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27/11/2000 | LUXEMBOURG | N°12158

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 novembre 2000, 12158


N° 12158 du rôle Inscrit le 27 juillet 2000 Audience publique du 27 novembre 2000

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Recours formé par Monsieur … KLAPIJA, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12158 et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 juillet 2000 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … KLAPIJA, né le … à …(K

osovo), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une déci...

N° 12158 du rôle Inscrit le 27 juillet 2000 Audience publique du 27 novembre 2000

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Recours formé par Monsieur … KLAPIJA, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12158 et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 juillet 2000 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … KLAPIJA, né le … à …(Kosovo), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 27 avril 2000, notifiée le 16 mai 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 22 juin 2000, notifiée au mandataire de Monsieur KLAPIJA le 28 juin 2000;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 4 août 2000;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 12 octobre 2000 au nom du demandeur;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 22 mai 1998, Monsieur … KLAPIJA, né le … à … (Kosovo), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

1 Monsieur KLAPIJA fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 1er février 1999, Monsieur KLAPIJA fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 27 avril 2000, notifiée le 16 mai 2000, le ministre de la Justice informa Monsieur KLAPIJA de ce que sa demande d’asile avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « (…) Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté le Kosovo le 10 mai 1998. Un passeur vous a emmené le 11 mai 1998 de Rozaje jusqu’au Luxembourg, où vous êtes arrivé le 22 mai 1998.

Vous exposez que vous avez été appelé à faire le service militaire à trois reprises.

Vous avez pu obtenir un délai supplémentaire pour les deux premiers appels. Une troisième convocation vous est parvenue pour le 18 mai 1998. Cette convocation aurait été le motif de votre décision de quitter le Kosovo.

Vous indiquez que vous avez peur d’être condamné par le Tribunal Militaire à aller en prison pour ne pas avoir répondu à la troisième convocation.

Le motif de ce refus est que vous avez eu peur de la guerre du Kosovo, qu’en temps normaux vous auriez fait votre service militaire sans problèmes.

Selon vos déclarations vous refusez de faire la guerre contre des gens avec lesquels vous avez grandi ensemble, étant donné que pour vous il n’y a pas de différences entre un Albanais, un Serbe et un Musulman.

Certains de vos copains ont été frappés par la police sans avoir fait quelque chose, alors que vous avez toujours évité d’avoir des problèmes avec la police.

Le seul problème que vous avez eu avec la police était que les chefs de la police serbe sont venus dans votre garage pour se faire réparer leurs voitures, sans payer la facture par après.

Vous dites que vous n’avez pas été membre d’un parti politique et que la politique ne vous intéresse pas.

Vous relatez que quatre personnes ont été tuées dans un café à Pec à environ 100 mètres de votre maison. La police y serait entrée et aurait ouvert le feu. Vous auriez connu certaines des victimes.

Vous déclarez en outre que vous n’avez pas l’intention de retourner au Kosovo même si la situation s’améliorait.

Force est de constater que l’armée fédérale yougoslave et les forces de police dépendant des autorités serbes, à l’origine des répressions et exactions commises au Kosovo, ont quitté ce territoire. Une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations 2 Unies, s’est installée au Kosovo et une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place.

Par ailleurs des centaines de milliers de personnes, qui avaient quitté le Kosovo pour se réfugier en Albanie et dans l’Ancienne République yougoslave de Macédoine, ont réintégré leurs foyers après l’entrée des forces internationales sur le territoire.

Dans ces circonstances vous ne pouvez pas faire état d’un risque actuel de persécution pour des motifs tenant à votre race, à vos opinions politiques, à votre religion, à votre nationalité ou à votre appartenance à un groupe social, que vous courriez si vous deviez retourner dans votre territoire d’origine.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

Par lettre datée du 15 juin 2000, Monsieur KLAPIJA introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 27 avril 2000.

Par décision du 22 juin 2000, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 27 juillet 2000, Monsieur KLAPIJA a introduit un recours tendant à la réformation des décisions ministérielles précitées des 27 avril et 22 juin 2000.

