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27/11/2000 | LUXEMBOURG | N°11969

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 novembre 2000, 11969


N° 11969 du rôle Inscrit le 2 mai 2000 Audience publique du 27 novembre 2000

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Recours formé par Monsieur … ALMEIDA TAVARES, … contre une décision du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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Vu la requête inscrite sous le numéro 11969 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 mai 2000 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre d

es avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … ALMEIDA TAVARES, né le … à …, de nationalité cap-ver...

N° 11969 du rôle Inscrit le 2 mai 2000 Audience publique du 27 novembre 2000

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Recours formé par Monsieur … ALMEIDA TAVARES, … contre une décision du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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Vu la requête inscrite sous le numéro 11969 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 mai 2000 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … ALMEIDA TAVARES, né le … à …, de nationalité cap-verdienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 1er février 2000, refusant de faire droit à sa demande en obtention d’une autorisation de séjour au Grand-Duché de Luxembourg ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 juillet 2000 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 1er septembre 2000 par Maître Louis TINTI au nom du demandeur ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 13 septembre 2000 par le délégué du Gouvernement ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Louis TINTI et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 24 octobre 2000.

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L’Association de Soutien aux Travailleurs Immigrés (ASTI) s’adressa au ministre de la Justice pour solliciter une autorisation de séjour pour raisons humanitaires au bénéfice de Monsieur … ALMEIDA TAVARES, né le …, à …, de nationalité cap-verdienne, demeurant actuellement à L-…, en faisant valoir que “ Monsieur ALMEIDA est le compagnon de Madame …, née le … à …(C.V.), de nationalité cap-verdienne et demeurant à la même adresse.

Ils sont les parents de deux enfants nés au Grand-Duché de Luxembourg, …, née à Luxembourg le 26 août 1990 et …né à Luxembourg le 30 avril 1994.

Les deux enfants ont été reconnus par leur père le 3 septembre 1998 comme l’attestent les copies des actes de reconnaissance en paternité jointes en annexe ”.

Après plusieurs échanges de courriers entre l’ASTI et le ministre relatifs notamment à l’absence de permis de travail valable dans le chef de Monsieur ALMEIDA TAVARES, le ministre décida en date du 1er février 2000 de ne pas faire droit à la demande de Monsieur ALMEIDA TAVARES au motif que “ selon l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers, la délivrance d‘une autorisation de séjour est en effet subordonnée à la possession de moyens d’existence personnels suffisants permettant à l’étranger d’assurer son séjour au Luxembourg indépendamment de l’aide matérielle ou des secours financiers que de tierces personnes pourraient s’engager à lui faire parvenir.

Comme l’intéressé ne remplit pas cette condition, une autorisation de séjour ne saurait lui être délivrée ”.

Par requête déposée en date du 2 mai 2000, Monsieur ALMEIDA TAVARES a fait introduire un recours en annulation contre la décision précitée du ministre du 1er février 2000 pour violation de la loi, respectivement pour erreur de droit, sinon pour erreur d’appréciation manifeste.

Aucun recours au fond n’étant prévu en matière de demandes d’autorisation de séjour, le recours en annulation, non autrement contesté sous ce rapport par le délégué du Gouvernement, est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours le demandeur relève d’abord qu’il ne conteste pas être dépourvu de moyens de subsistance personnels et fait valoir à cet égard que l’autorité administrative aurait la possibilité, même dans l’hypothèse où l’étranger ne dispose pas de moyens de subsistance personnels, d’accorder à ce dernier un titre de séjour en prenant en considération les autres éléments de la cause. Il estime que la liberté d’appréciation ainsi mise en avant dont disposerait l’autorité administrative d’évaluer discrétionnairement les éléments du dossier, ne devrait pas donner lieu à un usage arbitraire de ce même pouvoir. Il estime que dans la mesure où il est le père de deux enfants qui ont acquis la nationalité luxembourgeoise par origine et qu’il est depuis plus de 10 ans le concubin de leur mère, laquelle est titulaire d’une carte d’identité d’étranger au Luxembourg, le refus de lui attribuer un titre de séjour constituerait en l’espèce une violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ci-après dénommée “ la Convention européenne des droits de l’homme ”, ceci faute de respecter sa vie privée ou familiale. Il fait valoir plus particulièrement à cet égard qu’au vu de l’impossibilité actuelle dans son chef de s’installer dans un pays quelconque autre que son pays d’origine, à savoir le Cap-

Vert, à une distance importante du Grand-Duché de Luxembourg, impliquant - plus particulièrement en raison de ses problèmes financiers - une impossibilité matérielle d’exercer son droit de visite à l’égard de ses enfants, le tribunal devrait arriver à la conclusion qu’en l’espèce, le refus de lui délivrer une autorisation de séjour constituerait une ingérence dans sa vie familiale disproportionnée par rapport au but légitime poursuivi par l’administration qui serait celui de protéger l’ordre public, de nature à justifier l’annulation de la décision déférée.

