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04/12/2000 | LUXEMBOURG | N°12462

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 04 décembre 2000, 12462


N° 12462 du rôle Inscrit le 3 novembre 2000 Audience publique du 4 décembre 2000

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Recours formé par Madame … KALAC-… et consorts contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro 12462 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 3 novembre 2000 par Maître François BROUXEL, avocat à la Cour, assisté de Maît

re Franck GREFF, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au ...

N° 12462 du rôle Inscrit le 3 novembre 2000 Audience publique du 4 décembre 2000

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Recours formé par Madame … KALAC-… et consorts contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro 12462 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 3 novembre 2000 par Maître François BROUXEL, avocat à la Cour, assisté de Maître Franck GREFF, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … KALAC-…, née le…, agissant tant en son nom personnel qu’en nom et pour compte de ses deux enfants mineurs …, toutes les trois de nationalité yougoslave, originaires du Monténégro, demeurant actuellement ensemble à L-

…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 21 août 2000, déclarant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique manifestement infondée ainsi que d’une décision confirmative du même ministre, rendue sur recours gracieux, du 6 octobre 2000;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 novembre 2000;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge rapporteur en son rapport, Maître Franck GREFF, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Madame … KALAC-…, née le … à …/Monténégro, agissant tant en son nom personnel qu’en nom et pour compte de ses deux enfants mineurs …, toutes les trois de nationalité yougoslave et originaires du Monténégro, demeurant actuellement ensemble à L-

…, introduisit en date du 10 novembre 1999 une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé “ la Convention de Genève ”.

Elle fut entendue en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité ainsi que sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Elle fut entendue en date du 16 novembre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision datant du 21 août 2000, notifiée le 28 août 2000, le ministre de la Justice informa Madame KALAC-… que sa demande avait été rejetée aux motifs suivants :

“ (…) Il résulte de vos déclarations qu’environ trois mois avant votre arrivée au Luxembourg vous avez quitté votre domicile au Monténégro, en compagnie de vos deux filles, pour vous rendre à Sarajevo en Bosnie. Vous dites avoir quitté Sarajevo le 7 novembre 1999 à bord d’une camionnette. Vous ne pouvez pas donner de plus amples renseignements sur le trajet emprunté, affirmant n’avoir roulé que la nuit. Vous êtes arrivées au Luxembourg le 10 novembre 1999 vers 7.00 heures du matin.

Vous avez déposé une demande en obtention du statut de réfugié le jour de votre arrivée.

Vous déclarez tout d’abord qu’au moment de votre arrivée au Luxembourg vous êtes sans nouvelles de votre mari depuis deux ans. Vous exposez avoir quitté votre pays en raison des mauvaises conditions de vie, affirmant que le pays se trouve dans une crise économique et politique.

Il résulte par ailleurs de vos déclarations que vous n’êtes pas membre d’un parti politique et que vous n’avez pas d’opinions politiques. Vous soulignez n’avoir jamais été persécutée.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution pour une des raisons invoquées par la Convention de Genève.

Or selon l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, “ une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ”. Par ailleurs, l’article 3 du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 précitée, dispose que “ une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsque le demandeur n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande ”.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme manifestement infondée au sens de l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 (…) ”.

2 A la suite d’un recours gracieux introduit au nom de Madame KALAC-… par son mandataire, daté au 28 septembre 2000, la décision initiale fut confirmée par une décision du ministre de la Justice du 6 octobre 2000.

Par requête du 3 novembre 2000, Madame KALAC-… a introduit un recours en réformation contre les décisions ministérielles précitées des 21 août et 6 octobre 2000.

Le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours en réformation au motif que la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoirait qu’en matière de demandes d’asile rejetées comme manifestement infondées, seul un recours en annulation pourrait être introduit auprès du tribunal administratif.

En vertu de l’article 10, paragraphe (3) de la loi précitée du 3 avril 1996, seul un recours en annulation est ouvert devant le tribunal administratif à l’encontre des décisions par lesquelles le ministre de la Justice a déclaré une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme étant manifestement infondée au sens de l’article 9 de la même loi.

Ledit recours en annulation doit être introduit dans un délai d’un mois à partir de la notification de la décision en question.

Dans une matière dans laquelle seul un recours en annulation est prévu, le recours introduit sous forme de recours en réformation est néanmoins recevable dans la mesure des moyens de légalité invoqués, à condition d’observer les règles de procédure et les délais sous lesquels le recours en annulation doit être introduit (trib. adm. 26 mai 1997, n° 9370 du rôle, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en annulation, III. Divers, n° 25, p. 308 et autres références y citées).

En l’espèce, la requête introductive d’instance déposée au greffe du tribunal administratif le 3 novembre 2000, par laquelle la demanderesse a introduit un recours en réformation contre les décisions ministérielles entreprises des 21 août et 6 octobre 2000, est à déclarer recevable dans la mesure des moyens de légalité invoqués à l’appui dudit recours, et dans la mesure où il a par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, la demanderesse expose qu’elle même ainsi que ses deux filles mineures sont de nationalité yougoslave et de croyance musulmane, qu’elles auraient quitté le Monténégro en raison du fait que “ les Serbes et Albanais ne parviennent pas à cohabiter, ce qui contribue au développement d’une grande insécurité ”, qu’avant de rejoindre Sarajevo, elles auraient habité à la frontière entre la partie serbe et la partie albanaise du Monténégro, partant une région où il existerait “ une tension importante et un sentiment d’insécurité quotidien …, sentiment encore renforcé par la présence constante de la police ”, que notamment “ certains militaires ont maltraité des civils dans la région où résidait la famille KALAC-… ” et que de ce fait, elle craignait de subir des représailles et des persécutions tant pour elle même que pour ses deux filles en cas de retour dans leur pays d’origine, en insistant sur le fait que la situation d’après guerre demeurerait toujours instable et que ce serait partant à bon droit qu’elle continuerait à être inquiète pour sa sécurité dans son pays d’origine.

