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27/11/2000 | LUXEMBOURG | N°12140

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 novembre 2000, 12140


N° 12140 du rôle Inscrit le 21 juillet 2000 Audience publique du 27 novembre 2000

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Recours formé par Monsieur … BALIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12140 et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 juillet 2000 par Maître Luc SCHANEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … BALIC, né le … à … (Monténégro), de

nationalité yougoslave, sans état particulier, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à...

N° 12140 du rôle Inscrit le 21 juillet 2000 Audience publique du 27 novembre 2000

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Recours formé par Monsieur … BALIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12140 et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 juillet 2000 par Maître Luc SCHANEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … BALIC, né le … à … (Monténégro), de nationalité yougoslave, sans état particulier, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 27 avril 2000, notifiée le 16 mai 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique et d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par ledit ministre le 22 juin 2000;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 août 2000;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Alban COLSON, en remplacement de Maître Luc SCHANEN, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 30 décembre 1998, Monsieur … BALIC, né le … à … (Monténégro), sans état particulier, et son épouse, Madame …, née le … à … (Serbie), sans état particulier, agissant pour eux mêmes ainsi qu’en nom et pour compte de leurs quatre enfants mineurs …, née le 25 juillet 1986, …, née le 18 février 1988, …, né le 30 septembre 1989, et …, née le 27 novembre 1990, tous les six de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-1461 Luxembourg, 19, rue d’Eich, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-

après dénommé « la Convention de Genève ».

1 Les époux BALIC-… furent entendus le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Les 28 et 29 septembre 1999, respectivement Monsieur et Madame BALIC-… furent entendus par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 27 avril 2000, notifiée le 16 mai 2000, le ministre de la Justice informa les époux BALIC-… de ce que leur demande d’asile avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « (…) Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté la Yougoslavie le 16 décembre 1998 et que vous êtes arrivés au Luxembourg le 24 décembre 1998.

Monsieur, vous déclarez que vous avez traversé la Bosnie, la Croatie, la Slovénie et l’Italie, sans être en mesure de citer les autres pays traversés.

Madame, vous confirmez les déclarations de votre mari sauf que vous parlez d’un passage de la frontière hongroise. Vous ne donnez pas de détails concernant le reste du trajet.

Monsieur, vous exposez dans l’audition du 28 septembre 1999 que vous avez reçu un appel écrit pour la réserve en date du 27 novembre 1998. Cet appel serait resté au Monténégro, précisément à la commune où vous vous êtes présenté. Un deuxième appel écrit ne vous serait pas parvenu. Vos déclarations sont soutenues par celles de votre épouse.

Vous indiquez que vous ne vouliez pas faire la réserve vu que beaucoup de vos connaissances se sont fait tuer pendant la guerre de Bosnie et que vous aviez peur que cela vous arrive aussi. Vos deux beaux-frères auraient été tués durant la guerre de Bosnie.

Une autre raison de votre refus de faire la réserve serait que vous ne vouliez pas tuer et maltraiter des innocents.

Vous expliquez que vous seriez condamné à une peine de prison parce que vous avez refusé de faire la réserve.

Force est cependant de constater que la crainte d’une condamnation pénale pour le fait de ne pas avoir accompli ses obligations militaires n’est pas suffisante pour établir une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

De même l’insoumission ne constitue pas, à elle seule, un motif valable du statut de réfugié [sic].

Vous invoquez tous les deux que vous avez eu peur pour la vie de vos enfants, que vous ne pouviez pas toujours les envoyer à l’école.

Vous déclarez tous les deux avoir reçu des appels téléphoniques anonymes. Monsieur, vous précisez que ces appels anonymes contenaient des insultes contre votre mère.

2 Madame, vous indiquez que ces appels avaient surtout lieu pendant et juste après la guerre de Bosnie, c’est-à-dire il y a quelques années, Selon vous, ces appels anonymes s’expliquent par le fait que vos deux frères décédés se sont battus du côté des musulmans lors de la guerre de Bosnie.

Vous exposez tous les deux ne pas avoir été maltraités physiquement et ne pas avoir été persécutés.

Vous alléguez encore une crainte de la guerre du Kosovo et la crainte d’une guerre future au Monténégro.

Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte de persécution dans le sens de la Convention de Genève.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

Par lettre datée du 14 juin 2000, réceptionnée au ministère de la Justice le lendemain, Monsieur BALIC introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 27 avril 2000.