2 Le délégué du Gouvernement signale d’abord que lors d’un contrôle d’identité en date du 27 août 1998, Monsieur ALMEIDA TAVARES a déclaré habiter en France, qu’il ressortirait en outre d’un courrier émis par la Préfecture de l’Essonne en date du 20 mai 1998 qu’il a présenté en septembre 1997 une demande d’admission exceptionnelle au séjour en France et qu’il serait entré sur le territoire français le 15 septembre 1987 muni d’un visa de tourisme pour s’y maintenir jusqu’à l’expiration de celui-ci, sans avoir obtenu un titre de séjour. Il relève en outre que la version du séjour prolongé du demandeur en France serait confirmée par le rapport de police dressé le 10 février 2000 aux termes duquel Madame … a indiqué que Monsieur ALMEIDA TAVARES habitait en France dans la région parisienne, mais qu’il était de passage au Luxembourg durant le mois de janvier 2000. Relativement au moyen basé sur l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, le représentant étatique fait valoir que dans le contexte du regroupement familial, la vie familiale doit avoir existé avant l’immigration, condition qu’il estime ne pas être remplie dans le chef du demandeur, étant donné qu’il ressortirait de ses propres déclarations, par ailleurs confirmées par celles de sa fiancée, qu’il aurait habité et continuerait à habiter en France.

A cet égard le demandeur signale dans son mémoire en réplique que tant lui même que son amie auraient menti relativement à sa résidence effective, ceci dans un souci de protection de leur famille, étant donné que conscient de l’irrégularité de sa situation au Luxembourg, il aurait paru plus rassurant d’affirmer qu’il résiderait en fait à l’étranger et qu’il n’aurait été que de passage au Grand-Duché de Luxembourg. Il fait valoir qu’en réalité sa vie commune avec sa famille n’aurait jamais cessé d’exister au Luxembourg et relève que la demande par lui présentée en date du 27 septembre 1997 auprès des autorités françaises en vue de se voir admettre exceptionnellement au séjour aurait été rejetée pour partie au motif que “ vous ne pouvez justifier de votre présence en France depuis 1987 par la production d’au moins un document par année ”. Le demandeur renvoie pour le surplus aux pièces versées en cause et notamment à différentes attestations testimoniales confirmant l’existence depuis de nombreuses années d’une vie commune avec sa famille au Luxembourg. Il estime que l’effectivité de cette vie familiale pourrait encore être déduite de son attitude ayant consisté à reconnaître officiellement sa paternité aussitôt après la naissance de ses enfants, ainsi que par ses démarches, depuis 1998 et par le biais de l’ASTI, pour trouver une solution légale afin de régulariser sa situation au Luxembourg. Relativement au motif de refus basé sur l’absence de revenu dans son chef, le demandeur donne à considérer que sa concubine percevrait un salaire net mensuel supérieur à 60.000.- LUF de manière à pouvoir subvenir aux besoins de toute la famille.

Dans son mémoire en duplique, le délégué du Gouvernement relève que le demandeur a reconnu ses deux enfants nés en 1990 et 1994 seulement en date du 2 septembre 1998, soit 5 jours après le contrôle de police ayant révélé le caractère illégal de sa présence au Luxembourg. Il signale en outre que ce n’est qu’à la suite de la décision de refus française intervenue le 20 mai 1998 relativement à la demande de Monsieur ALMEIDA TAVARES pour bénéficier d’une admission exceptionnelle au séjour en France que celui-ci a demandé en date du 25 septembre 1998, une autorisation de séjour pour raisons humanitaires au Grand-

Duché de Luxembourg.

L’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère dispose que “ l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger : (…) -

3 qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ”.

Il se dégage dudit article 2 qu’une autorisation de séjour peut être refusée lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, abstraction faite de tous moyens et garanties éventuellement procurés par des tiers (trib. adm. 17 février 1997, Pas. adm. 1/2000, V° Etrangers, II. Autorisation de séjour - Expulsion, n° 81, et autres références y citées).

En l’espèce, il se dégage des pièces versées au dossier et il n’est pas contesté en cause que le demandeur ne disposait, au moment de la prise de la décision litigieuse, ni d’un permis de travail, de sorte qu’il ne pouvait pas légalement s’adonner à une occupation salariée et en percevoir des revenus, ni encore d’autres moyens personnels lui permettant de supporter personnellement les frais de son séjour au Luxembourg.

