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22/11/2000 | LUXEMBOURG | N°12142

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 novembre 2000, 12142


N° 12142 du rôle Inscrit le 21 juillet 2000 Audience publique du 22 novembre 2000

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Recours formé par Monsieur … KOLIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro 12142 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 juillet 2000 par Maître Valérie DUPONG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’O

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N° 12142 du rôle Inscrit le 21 juillet 2000 Audience publique du 22 novembre 2000

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Recours formé par Monsieur … KOLIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro 12142 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 juillet 2000 par Maître Valérie DUPONG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … KOLIC, né le … à … (Kosovo), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 31 mai 2000, notifiée le 4 juillet 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 août 2000;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Sarah TURK, en remplacement de Maître Valérie DUPONG, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 21 septembre 1998, Monsieur … KOLIC, né le … à … (Kosovo), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé “ la Convention de Genève ”.

Monsieur KOLIC fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 27 septembre 1999, Monsieur KOLIC fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

1 Par décision du 31 mai 2000, notifiée le 4 juillet 2000, le ministre de la Justice informa Monsieur KOLIC de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: “ (…) Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté fin août / début septembre 1998, en compagnie de votre frère KOLIC …, …/Kosovo pour aller à Sarajevo/Bosnie via Rozaje/Monténégro. Après un séjour d’environ une semaine à Sarajevo, vous êtes reparti en direction de Kladusa/Bosnie d’où un passeur vous a emmené en Croatie. A partir de Zagreb, vous avez transité à l’aide de plusieurs passeurs par la Slovénie, l’Italie et la France pour arriver finalement à Luxembourg le 20 septembre 1998. Vous avez déposé une demande en obtention du statut de réfugié le lendemain.

Lors de votre audition, vous avez exposé que vous avez quitté le Kosovo craignant d’être convoqué pour la réserve. Le fait qu’on vous aurait obligé de combattre, voire même de tuer, ceux qui auparavant étaient vos voisins ou amis, va à l’encontre de vos convictions.

Vous dites également avoir quitté votre pays en raison de la mauvaise situation générale.

Ainsi, vous invoquez ne pas trouver du travail dans votre profession, à savoir technicien en machines, ceci parce que vous êtes de confession musulmane.

Vous avez affirmez, par ailleurs, ne pas être membre d’un parti politique et n’avoir jamais subi des persécutions physiques. Vous parlez juste de comportements provocateurs de la police à votre égard lors de barrages routiers.

Lors de votre audition vous avez évoqué la possibilité d’un retour dans votre pays dès que la situation s’y améliore et qu’une punition pour insoumission n’est plus à craindre. Vous invoquez cependant une certaine crainte des Albanais qui pourraient vous reprocher d’avoir fait votre service militaire dans l’armée fédérale yougoslave.

Concernant vos craintes d’une sanction pour insoumission, à supposer que vous ayez réellement été convoqué, la seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la Convention de Genève. Je souligne d’ailleurs dans ce contexte que l’armée fédérale yougoslave, les rangs de laquelle vous auriez dû rejoindre, a quitté le territoire du Kosovo, de sorte que vous ne risquez plus une sanction de sa part.

En ce qui concerne vos allégations relatives à la situation dans votre pays en général, et surtout au fait que vous n’avez pas trouvé de travail correspondant à votre formation professionnelle en raison de votre confession musulmane en particulier, force est de constater que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Tout en mesurant à sa juste valeur le fait isolé que vous n’avez pas trouvé de travail dans votre profession, - même à le supposer établi, - ne constitue pas un motif permettant de fonder une demande d’asile au sens de l’article 1er, A. §2 de la Convention de Genève.

Finalement, concernant votre peur des Albanais, il faut noter qu’une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée au Kosovo et une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place afin de 2 garantir une coexistence pacifique entre les différentes communautés vivant au Kosovo. Par ailleurs, des centaines de milliers de personnes, qui avaient quitté le Kosovo pour se réfugier en Albanie et dans l’Ancienne République yougoslave de Macédoine, ont réintégré leurs foyers après l’entrée des forces internationales sur le territoire.

Dans ces circonstances je considère que vous ne pouvez pas faire état d’un risque actuel de persécution pour des motifs tenant à votre race, à vos opinions politiques, à votre religion, à votre nationalité ou à votre appartenance à un groupe social, que vous courriez si vous deviez retourner dans votre territoire d’origine. (…) ”.

