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27/11/2000 | LUXEMBOURG | N°12164

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 novembre 2000, 12164


N° 12164 du rôle Inscrit le 28 juillet 2000 Audience publique du 27 novembre 2000

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Recours formé par M. … KURBARDOVIC et son épouse, Mme. … et consorts, contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12164 et déposée au greffe du tribunal administratif le 28 juillet 2000 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … KURBARDOVIC, n

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N° 12164 du rôle Inscrit le 28 juillet 2000 Audience publique du 27 novembre 2000

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Recours formé par M. … KURBARDOVIC et son épouse, Mme. … et consorts, contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12164 et déposée au greffe du tribunal administratif le 28 juillet 2000 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … KURBARDOVIC, né le … à … (Monténégro), sans état particulier et de son épouse, Madame …, née le … à …(Monténégro), sans état particulier, agissant tant en leur nom personnel, qu’en nom et pour compte de leurs trois enfants mineurs …, tous les cinq de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 18 avril 2000, notifiée le 23 mai 2000, et d’une décision confirmative, sur recours gracieux, du 27 juin 2000, notifiée le 29 juin 2000, les deux portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 4 août 2000;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 2 juin 1998, Monsieur … KURBARDOVIC, né le … à … (Monténégro), sans état particulier et son épouse, Madame …, née le … à …(Monténégro), sans état particulier, agissant tant en leur nom personnel, qu’au nom et pour compte de leurs trois enfants mineurs…, tous les cinq de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, avenue de la Faïencerie introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-

après dénommé « la Convention de Genève ».

1 Les époux KURBARDOVIC-… furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-

ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il ressort d’un rapport de police du 4 juin 1998 qu’étant donné que l’identité des époux KURBARDOVIC-… n’était pas clairement établie, des recherches ont été effectuées et qu’il se serait révélé que « eine Nachfrage bei den deutschen Behörden ergab, dass KURBARDOVIC …, geboren am … in …/Monténégro, in Deutschland, beim Landratsamt Rheingau-Taunus-

Kreis gemeldet ist, und seit dem 14.6.1996 eine Duldung besitzt. Dessen Ehefrau und Kinder sind nicht unter diesen Personalien gemeldet ».

Le 17 novembre 1999, les époux KURBARDOVIC-… furent entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 18 avril 2000, notifiée le 23 mai 2000, le ministre de la Justice informa les époux KURBARDOVIC-… de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « (…) Il ressort de vos déclarations que vous avez effectué votre service militaire de 1994 à 1995 et que vous avez été convoqué pour la réserve au mois de mars 1999. Vous ne vous êtes cependant jamais présenté pour faire votre réserve, car vous étiez déjà au Luxembourg. Cependant vous croyez que vous risquez une sanction de 5 ans de prison du fait de votre insoumission.

Lors de votre audition vous avez exposé que vous avez quitté votre pays parce que la police vous soupçonnait de vente d’armes et qu’elle a effectué une perquisition à votre domicile pour rechercher des armes, deux mois avant votre départ de Rozaje. A ce titre, vous fournissez une convocation émise par le Ministère des Affaires Intérieures du Monténégro en date du 10 juin 1998, vous demandant de vous présenter pour « faire une déclaration pour vente d’armes au Kosovo ». Vous déclarez aussi que vos enfants, qui devaient fréquenter une école serbe, étaient souvent battus par leurs camarades de classe et vous vous sentiez souvent « chicané » par l’administration, qui ne vous fournissait pas un service normal, du fait que vous étiez musulman. Vous déclarez avoir peur de retourner au Monténégro du fait de votre insoumission et du fait du soupçon de vente d’armes, qui pèse sur vous.

Vous avez par ailleurs affirmé avoir été un simple membre de SDA et avoir été soupçonné de trafic d’armes, lors d’un contrôle routier effectué par la police serbe en janvier 1998. Suite à ce contrôle les policiers vous ont emmené au poste pendant une nuit et vous ont frappé. A part cet incident, vous ne dites jamais avoir été persécuté.

Quant à vos déclarations, Madame, vous indiquez avoir fait six fausses couches entre 1984 et 1987 suite au refus des autorités médicales de vous administrer les soins médicaux adéquats parce que vous êtes musulmane. Cependant vous ne faites pas état de craintes autres que celles invoquées par votre mari.

La seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Quant au soupçon de trafic d’armes, même si le récit relatif à votre arrestation par la police et aux brutalités que vous avez dû subir, en raison de la recherche d’armes, a trait à 2 des pratiques certainement condamnables, le seul fait de détenir des armes et d’avoir subi en raison de ce fait, une perquisition policière, n’est pas de nature à justifier, dans le chef des demandeurs, d’être persécuté pour une des raisons énoncées par l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève. En ce qui concerne la convocation, en date du 10 juin 1998, au Ministère des Affaires Intérieures que vous avez fournie, sans aucune reconnaissance d’authenticité de celle-ci, les motifs à la base de cette convocation font référence à une vente d’armes au Kosovo sans autre précision, de sorte qu’il peut s’agir de motifs de droit commun.

