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29/11/2000 | LUXEMBOURG | N°12159

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 29 novembre 2000, 12159


N° 12159 du rôle Inscrit le 27 juillet 2000 Audience publique du 29 novembre 2000

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Recours formé par les époux … AJDARPASIC et …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro 12159 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 juillet 2000 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des ép

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N° 12159 du rôle Inscrit le 27 juillet 2000 Audience publique du 29 novembre 2000

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Recours formé par les époux … AJDARPASIC et …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro 12159 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 juillet 2000 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des époux … AJDARPASIC, né le … à …(Monténégro) et …, née le … à …(Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, agissant en leur nom personnel, ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … AJDAPARSIC, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 8 mai 2000, notifiée le 24 mai 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative, rendue sur recours gracieux, du 27 juin 2000 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 4 août 2000 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Louis TINTI et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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En dates respectivement des 22 juin 1999 et 17 mars 2000, les époux … AJDARPASIC, né le … à …(Monténégro) et …, née le … à … (Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, agissant en leur nom personnel, ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … AJDAPARSIC, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé “ la Convention de Genève ”.

En date des mêmes jours Madame …, respectivement son époux Monsieur … AJDARPASIC, furent entendus par des agents du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg, ainsi que sur leur identité.

Les époux AJDARPASCI-… furent entendus séparément par des agents du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile en date respectivement des 25 juin 1999 et 22 mars 2000.

Par décision du 8 mai 2000, notifiée le 24 mai 2000, le ministre de la Justice informa les époux AJDARPASIC-… de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: “ (…) Il résulte de vos déclarations, Madame, que vous avez quitté avec quatre de vos enfants le Monténégro au moment des bombardements, en direction de Sarajevo. Vous avez rejoint le Luxembourg en passant notamment par la Croatie.

En ce qui vous concerne, Monsieur, vous avez fait des déclarations divergentes quant au moment de votre départ du Monténégro. Ainsi il résulte de vos déclarations faites auprès du Service de Police Judiciaire, que vous auriez quitté le Monténégro 6 ou 7 jours avant votre arrivée au Luxembourg en date du 17 mars 2000. Vous vous seriez à Sarajevo (sic) où vous auriez été hébergé par votre belle-sœur pendant deux nuits. Lors de votre audition par un agent du Ministère de la Justice vous affirmez que vous auriez définitivement quitté le Monténégro au mois de décembre 1999 ou janvier 2000 pour vous installer chez votre belle-

sœur à Sarajevo jusqu’à votre départ. Vous vous souvenez avoir traversé la Slovénie, mais vous ne pouvez pas donner de plus amples renseignements sur le trajet jusqu’au Luxembourg.

Vous avez exposé, Monsieur, que vous avez réussi vers le 15 mai 1999 à déserter de l’armée yougoslave alors que votre unité était stationnée à Pec/Vitomirica au Kosovo. Vous justifiez votre désertion par votre aversion de tuer des gens innocents.

Vous affirmez par ailleurs que vous avez été à plusieurs reprises maltraité, aussi bien par des militaires que par la police militaire, ceci notamment parce que votre fils ne s’est pas présenté pour faire la réserve, respectivement parce que vous avez voté pour Djukanovic lors des élections.

Vous n’envisagez pas un retour dans votre pays, craignant d’être condamné à une peine de prison ou même d’être fusillé.

S’il est vrai que la désertion peut être considérée comme une infraction à la loi, la crainte des poursuites et du châtiment ne constitue pas pour autant une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de l’article 1er A.2 de la Convention de Genève.

Il ne se dégage pas non plus de vos allégations, qui ne sont d’ailleurs corroborées par aucun élément tangible, que vous risquiez ou risquez d’être persécuté pour une des raisons énumérées par l’article 1er, a.2 de la Convention de Genève.

En effet, même si le récit relatif aux mauvais traitements vous infligés par la police miliaire respectivement par des militaires pour les raisons invoquées par vous, ont trait à des pratiques certainement condamnables, ces faits ne sont cependant pas d’une gravité telle – même à les supposer établis – qu’ils justifient une crainte de persécution au sens de la Convention.

En ce qui vous concerne, Madame, vous n’invoquez aucun risque de persécution propre à votre personne.

2 Par conséquent vous n’alléguez tous les deux aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ”.

Par lettre datée du 21 juin 2000, les époux AJDARPASIC-… firent introduire, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 8 mai 2000.

Par décision du 27 juin 2000, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 27 juillet 2000, les époux AJDARPASIC-… ont fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions ministérielles précitées des 8 mai et 27 juin 2000.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal administratif est compétent pour connaître du recours en réformation. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs reprochent au ministre d’avoir fait une appréciation erronée des faits par eux exposés et de ne pas avoir tiré les conséquences qui se seraient imposées du fait de la persécution dont ils auraient été victimes et plus particulièrement Monsieur AJDARPASIC en raison de son comportement pouvant être interprété comme l’expression d’une opinion politique. Ils font exposer à cet égard que le départ de Monsieur AJDARPASIC de son pays d’origine, ainsi que sa désertion de l’armée yougoslave vers le 15 mai 1999 auraient été motivés par le fait qu’il ne voulait “ pas faire la guerre contre des innocents. C’est une question de conscience ”, et qu’à l’heure actuelle, il ne souhaiterait toujours pas rentrer dans son pays d’origine, au motif qu’il “ risque d’être attrapé par l’armée de Milosevic (et) risque la mort ”. Ils font valoir que ce risque serait encore accru du fait que Monsieur AJDARPASIC est de religion musulmane et aurait exprimé son droit de vote de façon contraire aux intérêts du parti de MILOSEVIC lors des dernières élections, ce qui l’exposerait à des représailles de la part des partisans de ce dernier en cas de retour dans son pays d’origine. Les demandeurs estiment que la crainte ainsi exprimée par Monsieur AJDARPASIC serait actuellement renforcée par la situation “ peu rassurante ” au Monténégro.

