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29/11/2000 | LUXEMBOURG | N°12200

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 29 novembre 2000, 12200


Numéro 12200 du rôle Inscrit le 3 août 2000 Audience publique du 29 novembre 2000 Recours formé par Monsieur … SABOTIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête, inscrite sous le numéro 12200 du rôle, déposée le 3 août 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Georges GREMLING, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de

Monsieur … SABOTIC, sans état particulier, né le … à … (Monténégro), de nationalité you...

Numéro 12200 du rôle Inscrit le 3 août 2000 Audience publique du 29 novembre 2000 Recours formé par Monsieur … SABOTIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête, inscrite sous le numéro 12200 du rôle, déposée le 3 août 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Georges GREMLING, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … SABOTIC, sans état particulier, né le … à … (Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 31 mai 2000 rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 août 2000;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 15 septembre 2000 par Maître Jean-Georges GREMLING pour compte de Monsieur SABOTIC;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Monique CLEMENT et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 7 novembre 2000.

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Le 21 décembre 1998, Monsieur … SABOTIC, sans état particulier, né le … à …(Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé “ la Convention de Genève ”.

En date du même jour, Monsieur SABOTIC fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur SABOTIC fut entendu en date du 31 janvier 2000 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande.

Le ministre de la Justice informa Monsieur SABOTIC, par lettre du 31 mai 2000, notifiée en date du 4 juillet 2000, que sa demande avait été rejetée aux motifs suivants : “ (…) Vous avez exposé que vous n’avez pas encore fait votre service militaire. Vous avez été convoqué trois fois pour passer le contrôle médical, mais vous ne vous êtes jamais présenté.

Vous aviez peur qu’on vous retienne tout de suite pour faire votre service militaire. Vous dites avoir peur d’aller à l’armée parce que vous êtes musulman et que ceux-ci sont maltraités par les Serbes. Vous ne voyez pas non plus l’opportunité de rejoindre l’armée serbe qui a fait la guerre contre les musulmans en Croatie et en Bosnie.

Il résulte également de vos déclarations que vous aviez demandé l’asile en Allemagne en 1992 ou 1993. A l’époque, un de vos oncles, Adem Sabotic, avait perpétré un attentat contre Seselj, un collaborateur de Milosevic. Un voisin a fait des menaces à l’encontre de votre famille, qui a alors préféré aller en Allemagne. Sans attendre le résultat de la procédure d’asile en Allemagne, vous êtes retourné sept mois plus tard au Monténégro avec votre mère, celle-ci estimant qu’il n’y avait plus de danger pour elle et vous.

Vous dites avoir peur de vos voisins pour le même motif qui vous a fait fuir en Allemagne en 1992 ou 1993. Vous prétendez même que des Serbes vous auraient menacé de mort.

Il ressort également de vos déclarations que vous n’êtes pas membre d’un parti politique et que vous n’avez pas d’opinions politiques.

L’insoumission n’est pas en elle-même un motif de reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d'asile une crainte justifiée d'être victime de persécutions au sens de l'article 1er A §2 de la Convention de Genève.

En outre, vous basez votre demande en obtention du statut de réfugié politique sur des motifs personnels sans citer un quelconque fait pouvant être considéré comme constituant une persécution ou une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. Ainsi vous soutenez avoir reçu des menaces de la part de votre voisin en raison de l’attentat perpétué par votre oncle sur un collaborateur de Milosevic. Même si le récit des menaces auxquelles vous étiez exposé a trait à des pratiques certainement condamnables, je me dois de constater qu’au moment où vous quittiez votre pays d’origine pour le Luxembourg, vous n’étiez pas exposé à un risque de persécution pour une des cinq raisons énumérées par la Convention de Genève.

2 Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…)”.

A l’encontre de cette décision ministérielle de rejet du 31 mai 2000, Monsieur SABOTIC a fait introduire un recours en réformation par requête déposée le 3 août 2000.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, dans sa teneur applicable au moment de la prise des décisions déférées, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal. Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est irrecevable. Le recours en réformation est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Quant au fond, le demandeur estime que la notion de crainte avec raison de persécutions implique la réunion d’éléments objectifs relatifs à la situation générale du pays d’origine et des éléments subjectifs propres à la situation personnelle du demandeur d’asile.

En guise d’éléments objectifs, le demandeur fait valoir que les Musulmans du Monténégro seraient maltraités et discriminés par les Serbes et qu’il n’aurait pas voulu joindre l’armée serbe en tant que Musulman, étant donné que les Serbes faisaient la guerre contre les Musulmans en Bosnie et en Croatie.

