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27/11/2000 | LUXEMBOURG | N°12135

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 novembre 2000, 12135


N° 12135 du rôle Inscrit le 20 juillet 2000 Audience publique du 27 novembre 2000

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Recours formé par Monsieur … SELIMOVIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12135 et déposée au greffe du tribunal administratif le 20 juillet 2000 par Maître Luc SCHANEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … SELIMOVIC, né le … à … (Bosnie),

de nationalité bosniaque, sans état particulier, demeurant actuellement à L-…, tendant principalemen...

N° 12135 du rôle Inscrit le 20 juillet 2000 Audience publique du 27 novembre 2000

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Recours formé par Monsieur … SELIMOVIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12135 et déposée au greffe du tribunal administratif le 20 juillet 2000 par Maître Luc SCHANEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … SELIMOVIC, né le … à … (Bosnie), de nationalité bosniaque, sans état particulier, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 10 avril 2000, notifiée le 16 mai 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique et d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par ledit ministre le 22 juin 2000;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 août 2000;

Vu le mémoire en réplique déposé au nom du demandeur le 30 août 2000;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Alban COLSON, en remplacement de Maître Luc SCHANEN, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 14 juillet 1998, Monsieur … SELIMOVIC, né le … à … (Bosnie), de nationalité bosniaque, sans état particulier, demeurant actuellement à L-…, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

1 Monsieur SELIMOVIC fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 16 juillet 1998, Monsieur SELIMOVIC fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile. Il fit l’objet d’une audition complémentaire en date du 28 février 2000.

Par décision du 10 avril 2000, notifiée le 16 mai 2000, le ministre de la Justice informa Monsieur SELIMOVIC de ce que sa demande d’asile avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « (…) Il ressort de vos déclarations que vous avez fait votre service militaire dans l’armée fédérale yougoslave de 1985 à 1987 en Croatie. D’avril 1992 à avril 1996 vous étiez militaire dans l’armée bosniaque. Ensuite vous dites que vous avez encore été convoqué pour faire partie d’une armée professionnelle, mais que vous ne vous êtes plus présenté.

Vous indiquez avoir vécu à Bratunac jusqu’en 1993, date à laquelle les Serbes vous ont chassé de votre village vers Srebrenica, d’où les Serbes vous ont à nouveau chassé vers Tuzla en 1995.

Lors de vos auditions vous avez exposé avoir demandé l’asile politique parce que vous ne vouliez plus subir la guerre de Bosnie, qui n’était toujours pas finie selon vous en juillet 1996. Vous indiquez même dans votre audition du 28 février 2000 qu’à votre sens la guerre de Bosnie n’est toujours pas finie aujourd’hui et c’est pour cette raison que vous ne pouvez pas rentrer en Bosnie. Vous dites aussi avoir des problèmes psychologiques, ce qui vous empêcherait de rentrer en Bosnie.

Vous ne faites pas état d’autres craintes concernant votre demande d’asile politique.

Les hostilités étant terminées en Bosnie, les accords de Dayton conclus, un retour au pays, paraît possible sans craintes de persécutions pour l’une des causes protégées par la Convention de Genève.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

Par lettre datée du 14 juin 2000, réceptionnée au ministère de la Justice le lendemain, Monsieur SELIMOVIC introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 10 avril 2000.

Par décision du 22 juin 2000, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

2 Par requête déposée en date du 20 juillet 2000, Monsieur SELIMOVIC a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des décisions précitées du ministre de la Justice des 10 avril et 22 juin 2000.

Le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours subsidiaire en annulation, au motif que les dispositions légales applicables en la matière prévoiraient un recours au fond.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles déférées. Le recours en réformation, formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. - Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

A l’appui de son recours, le demandeur expose qu’il est originaire de Bosnie et de religion musulmane, qu’il a fait son service militaire d’avril 1992 à avril 1996, qu’il a été reconvoqué par la suite et qu’il a refusé de donner suite audit appel, au motif qu’il a été « las » de se battre et parce qu’il craignait pour sa vie. Il fait ajouter qu’il risque d’être condamné sévèrement en raison de son insoumission et qu’il serait également persécuté en raison de sa religion musulmane.

En droit, le demandeur soulève en premier lieu la violation des articles 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, 12 de la loi précitée du 3 avril 1996 et 1er, section A 2 de la Convention de Genève, au motif que le ministre aurait omis de motiver à suffisance de droit les décisions litigieuses.

Subsidiairement, il reproche au ministre de la Justice d’avoir méconnu les dispositions de la Convention de Genève et d’avoir commis une erreur d’appréciation, étant donné qu’en raison de ses convictions religieuses et de son insoumission, il risquerait d’être soumis à des actes de persécution, notamment une condamnation à une peine disproportionnée par rapport à la gravité de l’infraction commise.

Concernant une possibilité de fuite interne dans une autre partie de son pays d’origine, le demandeur soutient qu’« étant de confession musulmane minoritaire, [il] (…) ne saurait être en sécurité nulle part ». Dans ce contexte, il soutient que même si la guerre ne sévissait plus dans son pays d’origine, il y aurait toujours des tensions ethniques dangereuses et les Musulmans seraient souvent victimes « d’exactions et de règlements de comptes inter-

ethniques ».

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du moyen d’annulation tiré du non-

respect de l’obligation légale de motivation et il soutient que le ministre de la Justice aurait fait 3 une saine appréciation de la situation de fait et de droit de Monsieur SELIMOVIC et que le recours laisserait d’être fondé.

Le moyen d’annulation invoqué par le demandeur consistant à soutenir que les décisions ministérielles critiquées seraient entachées d’illégalité pour défaut de motivation suffisante n’est pas fondé, étant donné qu’il ressort du libellé prérelaté de la décision initiale du 10 avril 2000 que le ministre de la Justice a indiqué de manière détaillée et circonstanciée les motifs en droit et en fait, sur lesquels il s’est basé pour justifier sa décision de refus, motifs qui ont ainsi été portés, à suffisance de droit, à la connaissance du demandeur. - Par ailleurs, le fait par la décision du 22 juin 2000 de confirmer purement et simplement la décision initiale, implique que cette deuxième décision se base sur les mêmes dispositions légales et réglementaires ainsi que sur les mêmes motifs en fait que ceux sur lesquels s’est basée la décision initiale.

L’existence de motifs ayant été vérifiée, il s’agit d’analyser la justification au fond des deux décisions de refus d’accorder le statut de réfugié politique.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève dispose que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur SELIMOVIC lors de ses auditions des 16 juillet 1998 et 28 février 2000, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ.

4 Sur ce, c’est à bon droit que le ministre de la Justice a relevé que les hostilités sont terminées en Bosnie depuis la signature des accords de Dayton.

Il s’y ajoute qu’un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant de groupes de la population, en l’espèce de la population non musulmane de Bosnie-Herzégovine, ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

En l’espèce, le demandeur fait état de sa crainte de voir commettre des actes de violence à son encontre, mais ne démontre point que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de Bosnie.

Pour le surplus, il convient d’ajouter que l’insoumission, alléguée par le demandeur, n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d’asile une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève et qu’il ne ressort des éléments du dossier ni que le demandeur risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de sa prétendue insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève.

Le recours est donc à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

déclare le recours en annulation irrecevable;

reçoit le recours en réformation en la forme;

5 au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 27 novembre 2000, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12135
Date de la décision : 27/11/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-11-27;12135 ?

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