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27/11/2000 | LUXEMBOURG | N°12168

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 novembre 2000, 12168


N° 12168 du rôle Inscrit le 28 juillet 2000 Audience publique du 27 novembre 2000

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Recours formé par M. … OSMANOVIC et son épouse, Mme. … et consorts, contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12168 et déposée au greffe du tribunal administratif le 28 juillet 2000 par Maître Guy THOMAS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … OSMANOVIC, né le

… à …(Monténégro), sans état particulier, et de son épouse, Madame …, née le … à … (Monténégro)...

N° 12168 du rôle Inscrit le 28 juillet 2000 Audience publique du 27 novembre 2000

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Recours formé par M. … OSMANOVIC et son épouse, Mme. … et consorts, contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12168 et déposée au greffe du tribunal administratif le 28 juillet 2000 par Maître Guy THOMAS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … OSMANOVIC, né le … à …(Monténégro), sans état particulier, et de son épouse, Madame …, née le … à … (Monténégro), sans état particulier, agissant tant en leur nom personnel qu’au nom et pour compte de leurs trois enfants mineurs …, tous les cinq de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 10 avril 2000, notifiée le 16 mai 2000, et d’une décision confirmative sur recours gracieux du 22 juin 2000, notifiée le 28 juin 2000, les deux portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 août 2000;

Vu le mémoire en réplique déposé le 16 octobre 2000 au nom des demandeurs ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Guy THOMAS, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 27 juillet 1998, Monsieur … OSMANOVIC, né le … à … (Monténégro), sans état particulier, et son épouse, Madame …, née le … à … (Monténégro), sans état particulier, agissant tant en leur nom personnel qu’au nom et pour compte de leurs trois enfants mineurs…, tous les cinq de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

1 Les époux OSMANOVIC-… furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-

ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 28 octobre 1999, les époux OSMANOVIC-… furent entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 10 avril 2000, notifiée le 16 mai 2000, le ministre de la Justice informa les époux OSMANOVIC-… de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « (…) Quant à vos déclarations, Monsieur, il ressort de celles-ci que vous avez été convoqué, avant 1993, à différentes reprises pour faire votre service militaire, mais que vous avez à chaque fois refusé les convocations. Ensuite, en 1993, vous vous êtes spontanément présenté aux autorités monténégrines pour effectuer votre service militaire afin de pouvoir bénéficier d’un passeport dans le futur. Les autorités monténégrines vous ont renvoyé vers les autorités kosovares, qui étaient compétentes pour votre enrôlement, comme vous résidiez depuis 1974 au Kosovo. Au Kosovo, les autorités militaires vous ont dit qu’elles allaient vous appeler dès qu’elles auraient besoin de vous. Elles ne vous ont jamais appelé, mais en 1998 vous avez entendu que les militaires serbes enrôlaient de force les gens dans l’armée. Vous indiquez que vous avez alors pris peur et que vous vous êtes enfui vers Sarajevo.

Lors de votre audition vous avez exposé que vous avez quitté votre pays par peur d’être enrôlé de force dans l’armée et vous croyez que vous serez jugé pour votre insoumission par un tribunal militaire serbe. Vous ne vouliez pas aller à l’armée, car vous ne vouliez pas tuer des gens, ni être tué. Vous dites aussi que maintenant vous avez peur des Albanais comme vous ne parlez pas l’albanais.

Vous avez par ailleurs affirmé avoir été membre du SDA jusqu’en 1996 et ne jamais avoir subi de persécutions.

Quant à vos déclarations, Madame, vous ne faites pas état de craintes autres que celles invoquées par votre mari.

La seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Par ailleurs, la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par conséquent, vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social n’est pas établie.

2 Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

Le recours gracieux introduit par le mandataire des époux OSMANOVIC-… en date du 14 juin 2000 à l’encontre de la décision ministérielle précitée fut rencontré par une décision confirmative du 22 juin 2000, notifiée le 28 juin 2000.

Par requête déposée en date du 28 juillet 2000, les époux OSMANOVIC-…, agissant tant en leur nom personnel qu’au nom et pour compte de leurs trois enfants, ci-après dénommés ensemble les « consorts OSMANOVIC-…», ont fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions précitées du ministre de la Justice des 10 avril et 22 juin 2000.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître de la demande en réformation dirigée contre les décisions ministérielles déférées.

Le recours en réformation, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs reprochent au ministre de la Justice d’avoir commis une erreur d’appréciation des éléments de fait et de droit, au motif qu’il se dégagerait des déclarations qu’ils auraient faites à l’occasion de leurs auditions prévisées du 28 octobre 1999, qu’ils devraient être considérés comme étant des réfugiés politiques au sens de la Convention de Genève.

