31 août 1998, de sorte que la situation des consorts RASTODER-… en cas de retour dans leur pays d’origine doit prioritairement être examinée par rapport à la situation existant au Kosovo et non celle qui existe au Monténégro, cette dernière n’intervenant qu’indirectement respectivement dans la mesure où elle est de nature à influer sur celle du Kosovo ou, le cas échéant, dans le cadre de l’examen d’une possibilité de fuite interne.

Un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant de groupes de la population, en l’espèce de la population serbe ou albanaise du Kosovo, ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

En l’espèce, les demandeurs font état de leur crainte de voir commettre des actes de violence à leur encontre, mais ne démontrent point que les autorités administratives en place chargées du maintient de la sécurité et de l’ordre publics ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Kosovo.

Pour le surplus, abstraction faite de certaines contradictions au niveau des déclarations des demandeurs, l’examen des arguments et déclarations faites par ceux-ci, amène le tribunal à conclure que, dans leur ensemble et en substance, ils constituent l’expression d’un sentiment général de peur, sans qu’ils ont fait état d’un état de persécution vécu ou d’une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine, étant relevé dans ce contexte que ni lors de leurs auditions ni par la suite ils n’ont aucunement établi des raisons personnelles suffisamment précises de nature à justifier dans leur chef une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur religion musulmane, des participations à des manifestations du parti “ SDA ”, voire de la prétendue insoumission de Monsieur RASTODER. - Concernant ladite insoumission, il convient d’ajouter que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d’asile une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de 5 son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève et qu’il ne ressort des éléments du dossier ni que le demandeur risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de sa prétendue insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève.

Le recours en réformation est donc à rejeter comme non fondé.

Le mandataire des demandeurs ayant communiqué au tribunal une lettre du bâtonnier de l’Ordre des avocats en date du 17 août 2000 le désignant pour assister judiciairement la famille RASTODER-…, il échet de donner acte aux demandeurs de ce qu’ils bénéficient de l’assistance judiciaire.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

donne acte aux demandeurs qu’ils bénéficient de l’assistance judiciaire;

reçoit le recours en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 11 décembre 2000, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12287
Date de la décision : 11/12/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-12-11;12287 ?

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