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04/12/2000 | LUXEMBOURG | N°12198

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 04 décembre 2000, 12198


N° 12198 du rôle Inscrit le 3 août 2000 Audience publique du 4 décembre 2000

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Recours formé par Monsieur … LICINA, Esch-sur-Alzette contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro 12198 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 3 août 2000 par Maître Jean-Georges GREMLING, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mo

nsieur … LICINA, originaire du Monténégro, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ...

N° 12198 du rôle Inscrit le 3 août 2000 Audience publique du 4 décembre 2000

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Recours formé par Monsieur … LICINA, Esch-sur-Alzette contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro 12198 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 3 août 2000 par Maître Jean-Georges GREMLING, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … LICINA, originaire du Monténégro, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 31 mai 2000, notifiée le 4 juillet 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 août 2000 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au nom du demandeur le 15 septembre 2000 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Monique CLEMENT, en remplacement de Maître Jean-Georges GREMLING, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 7 novembre 2000.

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Le 20 mai 1999, Monsieur … LICINA, né le … à … (Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé “ la Convention de Genève ”.

Monsieur LICINA fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg, ainsi que sur son identité.

Le 22 juillet 1999, Monsieur LICINA fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 31 mai 2000, notifiée le 4 juillet 2000, le ministre de la Justice informa Monsieur LICINA de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: “ (…) Vous avez exposé que vous avez n’avez pas encore fait le service militaire. Vous avez reçu une convocation pour passer le contrôle d’aptitude physique, mais vous ne vous êtes pas présenté. Vous dites avoir refusé parce que vous ne vouliez pas qu’il vous arrive la même chose qu’à votre frère, qui a été blessé alors qu’il faisait son service militaire.

Maintenant vous avez peur de rentrer parce que vous craignez d’être puni. Vous affirmez par ailleurs que vous auriez quitté votre pays à cause de la guerre et des bombardements de l’OTAN.

Il résulte également de vos déclarations que vous n’êtes pas membre d’un parti politique et que la politique ne vous intéresse pas.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi la crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social.

En ce qui concerne votre peur des bombardements de l’OTAN, je souligne que le conflit armé au Kosovo a cessé depuis juin 1999 et que depuis lors des bombardements par l’OTAN dans la région ont cessé.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève.

(…) ”.

Par requête déposée en date du 3 août 2000, Monsieur LICINA a fait introduire un recours tendant à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 31 mai 2000.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoyant un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours au fond introduit à titre principal.

Le recours en réformation, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. Le recours subsidiaire en annulation est par voie de conséquence irrecevable.

A l’appui de son recours, le demandeur, de confession musulmane, expose qu’il ne se serait pas rendu au service militaire par crainte d’y subir le même sort que son frère Elis LICINA, lequel aurait été blessé lors de son service militaire et qu’il aurait quitté son pays en raison de la guerre et des bombardements de l’OTAN. Il se prévaut en outre de la situation politique et militaire au Kosovo qui ne serait toujours pas stable et sujette à conflits, ainsi que du fait que les musulmans seraient maltraités et discriminés par les Serbes et les Albanais, pour conclure à l’existence dans son chef d’un risque actuel de persécution pour des motifs tenant à 2 sa religion et à sa nationalité. Relativement à sa situation individuelle, il expose avoir peur d’être condamné pour insoumission en cas de retour dans son pays.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du Gouvernement rétorque que la référence faite par le demandeur à la situation actuelle au Kosovo serait sans incidence en l’espèce, étant donné que le demandeur est originaire du Monténégro.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur fait valoir que la référence à la situation politique et militaire au Kosovo permettrait de donner une appréciation globale de la situation en Yougoslavie tout en relevant qu’il n’aurait nullement affirmé que sa demande d’asile devrait être appréciée par rapport au Kosovo. Il expose par ailleurs que les élections fédérales yougoslaves et les élections municipales des mois de septembre et d’octobre 2000 n’auraient fait qu’accentuer les tensions et que les minorités seraient les plus menacées par ces élections, pour soutenir que les violences et les mauvais traitements dont seraient victimes les musulmans seraient de nature à rendre sa vie intolérable dans son pays d’origine et justifieraient dans son chef une crainte de persécution personnelle.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève dispose que le terme “ réfugié ” s’applique à toute personne qui “ craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ”.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. – Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d’un recours en réformation, à apprécier le bien fondé et l’opportunité d’une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699 du rôle, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur LICINA lors de son audition du 22 juillet 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés en cours de procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit l’existence d’une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, les arguments du demandeur basés sur la situation des musulmans au Kosovo ne sauraient être considérés en l’espèce, étant donné que Monsieur LICINA est originaire du Monténégro et que partant sa situation personnelle en cas de retour dans son pays d’origine doit prioritairement être examinée par rapport à la situation existant au Monténégro, celle du Kosovo n’intervenant qu’indirectement respectivement dans la mesure où elle est de nature à 3 influer sur celle du Monténégro ou, le cas échéant, dans le cadre de l’examen d’une possibilité de fuite interne.

Concernant plus particulièrement les agressions alléguées exercées par les Serbes et les Albanais à l’égard des musulmans, force est de constater que même en admettant que le demandeur se réfère à cet égard à la situation au Monténégro, il reste pas moins que ces actes, même à les supposer établis, émanent non pas de l’Etat, mais d’un groupe de la population que constituent en l’occurrence les serbes.

Or, une persécution émanant non pas de l’Etat, mais de groupes de la population ne peut être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève. La notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves CARLIER : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

En l’espèce, le demandeur reste en défaut d’établir concrètement à la fois l’existence de persécutions systématiques à son encontre, voire à l’encontre d’autres personnes en raison de leur confession musulmane, ainsi que la carence d’une protection afférente, dûment sollicitée, de la part des autorités en place, de sorte que le moyen afférent laisse d’être fondé.

Concernant ensuite le motif de l’insoumission, force est encore de constater que l’insoumission n’est pas, en elle même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur une crainte justifiée d’être persécuté au sens de la Convention de Genève dans son pays d’origine. Le demandeur reste par ailleurs en défaut d’établir, voire d’alléguer un risque d’encourir une condamnation en raison de son insoumission qui serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction pour une des causes visées par la Convention de Genève.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

4 condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 4 décembre 2000 par:

M. Campill, premier juge, Mme. Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Campill 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12198
Date de la décision : 04/12/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-12-04;12198 ?

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