Sur base des faits ainsi exposés, elle soutient que le ministre de la Justice aurait commis une violation de la loi ainsi qu’une erreur manifeste d’appréciation des faits, en 3 procédant à un examen superficiel de ceux-ci, dans la mesure où il n’aurait pas pris en considération les craintes réelles de persécution auxquelles elle-même ainsi que ses deux filles mineures seraient exposées dans leur pays d’origine.

Le délégué du gouvernement rétorque que la situation générale du pays d’origine ne justifierait pas à elle seule la reconnaissance du statut de réfugié politique, étant donné qu’une crainte avec raison d’être persécuté dans son pays d’origine, au sens de la Convention de Genève, impliquerait également un élément subjectif tenant à la situation personnelle du demandeur d’asile. Il soutient encore qu’il ne saurait être reproché au ministre de la Justice d’avoir procédé à un examen superficiel des faits, alors que celui-ci n’aurait pu que statuer sur le “ peu de déclarations ” de la demanderesse, telles que celles-ci ressortent du rapport dressé à la suite de son audition du 16 novembre 1999.

Il estime, d’une manière générale, que la demanderesse n’aurait invoqué aucune persécution ou crainte de persécution au sens de la Convention de Genève et que ce serait partant à bon droit que le ministre de la Justice a déclaré sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme étant manifestement infondée.

Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 “ une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New-York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de tout fondement (…) ”.

En vertu de l’article 3, alinéa 1er du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 “ une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’un demandeur n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande ”.

Il ne suffit pas qu’un demandeur d’asile invoque un ou des motifs tombant sous le champ d’application de la Convention de Genève, il faut encore que les faits invoqués à la base de ces motifs ne soient pas manifestement incrédibles ou, eu égard aux pièces et renseignements fournis, que la crainte ne soit manifestement dénuée de fondement. Ainsi, il ne suffit pas d’invoquer une crainte de persécution pour un des motifs prévus par la Convention de Genève, il faut encore que le demandeur d’asile soumette aux autorités compétentes des éléments suffisamment précis permettant à celles-ci d’apprécier la réalité de cette crainte. L’absence de production de tels éléments a pour conséquence que la demande d’asile doit être déclarée manifestement infondée.

Le tribunal doit partant examiner, sur base de l’ensemble des pièces du dossier et des renseignements qui lui ont été fournis, si les faits peuvent être qualifiés de manifestement incrédibles ou la crainte de manifestement dénuée de fondement.

En l’espèce, l’examen des faits et motifs invoqués par la demanderesse à l’appui de sa demande d’asile amène le tribunal à conclure qu’elle n’a manifestement pas établi, ni même allégué, des raisons personnelles suffisamment précises de nature à établir dans son chef ainsi que dans le chef de ses deux enfants mineurs, l’existence d’une crainte justifiée de 4 persécution au sens de la Convention de Genève dans leur pays de provenance. - En effet, lors de son audition, telle que celle-ci a été relatée dans le compte rendu figurant au dossier, Madame KALAC-… a affirmé qu’elle avait quitté son pays d’origine en raison du fait “ qu’il est difficile de vivre là-bas ”, étant donné qu’il y existerait une crise économique et politique et que c’est “ un pays où il n’y a pas de sécurité ”. Elle a encore indiqué qu’elle n’était pas membre d’un parti politique ou d’un groupe social défendant les intérêts de personnes, qu’elle n’avait pas d’opinions ou d’activités politiques et qu’elle n’avait pas personnellement subi des persécutions. Interrogée plus particulièrement sur les raisons de sa peur, elle a indiqué qu’elle avait “ peur de Milosevic ” et que “ la situation n’est pas sure ”.

Par ailleurs, elle ne pouvait pas indiquer si cette peur était liée à ses opinions politiques, religieuses ou en raison de son appartenance à un groupe social ou national.

Le tribunal constate que la demanderesse base sa crainte de persécution sur la situation générale existant au Monténégro, sans apporter davantage de précisions quant aux persécutions qu’elle risque personnellement de subir en cas de retour. Les arguments qu’elle a invoqués sont en outre d’ordre essentiellement économique et ne constituent pas, à eux seuls, un motif de reconnaissance du statut de réfugié.

Il se dégage des considérations qui précèdent que la demanderesse reste en défaut de faire état d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève au Monténégro.

La demande d’asile ne repose dès lors sur aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève.

Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre de la Justice a déclaré la demande d’asile de Madame KALAC-…, présentée tant en son nom personnel qu’en nom et pour compte de ses deux enfants mineurs, comme étant manifestement infondée, de sorte que le recours formé par elle est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

déclare le recours recevable en ce qu’il tend à l’annulation des décisions déférées et, pour le surplus, se déclare incompétent pour en connaître ;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais.

5 Ainsi jugé par :

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme. Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 4 décembre 2000 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12462
Date de la décision : 04/12/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-12-04;12462 ?

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