Par décision du 22 juin 2000, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 21 juillet 2000, Monsieur BALIC a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des décisions précitées du ministre de la Justice des 27 avril et 22 juin 2000.

Le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours subsidiaire en annulation, au motif que les dispositions légales applicables en la matière prévoiraient un recours au fond.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles déférées. Le recours en réformation, formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. - Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de 3 sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

A l’appui de son recours, le demandeur expose qu’il est originaire du Monténégro et de religion musulmane, qu’en date du 27 novembre 1998, il a reçu un appel pour la réserve militaire et qu’il aurait refusé de faire suite audit appel, au motif qu’il aurait craint de devoir participer à la guerre et d’y mourir, comme cela aurait été le cas pour certains membres de sa famille et de ses connaissances.

Le demandeur soulève en premier lieu la violation des articles 6 du règlement grand-

ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, 12 de la loi précitée du 3 avril 1996 et 1er, section A 2 de la Convention de Genève, au motif que le ministre aurait omis de motiver à suffisance de droit les décisions litigieuses.

Subsidiairement, il reproche au ministre de la Justice d’avoir méconnu les dispositions de la Convention de Genève et d’avoir commis une erreur d’appréciation, au motif qu’en raison de ses convictions religieuses, il aurait refusé de faire suite à un appel pour la réserve et que de ce chef, il risquerait d’être condamné à une peine manifestement disproportionnée par rapport à la gravité de l’infraction commise.

Il fait encore état de ce qu’il a quitté son pays d’origine en raison de la peur qu’il aurait eu pour la sécurité et la vie de ses enfants. Dans ce contexte, il expose que lui-même et son épouse auraient reçu des appels téléphoniques anonymes, lors desquels des insultes dirigées contre sa mère et contre sa famille furent proférées, en raison du fait que ses deux beaux-frères se seraient battus aux côtés des Musulmans lors de la guerre de Bosnie, les deux beaux-frères ayant tous les deux trouvé la mort pendant cette guerre.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du moyen d’annulation tiré du non-

respect de l’obligation légale de motivation et il soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des consorts BALIC et que le recours laisserait d’être fondé.

Le moyen d’annulation invoqué par le demandeur consistant à soutenir que les décisions ministérielles critiquées seraient entachées d’illégalité pour défaut de motivation suffisante n’est pas fondé, étant donné qu’il ressort du libellé prérelaté de la décision initiale du 27 avril 2000 que le ministre de la Justice a indiqué de manière détaillée et circonstanciée les motifs en droit et en fait, sur lesquels il s’est basé pour justifier sa décision de refus, motifs qui ont ainsi été portés, à suffisance de droit, à la connaissance du demandeur. - Par ailleurs, le fait par la décision du 22 juin 2000 de confirmer purement et simplement la décision initiale, implique que cette deuxième décision se base sur les mêmes dispositions légales et réglementaires ainsi que sur les mêmes motifs en fait que ceux sur lesquels s’est basée la décision initiale.

L’existence de motifs ayant été vérifiée, il s’agit d’analyser la justification au fond des deux décisions de refus d’accorder le statut de réfugié politique.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève dispose que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, 4 de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur BALIC lors de son audition du 28 septembre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, les décisions ministérielles de refus sont légalement justifiées par le fait que, d’une part, l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d’asile ou dans le chef des membres de sa famille, une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leur opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève et, d’autre part, il ne ressort des éléments du dossier ni que le demandeur risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève.

Les autres déclarations faites par le demandeur, notamment son sentiment de peur à l’égard des Serbes, ainsi que la peur qu’il a exprimée pour la vie de ses enfants, constituent l’expression d’un sentiment général de peur, sans que le demandeur n’ait établi un état de persécution vécu ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine, étant relevé dans ce contexte que, lors de son audition, il a précisé qu’il n’a pas été persécuté personnellement, qu’il n’a pas été recherché par la police militaire, qu’il n’a pas été accusé d’un crime ou d’un délit, ni incarcéré avec ou sans jugement, et qu’il n’établit aucunement une raison personnelle suffisamment précise de nature à justifier dans son chef une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa religion musulmane ou pour un des autres motifs visés par la Convention de Genève. - Dans ce contexte, il convient de relever que les insultes à l’encontre de sa famille, proférées lors d’appels téléphoniques 5 anonymes, à les supposer établies, ne constituent pas des actes d’une gravité suffisante justifiant une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Le recours est donc à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

déclare le recours en annulation irrecevable;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 27 novembre 2000, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12140
Date de la décision : 27/11/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-11-27;12140 ?

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