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27/11/2000 | LUXEMBOURG | N°12056

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 novembre 2000, 12056


N° 12056 du rôle Inscrit le 16 juin 2000 Audience publique du 27 novembre 2000

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Recours formé par Monsieur … HADERGJONAJ, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12056 et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 juin 2000 par Maître Luc SCHANEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … HADERGJONAJ, né le … à …(Kosovo), de

nationalité yougoslave, sans état particulier, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement ...

N° 12056 du rôle Inscrit le 16 juin 2000 Audience publique du 27 novembre 2000

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Recours formé par Monsieur … HADERGJONAJ, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12056 et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 juin 2000 par Maître Luc SCHANEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … HADERGJONAJ, né le … à …(Kosovo), de nationalité yougoslave, sans état particulier, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 3 mars 2000, notifiée le 10 mars 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique et d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par ledit ministre le 19 mai 2000;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 juin 2000;

Vu le mémoire en réplique déposé au nom du demandeur le 20 juillet 2000;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Alban COLSON, en remplacement de Maître Luc SCHANEN, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 23 juillet 1998, Monsieur … HADERGJONAJ, né le … à … (Kosovo), de nationalité yougoslave, sans état particulier, demeurant actuellement à L-…, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur HADERGJONAJ fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

1 Le 1er février 1999, Monsieur HADERGJONAJ fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le 12 janvier 2000, la commission consultative pour les réfugiés émit un avis défavorable.

Par décision du 3 mars 2000, notifiée le 10 mars 2000, le ministre de la Justice informa Monsieur HADERGJONAJ de ce que sa demande d’asile avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « (…) Me ralliant à l’avis émis le 12 janvier 2000 par la Commission consultative pour les réfugiés à laquelle j’avais soumis votre demande et dont je joins une copie en annexe à la présente, je regrette de devoir vous informer que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande.

En effet, il ressort de votre dossier que vous n’invoquez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie. (…) ».

Le 10 avril 2000, Monsieur HADERGJONAJ introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 3 mars 2000.

Par décision du 19 mai 2000, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 16 juin 2000, Monsieur HADERGJONAJ a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des décisions précitées du ministre de la Justice des 3 mars et 19 mai 2000.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles déférées. Le recours en réformation, formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. - Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

A l’appui de son recours, le demandeur expose qu’il est originaire du Kosovo et de religion musulmane, qu’entre 1994 et 1998, il aurait fait l’objet de mauvais traitements et d’actes de persécution de la part de la police serbe, en raison de son appartenance à l’ethnie albanaise, de sa religion musulmane et de sa fonction active au sein du parti « PPK » (Parti du Parlement du Kosovo). Il expose encore que ses mère et soeur vivent, respectivement depuis 3 et 8 ans au Luxembourg.

2 Le demandeur soulève en premier lieu la violation des articles 6 du règlement grand-

ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, 12 de la loi précitée du 3 avril 1996 et 1er, section A 2 de la Convention de Genève, au motif que le ministre, en se référant simplement à l’avis de la commission consultative pour les réfugiés, aurait omis de motiver à suffisance de droit les décisions litigieuses.

Subsidiairement, il reproche au ministre de la Justice d’avoir méconnu les dispositions de la Convention de Genève et d’avoir commis une erreur d’appréciation, étant donné qu’en raison de son appartenance ethnique, de sa religion musulmane et de sa fonction au sein du parti « PPK », il aurait fait l’objet d’actes de persécution par la police serbe dans son pays d’origine. Il estime encore qu’un retour dans son pays d’origine serait, même à l’heure actuelle, très dangereux au motif que la situation au Kosovo serait politiquement et socialement instable et qu’il y aurait toujours des exactions et des règlements de comptes à l’encontre des personnes de religion musulmane. Dans ce contexte, le demandeur fait exposer que « depuis la fin du conflit, on dénombre effectivement 74 musulmans tués au Kosovo à la suite d’exactions commises notamment par les Albanais qui refusent catégoriquement leur présence sur leur territoire [sic] ».

Enfin, il ajoute qu’il n’aurait plus de famille au Kosovo, sa mère et sa soeur vivant au Luxembourg et son frère en Allemagne.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du moyen d’annulation tiré du non-

respect de l’obligation légale de motivation et il soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de fait et de droit de Monsieur HADERGJONAJ et que le recours laisserait d’être fondé.

Le moyen d’annulation invoqué par le demandeur consistant à soutenir que les décisions ministérielles critiquées seraient entachées d’illégalité pour défaut de motivation suffisante n’est pas fondé, étant donné qu’il ressort des pièces versées au dossier que la décision initiale du 3 mars 2000 ensemble l’avis de la commission consultative pour les réfugiés auquel le ministre s’est rallié, et qui a été annexé en copie à la prédite décision, de sorte qu’il en fait partie intégrante, indiquent de manière détaillée et circonstanciée les motifs en droit et en fait, sur lesquels le ministre s’est basé pour justifier sa décision de refus, motifs qui ont ainsi été portés, à suffisance de droit, à la connaissance du demandeur (v. trib. adm. 3 mars 1997, n° 9693 du rôle, Pas. adm. 1/2000, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 35, page 261, et autres références y citées). - En effet, le ministre de la Justice, en faisant siennes les conclusions de la prédite commission consultative, a donc basé sa décision de refus sur ces mêmes motifs, lesquels ont ainsi été portés, à suffisance de droit, à la connaissance du demandeur. - Par ailleurs, le fait par la décision du 19 mai 2000 de confirmer purement et simplement la décision initiale, implique que cette deuxième décision se base sur les mêmes dispositions légales et réglementaires ainsi que sur les mêmes motifs que ceux sur lesquels s’est basée la décision initiale.

L’existence de motifs ayant été vérifiée, il s’agit d’analyser la justification au fond des deux décisions de refus d’accorder le statut de réfugié politique.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève dispose que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, 3 de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur HADERGJONAJ lors de son audition du 1er février 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ. - Sur ce, c’est à bon droit que la commission consultative pour les réfugiés et le ministre de la Justice, - qui s’est rallié à l’avis de ladite commission -, ont relevé que l’armée fédérale yougoslave et les forces de police dépendant des autorités serbes, à l’origine de répressions et exactions commises au Kosovo, ont quitté ce territoire et qu’une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée au Kosovo, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place, et qu’il convient d’en conclure que le demandeur ne peut plus faire état d’un risque actuel de persécution au sens de la Convention de Genève en raison de sa crainte de subir de la part des autorités serbes des actes de persécution du fait de son appartenance ethnique, de sa religion et de son rôle politique.

En ce qui concerne plus spécialement le prétendu risque actuel de subir des persécutions de la part d’un groupe de la population à son encontre et, partant, d’un défaut de protection de la part des autorités de son pays d’origine face à ces actes de persécution, il convient de relever qu’une persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant non pas de l’Etat, mais de groupes de la population ne peut être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. La notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité 4 suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

En l’espèce, le demandeur fait état de sa crainte de voir commettre des actes de violence à son encontre, mais ne démontre point que les forces onusiennes et l’administration civile actuellement en place ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant à la population du Kosovo.

Le recours est donc à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

déclare le recours en annulation irrecevable;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 27 novembre 2000, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12056
Date de la décision : 27/11/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-11-27;12056 ?

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