Les demandeurs font exposer que les décisions entreprises méconnaîtraient « gravement la situation de la minorité des Musulmans du Kosovo parlant le serbo-croate en général et celle des requérants en particulier ». A ce titre, ils relèvent que jusqu’à l’arrivée des troupes du KFOR, les autorités yougoslaves auraient pratiqué une politique d’épuration ethnique, qui aurait été fondée sur la seule croyance religieuse, de sorte que cette minorité, qu’elle soit ou non engagée politiquement, aurait, du fait de cette appartenance, été menacée.

Ils relèvent encore que « depuis que la guerre a été menée par l’OTAN en Yougoslavie, la situation des Musulmans slaves du Kosovo a été rendue plus précaire encore : contrairement aux Albanais du Kosovo, ils parlent le serbo-croate et sont donc considérés par ces derniers comme des alliés potentiels des Serbes » . De ce fait, cette minorité ethnique ferait actuellement l’objet d’actes quotidiens de violence de la part des extrémistes albanais et les troupes du KFOR seraient impuissantes pour assurer l’ordre et empêcher de telles exactions.

Ce serait dès lors en connaissance de cette situation que les demandeurs ont répondu ce qui suit à la question de savoir ce qui les empêcherait de retourner dans leur pays, alors que la guerre serait terminée : « [nous sommes] Musulmans. Avant, les Serbes nous tuaient et maintenant les Albanais nous tuent ».

Ils font ensuite valoir que leur départ serait en outre motivé par le fait que Monsieur OSMANOVIC aurait refusé d’être enrôlé dans les forces militaires serbes, étant donné qu’il ne voulait pas participer aux atrocités de la guerre et plus particulièrement, combattre ses frères 3 musulmans. Il soutient qu’en raison de son refus de servir dans l’armée yougoslave sur base d’un recrutement forcé, il serait maintenant considéré comme déserteur et risquerait d’être condamné par la cour martiale à une peine d’emprisonnement de 5 à 20 ans, eu égard surtout à son appartenance à une minorité ethnique et religieuse. Il considère que, dans la mesure où l’action militaire à laquelle il n’aurait pas voulu s’associer, a été condamnée par la communauté internationale comme étant contraire aux règles de conduite les plus élémentaires et a justifié l’intervention de l’OTAN et l’incrimination de Slobodan MILOSEVIC comme criminel de guerre, la peine prévue pour la désertion ou l’insoumission devrait être considérée en soi comme une persécution, tout en renvoyant à cet égard à certaines prises de position ministérielles et décisions judiciaires étrangères.

Sur ce, les demandeurs estiment qu’ils remplissent les conditions légales en vue de la reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève et que les décisions ministérielles devraient être réformées en ce sens.

Le délégué du gouvernement conclut que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des consorts OSMANOVIC-… et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux OSMANOVIC-… lors de leurs auditions respectives en date du 28 octobre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

4 En effet, les décisions ministérielles de refus sont légalement justifiées par le fait que, d’une part, l’insoumission de Monsieur OSMANOVIC n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des consorts OSMANOVIC-…, une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève et que, d’autre part, il ne ressort des éléments du dossier ni que Monsieur OSMANOVIC risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de sa religion musulmane, lui ont été infligés ou risquent de lui être infligés, ni encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève.

Par ailleurs, à travers la motivation de leur recours, les demandeurs se prévalent en outre d’un risque de persécution de la part d’un groupe de la population, à savoir la population albanaise, plus particulièrement de la part des « extrémistes » albanais et d’un défaut de protection de la part des autorités de leur pays d’origine, notamment des troupes de KFOR y stationnées, pour faire face à ces actes de persécution.

Une persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant non pas de l’Etat, mais de groupes de la population ne peut être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. La notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves CARLIER : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

A supposer qu’il soit vrai que les demandeurs, en leur qualité de membre de la minorité ethnique des Musulmans du Kosovo parlant le serbo-croate, soient exposés à un risque d’agression de la part de la population musulmane parlant l’albanais, il n’en demeure pas moins qu’ils ne démontrent point que les forces onusiennes et l’administration civile actuellement en place ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Kosovo.

Pour le surplus, le tribunal est amené à constater que les déclarations et récits des demandeurs restent vagues et qu’ils n’ont pas apporté suffisamment de précisions quant aux persécutions qu’ils risqueraient personnellement de subir du fait de leur appartenance ethnique et de leurs convictions religieuses, de sorte qu’il convient de conclure qu’ils n’ont pas fait état 5 de persécutions vécues ou d’une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine.

Le recours en réformation est donc à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

se déclare compétent pour connaître du recours en réformation;

le déclare également recevable en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 27 novembre 2000, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12168
Date de la décision : 27/11/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-11-27;12168 ?

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