Les demandeurs exposent en outre que Monsieur AJDARPASIC aurait déserté de l’armée yougoslave à la suite d’un ordre de rejoindre les troupes stationnées au Kosovo à Pec/Vitomirica en avril 1999 au motif de ne pas avoir pu légitimement et raisonnablement accepter d’être enrôlé dans les forces militaires yougoslaves responsables des nombreuses et inadmissibles exactions commises à l’égard de la communauté musulmane, notamment dans la province du Kosovo. Ils relèvent dans ce contexte que la responsabilité des forces militaires, 3 respectivement de leur dirigeants, dont certains sont aujourd’hui recherchés pour “ crimes contre l’humanité ”, serait actuellement établie dans la conscience universelle et font valoir qu’en cas de retour dans leur pays d’origine, la désertion de Monsieur ADJARPASIC risquerait d’être sévèrement sanctionnée par les autorités judiciaires yougoslaves, lesquelles resteraient compétentes pour connaître des faits commis dans la province du Kosovo à l’égard des habitants du Monténégro, de sorte qu’il aurait à craindre une condamnation pénale militaire d’une sévérité sans doute disproportionnée, l’exposant à un traitement discriminatoire en raison non seulement de son attitude d’insoumission, mais aussi et surtout en raison de sa confession musulmane. Les demandeurs estiment encore que le fait pour Monsieur AJDARPASIC d’avoir déserté les forces militaires yougoslaves ne devrait pas être analysé abstraction faite des autres éléments du dossier et ils relèvent à cet égard plus particulièrement le fait que les autorités yougoslaves auraient eu connaissance de ce que Monsieur ADJARPASIC aurait exprimé son droit de vote en faveur de Monsieur DJUKANOVIC et qu’il aurait déjà été victime de maltraitances et d’insultes de la part des agents policiers dans son pays d’origine.

Le délégué du gouvernement rétorque que la référence faite par les demandeurs à la situation générale récente au Monténégro qu’ils jugent “ peu rassurante ” ne justifierait pas, à elle seule, la reconnaissance du statut de réfugié et fait valoir que la même conclusion s’imposerait concernant le moyen des demandeurs basé sur la désertion de Monsieur ADJARPASIC. Il relève par ailleurs que la situation des demandeurs devrait être appréciée au jour où le tribunal est amené à statuer et soutient qu’il ne ressortirait pas du dossier que le demandeur pourrait être amené à participer actuellement à des actions militaires auxquelles des raisons de conscience valables permettraient de se soustraire. De même, il ne ressortirait pas du dossier en quoi une peine d’emprisonnement éventuellement prononcée serait disproportionnée par rapport à la gravité objective d’une telle infraction..

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève dispose que le terme “ réfugié ” s’applique à toute personne qui “ craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ”.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. – Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d’un recours en réformation, à apprécier le bien fondé et l’opportunité d’une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699 du rôle, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

4 En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux AJDARPASIC-… lors de leurs auditions en date des 25 juin 1999 et 22 mars 2000, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leur convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, le ministre a légitimement pu motiver sa décision par le fait que la crainte de poursuite pour cause de désertion dans le chef de Monsieur AJDARPASIC n’est pas, à elle seule, de nature à fonder dans le chef des demandeurs une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur pays d’origine, étant donné que, abstraction même faite de la considération que Monsieur ADJARPASIC n’établit à suffisance de droit ni avoir déserté l’armée fédérale yougoslave pour des raisons de conscience valables susceptibles de justifier, en application de la Convention de Genève, la reconnaissance du statut de réfugié politique, ni encore qu’il risquait ou risque de devoir participer à l’heure actuelle à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, les demandeurs restent encore en défaut d’établir qu’une éventuelle condamnation du chef d’insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, les demandeurs n’établissent pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la réticence du gouvernement monténégrin de coopérer avec les autorités fédérales en ce qui concerne l’exécution des peines prononcées et de la loi d’amnistie votée par le parlement du Monténégro visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale serbe, que les jugements en question sont le cas échéant encore effectivement exécutés.

Les demandeurs font état pour le surplus d’un sentiment général d’insécurité, sans cependant avoir fait état de persécutions vécues ou de craintes qui seraient telles que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine, étant relevé dans ce contexte que les incidents avec la police militaire dont Monsieur AJDARPASIC a fait état lors de son audition, même à les supposer établis et aussi condamnables qu’ils puissent être par ailleurs, ne sont pas d’une gravité telle qu’ils puissent justifier une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

5 condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 29 novembre 2000 par:

M. Campill, premier juge, Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Campill 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12159
Date de la décision : 29/11/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-11-29;12159 ?

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