En ce qui concerne les tracasseries administratives auxquelles vous deviez faire face, celles-ci sont certes condamnables, mais elles ne constituent pas une persécution au sens de la Convention de Genève.

Par conséquent, vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

Le recours gracieux introduit par le mandataire des époux KURBARDOVIC-…, en date du 21 juin 2000 à l’encontre de la décision ministérielle précitée fut rencontré par une décision confirmative du 27 juin 2000.

Par requête déposée en date du 28 juillet 2000, les époux KURBARDOVIC-…, agissant tant en leur nom personnel qu’au nom et pour compte de leurs trois enfants, ci-après dénommés ensemble les « consorts KURBARDOVIC-…», ont fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions précitées du ministre de la Justice des 18 avril et 27 juin 2000.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître de la demande en réformation dirigée contre les décisions ministérielles déférées.

Le recours en réformation, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs font exposer que leur départ serait, entre autre, motivé par le fait que Monsieur KURBARDOVIC aurait refusé d’être enrôlé dans les forces militaires serbes, étant donné qu’il ne voulait pas « participer aux atrocités de la guerre » et plus particulièrement, combattre ses frères musulmans, et par le fait qu’il aurait été poursuivi, sans raison, par les autorités serbes pour trafic d’armes. Il estime qu’en cas de retour dans son pays d’origine, il risquerait d’être sévèrement sanctionné et qu’il devrait subir une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 5 ans du chef de son insoumission.

3 Il relève encore qu’il aurait été membre du parti politique SDA, qu’à cause de cette appartenance politique, il aurait été arrêté en janvier 1998 par la police serbe lors d’un contrôle routier et qu’il aurait alors été incarcéré pendant une journée, période durant laquelle il aurait été humilié et frappé. Dans ce contexte, il fait valoir qu’il aurait reçu une convocation datée du 10 juin 1998 pour se présenter auprès du Ministère de l’Intérieur de Rozaje pour « répondre à l’infraction de trafic d’armes », alors qu’il ignorerait « tout d’un tel chef d’accusation ».

Sur ce, les demandeurs estiment qu’ils remplissent les conditions légales en vue de la reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève et que les décisions ministérielles devraient être réformées en ce sens.

Le représentant étatique rétorque que Monsieur KURBARDOVIC se trouverait au Luxembourg depuis 1998 et qu’à cette époque, il n’y aurait pas eu d’exactions militaires au Kosovo. Il cite le rapport d’audition du 17 novembre 1999 de Monsieur KURBARDOVIC, lequel retient que : « j’étais convoqué une seule fois avant les bombardements pour faire ma réserve. Je crois que c’était au mois de mars 1999, mais j’étais déjà au Luxembourg depuis juin 1998. Ma mère m’a dit au téléphone que j’étais convoqué ».

En ce qui concerne le trafic d’armes de Monsieur KURBARDOVIC, le représentant étatique retient que force serait de constater que le demandeur n’établirait pas qu’il serait poursuivi par les autorités serbes, mais qu’il aurait simplement été convoqué devant le ministère des affaires intérieurs et qu’une simple convocation n’établirait pas qu’il est poursuivi pour un des motifs énoncés à la Convention de Genève. De même, le fait d’avoir été retenu et frappé par la police serbe, à supposer ce fait établi, constituerait un fait tout à fait isolé et ne saurait non plus justifier une reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement conclut que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des consorts KURBARDOVIC-… et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

4 Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux KURBARDOVIC-… lors de leurs auditions respectives en date du 17 novembre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, l’insoumission de Monsieur KURBARDOVIC n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des consorts KURBARDOVIC-…, une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève. En outre, il ne ressort pas des éléments du dossier que Monsieur KURBARDOVIC risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de sa religion musulmane, lui ont été infligés ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève.

Pour le surplus, le tribunal est amené à constater que les déclarations et récits des demandeurs restent vagues et qu’ils n’ont pas apporté suffisamment de précisions quant aux persécutions qu’ils risqueraient personnellement de subir du fait de leur appartenance ethnique et de leurs convictions religieuses, de sorte qu’il convient de conclure qu’ils n’ont pas fait état de persécutions vécues ou d’une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine, étant relevé dans ce contexte que, les insultes et coups que Monsieur KURBARDOVIC prétend avoir reçus à la suite d’un contrôle routier, lors duquel son adhésion au parti politique SDA aurait été découverte, même à les supposer établis, ne sont pas d’une nature suffisamment grave pour justifier un risque de persécution de ce chef.

Concernant l’affirmation du demandeur qu’il serait poursuivi pour trafic d’armes et que dans ce contexte, il aurait été convoqué devant le ministère des affaires intérieures, force est de relever qu’il n’est pas établi qu’il ne s’agit pas d’une infraction de droit commun, de sorte qu’il n’est pas établi qu’il est poursuivi pour un des motifs énoncés à la Convention de Genève.

Le recours en réformation est donc à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, 5 le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

se déclare compétent pour connaître du recours en réformation;

le déclare également recevable en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 27 novembre 2000, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12164
Date de la décision : 27/11/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-11-27;12164 ?

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