Monsieur KLAPIJA fait exposer qu’il est de nationalité yougoslave, originaire du Kosovo, de religion musulmane et appartiendrait plus particulièrement à la minorité dite « boshniaque », qu’il aurait quitté son pays d’origine en raison d’une crainte légitime d’avoir à subir des persécutions dans son pays d’origine, où, même à l’heure actuelle, existerait une situation dangereuse, surtout pour les membres de minorités non albanaises.

Il ajoute encore qu’il aurait refusé de faire suite à différentes convocations pour le service militaire et qu’il craindrait des répressions violentes et injustes de la part des autorités de son pays d’origine en raison de son insoumission.

Il reproche spécialement au ministre de ne pas avoir pris en considération son appartenance à la minorité des « boshniaques », qui seraient persécutés par les Serbes, en raison de leur religion musulmane, et par les Albanais, en raison de leur langue ressemblant au serbe. En raison de cette « lacune », il estime que l’instruction de sa demande d’asile serait viciée, que les décisions ministérielles seraient insuffisamment motivées sinon non justifiées en droit et en fait.

Le représentant étatique relève spécialement que ce serait à tort que le demandeur soutiendrait que le ministre l’aurait erronément considéré comme étant d’origine albanaise et qu’ainsi, le ministre n’aurait pas tenu compte de son appartenance à la minorité « boshniaque » du Kosovo. Selon le délégué du gouvernement, le ministre ne se serait pas mépris sur ce volet 3 du dossier, étant donné que le rapport d’audition préciserait que le demandeur est musulman, que sa langue maternelle est le serbo-croate et qu’il ne parle qu’un peu d’albanais, de sorte que ni l’instruction ni la motivation des décisions querellées seraient viciées de ce chef.

Pour le surplus, le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de fait et de droit de Monsieur KLAPIJA et que le recours laisserait d’être fondé.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises. Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Concernant les moyens d’annulation basés sur l’instruction lacuneuse du dossier du demandeur et de la motivation insuffisante, il convient de relever que le demandeur omet d’établir à suffisance de droit que le ministre de la Justice se serait mépris sur son appartenance ethnique, de sorte que ni l’instruction de sa demande d’asile ni les décisions ministérielles ne sont critiquables sous ce rapport, la motivation de la décision initiale du 27 avril 2000 étant par ailleurs circonstanciée tant en droit qu’en fait.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur KLAPIJA lors de son audition en date du 1er février 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Concernant en premier lieu le motif de persécution allégué en rapport avec l’insoumission du demandeur et le risque de condamnation afférent, les décisions ministérielles 4 de refus sont légalement justifiées par le fait que, d’une part, l’insoumission n’est pas, en elle-

même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d’asile, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève et, d’autre part, il ne ressort des éléments du dossier ni que le demandeur risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la peine éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève.

Concernant la situation actuelle, particulièrement eu égard à son appartenance à la minorité ethnique des « boshniaques » du Kosovo, il convient de relever qu’une persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant non pas de l’Etat, mais de groupes de la population, en l’espèce de la population albanaise du Kosovo voire des Serbes qui y demeurent, ne peut être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

En l’espèce, le demandeur fait état de sa crainte de voir commettre des actes de violence à son encontre et il soutient qu’on ne saurait pas lui reprocher de ne pas avoir recherché concrètement la protection des autorités actuellement en place au Kosovo pour la raison qu’au moment de son départ, elles n’auraient pas encore été en place. Ceci étant, le demandeur ne démontre point que les forces onusiennes et l’administration civile actuellement en place - depuis que l’armée fédérale yougoslave et les forces de police dépendant des autorités serbes, à l’origine de répressions et exactions commises au Kosovo, ont quitté ce territoire - ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Kosovo.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

5 reçoit le recours en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 27 novembre 2000, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12158
Date de la décision : 27/11/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-11-27;12158 ?

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