Quant à sa situation personnelle, le demandeur se fonde sur l’attentat commis par son oncle Adem SABOTIC contre un collaborateur de MILOSEVIC et les menaces proférées, suite à cet attentat, à l’encontre de son oncle et de toute la famille SABOTIC par un voisin. Il expose qu’en raison de ce danger imminent il aurait quitté l’Allemagne avec sa mère sans attendre le résultat d’une demande d’asile qu’il y avait présentée. Le demandeur ajoute “ qu’au moment où il a dû quitter son pays d’origine pour le Luxembourg il était persécuté car il est musulman ”.

Le délégué du Gouvernement rétorque que la simple appartenance à une religion minoritaire ne saurait en tant que telle constituer un motif valable pour l’obtention du statut de réfugié politique. Concernant “ le prétendu attentat ” de l’oncle du demandeur, le représentant fait remarquer que ces faits remontent à l’année 1992, que le demandeur avait déjà demandé à cette époque l’asile politique en Allemagne pour retourner au Kosovo quelques mois après et que ce dernier “ semble ne pas avoir été inquiété outre mesure entre 1993 et 1998 ”. Il ajoute que, même en admettant que des persécutions contre des proches parents peuvent, selon les circonstances particulières, justifier une crainte légitime de subir le même sort, le demandeur resterait en défaut d’établir de telles circonstances particulières.

Le demandeur fait répliquer qu’il devrait subir les insultes et les menaces de mort de la part de Serbes et que les autorités en place ne lui assureraient pas une protection efficace en 3 termes de poursuite et de répression de ces actes de violence. Il ajoute que les élections fédérales yougoslaves et les élections municipales récentes n’auraient fait qu’accentuer les tensions et les menaces pesant sur les minorités. Il fait enfin valoir que l’attentat commis par son oncle contre un collaborateur de MILOSEVIC aurait mis en danger toute sa famille, qui serait la seule de religion musulmane dans la rue où il habitait, ce danger s’étant manifesté notamment par des insultes et menaces de mort de la part de Serbes, et que ces persécutions à l’encontre de l’un de ses proches parents seraient de nature à fonder dans son chef une crainte légitime de persécution.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme “ réfugié ” s’applique à toute personne qui “ craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ”.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n° 12179C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, le demandeur se prévaut d’une manière générale du traitement du groupe religieux dont il fait partie par les Serbes et plus particulièrement d’insultes et de menaces proférées contre lui et sa famille par des Serbes vivant dans son entourage. En ce qui concerne le prétendu risque actuel de subir des persécutions de la part d’un groupe de la population et, partant, d’un défaut de protection de la part des autorités de son pays d’origine face à ces actes de persécution, ainsi mis en exergue par le demandeur, il convient de relever qu’une persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant non pas de l’Etat, mais de groupes de la population ne peut être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. La notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus 4 que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

En l’espèce, le demandeur fait état de sa crainte de devenir la victime d’actes de violence, mais ne démontre point avoir concrètement recherché ladite protection de la part des autorités en place dans son pays d’origine et avoir été confronté à un refus de la part de ces dernières pour l’un des motifs visés à la Convention de Genève. Dans ce cadre, le demandeur omet d’établir concrètement dans quelle mesure l’attentat prévisé commis par son oncle au cours de l’année 1992 et avant son retour dans son pays d’origine pour cinq ans est encore de nature à entraîner pour lui un risque actuel de persécution.

Par ailleurs, il y a lieu de préciser que l’insoumission ne constitue pas en elle-même un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d’asile une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er paragraphe 2 de la section A de la Convention de Genève, le demandeur restant en défaut d’établir concrètement un élément susceptible de justifier pour quelle raison son insoumission serait de nature à entraîner dans son chef, au jour ou la juridiction statue, des persécutions pour l’un des motifs visées par la Convention de Genève (Cour adm. 19 octobre 2000, Crnovrsanin, n° 12146C, non encore publié).

Il résulte des développements qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé au demandeure la reconnaissance du statut de réfugié politique, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours principal en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, laisse les frais à charge du demandeur.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 29 novembre 2000 par:

M. CAMPILL, premier juge, Mme LENERT, premier juge, 5 M. SCHROEDER, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef SCHMIT CAMPILL 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12200
Date de la décision : 29/11/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-11-29;12200 ?

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