Il s’ensuit que c’est à bon droit et conformément à l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972, que le ministre a pu refuser l’octroi de l’autorisation séjour sollicitée en se basant sur l’absence de preuve de moyens personnels dans le chef du demandeur, étant précisé qu’une prise en charge par une tierce personne, même s’il s’agissait d’un membre de la famille, n’est pas à considérer comme constituant des moyens personnels.

Si le refus ministériel se trouve, en principe, justifié à suffisance de droit par ledit motif, il convient cependant encore d’examiner le moyen d’annulation soulevé par le demandeur tiré de la violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, dans la mesure où il estime qu’il y aurait violation de son droit au maintien de sa vie familiale, lequel tiendrait la disposition précitée de la loi du 28 mars 1972 en échec.

En droit international, il est de principe que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers. Cependant, les Etats qui ont ratifié la Convention européenne des droits de l’homme ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de ladite convention.

A ce sujet, l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose que:

“ 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. ” Sans remettre en cause la compétence de principe de chaque Etat de prendre des mesures en matière d’entrée, de séjour et d’éloignement des étrangers, l’article 8 implique que l’autorité étatique investie du pouvoir de décision en la matière n’est pas investie d’un pouvoir discrétionnaire, mais qu’en exerçant ledit pouvoir, elle doit tenir compte du droit au respect de la vie privée et familiale des personnes concernées.

4 Toutefois, la garantie du respect de la vie privée et familiale comporte des limites.

En premier lieu, elle ne comporte pas le droit de choisir l’implantation géographique de la vie familiale, de sorte qu’on ne saurait obliger un Etat à laisser accéder un étranger sur son territoire pour y créer des liens familiaux nouveaux (cf. Frédéric SUDRE in Droit International et Européen des Droits de l’Homme, No.183 au sujet de l’arrêt CRUZ VARAS et autres de la Cour européenne des droits de l’homme du 20 mars 1991, A.201 §88). En second lieu, elle ne s’applique qu’à une vie familiale effective, c’est-à-dire caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites parmi ses membres, et existante, voire préexistante.

Dans l’hypothèse vérifiée en l’espèce où un étranger entend accéder et séjourner sur le territoire national pour vivre ensemble avec sa famille, le tribunal est appelé à vérifier la préexistence à une immigration d’une vie familiale effective (trib. adm. 13 décembre 1999, n° du rôle 10887).

En l’espèce, le demandeur entend séjourner au Luxembourg pour vivre ensemble avec sa famille, à savoir ses deux enfants ainsi que la mère de ses enfants. Le tribunal est partant appelé à examiner la situation du demandeur en vérifiant la préexistence à l’immigration d’une vie familiale effective dans son chef.

Force est de constater que l’affirmation du demandeur qu’en réalité sa vie effective avec sa famille n’aurait jamais cessé d’exister au Luxembourg, qu’il entend notamment voir confortée par son attitude ayant consisté à reconnaître officiellement sa paternité aussitôt après la naissance de ses enfants, se trouve contredite par les pièces versées au dossier, étant donné qu’il est établi que Monsieur ALMEIDA TAVARES n’a reconnu ses enfants Jason, né le 3 mai 1994 et Jessica née le 26 août 1990 qu’en date du 2 septembre 1998, soit précisément au cours de l’année où ses démarches auprès des autorités françaises en vue d’y obtenir une autorisation de séjour se sont révélées vaines, de sorte que cette reconnaissance, intervenue non pas “ aussitôt ” après la naissance des enfants, mais plusieurs années après seulement, à la suite d’un contrôle de police en date du 2 septembre 1998, ayant révélé le caractère illégal de sa présence au Luxembourg, loin de conforter le caractère effectif d’une vie familiale au Luxembourg, est plutôt de nature à conforter les moyens du représentant étatique relativement à un séjour prolongé du demandeur en France.

Les autres éléments du dossier soumis au tribunal pour conforter la préexistance à l’immigration d’une vie familiale effective au Luxembourg n’étant pas de nature à éclaircir utilement les circonstances ci-avant relatées tenant au moment précisément retenu par le demandeur pour reconnaître ses enfants, le refus ministériel déféré de délivrer une autorisation de séjour au demandeur est à considérer comme ne portant pas atteinte à son droit au respect d’une vie familiale et privée, de sorte qu’il n’y a pas en l’espèce ingérence au sens de l’article 8 alinéa 1er de la Convention européenne des droits de l’homme.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours en annulation laisse d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

5 au fond le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 27 novembre 2000 par :

M. Schockweiler, vice-président Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 11969
Date de la décision : 27/11/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-11-27;11969 ?

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