Par requête déposée en date du 21 juillet 2000, Monsieur KOLIC a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision précitée du ministre de la Justice du 31 mai 2000.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoyant un recours en réformation en matière de demandes d’asiles déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit par le demandeur. Ledit recours ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, le demandeur fait exposer qu’il appartient à la minorité ethnique non albanaise des “ bochniaques ” ou slaves musulmans et qu’actuellement un nombre croissant d’exactions seraient commises au Kosovo contre toutes les minorités non albanaises depuis le retrait des forces serbes, exactions contre lesquelles les forces internationales en place seraient incapables d’assurer une protection efficace. Il se réfère à cet égard aux rapports de l’OSCE et de l’UNHCR pour la période de février à mai 2000 en signalant qu’ils font état d’attaques contre les personnes et les biens des minorités non albanaises dans toutes leurs zones d’implantation et particulièrement dans son village natal … où des tirs de grenades auraient eu lieu contre des maisons de “ bochniaques ” ou slaves musulmans en date des 19 mars et 16 avril 2000. Il relève encore qu’avant le début des opérations militaires au Kosovo, ce village aurait été habité par une majorité de “ bochniaques ”, alors qu’à présent les “ albanophones ” représenteraient la majorité de la population ce qui serait dû, d’une part. à l’afflux massif d’“ albanophones ” depuis la fin de la guerre et, d’autre part, aux nombreux départs de “ bochniaques ” dont il ne resteraient que les personnes âgées et celles mariées à des “ albanophones ”. La situation serait encore pire dans les villes voisines de Pec et de Vitomirica où l’on noterait également une forte minorité de slaves musulmans. Le demandeur explique que le climat d’agressivité générale à l’encontre des slaves musulmans serait dû notamment à la circonstance que la pratique publique de leur langue, qui ressemble fortement au serbo-croate, susciterait chez la population “ albanophone ” l’idée que les slaves musulmans furent complices des exactions commises en leur temps par les forces serbes. Il fait encore valoir qu’il serait sans incidence que les agressions invoquées soient exercées par des autorités non étatiques ou par des personnes prises individuellement et relève que dans le chef d’une personne qui réclame le statut de réfugié une crainte avec raison d’être persécuté ne serait pas censée être réservée aux seules personnes qui ont déjà été persécutées, mais pourrait également être vérifiée dans le chef de personnes qui veulent éviter de se trouver dans une situation où elles pourraient faire l’objet de persécutions. Dans la mesure où la situation des bochniaques du Kosovo se serait continuellement dégradée au cours des dix dernières années et que le malaise se serait trouvé à son paroxysme depuis que l’armée de libération du Kosovo exercerait son contrôle de fait sur ce territoire, ce serait à tort que la décision déférée a retenu que “ le fait isolé que vous n’avez 3 pas trouvé de travail dans votre profession, - même à le supposer établi -, ne saurait constituer un motif pour fonder une demande d’asile au sens de l’article 1er, A §2 de la Convention de Genève ” étant donné que, de l’avis du demandeur, sa situation matérielle difficile aurait été une conséquence des discriminations frappant les membres de son groupe ethnique. Le demandeur relève encore que ses parents, âgés de 63 et 54 ans, se trouveraient toujours dans leur village natal tout en étant confinés à leur maison, du fait qu’ils seraient incapables de s’exprimer en albanais et qu’ils craindraient d’être attaqués pour cette raison, comme il serait arrivé à d’autres slaves musulmans. Il signale aussi que des voisins “ albanophones ” auraient demandé des renseignements à son sujet, ce qui aurait été perçu comme une menace par ses parents. Le demandeur expose encore avoir été agressé verbalement par les “ albanophones ” de son village après sa démobilisation, étant donné que lorsqu’il était dans l’armée serbe à Pristina jusqu’en mars 1997, il aurait porté un uniforme de couleur bleue ayant ressemblé à celui des policiers serbes du Kosovo.

Le demandeur conclut partant à la réformation de la décision déférée pour cause d’appréciation inexacte de la situation actuelle du Kosovo, ainsi que de sa situation personnelle.

Le délégué du Gouvernement rétorque que les Albanais du Kosovo ne sauraient en aucun cas être considérés comme des agents de persécution au sens de la Convention de Genève et il estime que le demandeur ne démontrerait nullement le défaut de toute poursuite des actes de persécution par lui allégués de la part des autorités établies au Kosovo, de même qu’il resterait en défaut d’établir des raisons pour lesquelles il ne serait pas en mesure de s’installer soit dans un autre quartier de sa ville d’origine, soit dans une autre partie du Kosovo et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne dans son pays d’origine.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme “ réfugié ” s’applique à toute personne qui “ craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ”.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

En l’espèce, l’argumentation développée par le demandeur, qui fait valoir un risque de persécution émanant des Albanais du Kosovo n’est pas de nature à établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

4 En effet, une persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant non pas de l’Etat, mais de groupes de la population, en l’espèce de la population albanaise du Kosovo, ne peut être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

En l’espèce, le demandeur fait état de sa crainte de voir commettre des actes de violence à son encontre, mais ne démontre point que les forces onusiennes et l’administration civile actuellement en place ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Kosovo.

Par ailleurs, il y a lieu de relever que même à admettre qu’à l’heure actuelle, il est difficile pour le demandeur de se réinstaller dans sa région d’origine, au vu des affrontements ethniques qui y sont toujours d’actualité, le demandeur reste en défaut d’établir des raisons pertinentes pour lesquelles il ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre partie de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne.

Concernant la crainte initialement invoquée à l’appui de sa demande d’asile par le demandeur de se voir sanctionner pour cause d’insoumission en cas de retour dans son pays d’origine, force est de constater, - abstraction même faite de la considération que le demandeur n’a plus invoqué cette crainte dans le cadre de son recours contentieux sous examen -, que l’insoumission ne constitue pas, à elle seule, un motif valable de reconnaissance du statut de réfugié politique (trib. adm. 7 juillet 1999, n° 10861 du rôle, Ajdarpasic, confirmé par Cour adm. 11 novembre 1999, n° 11454C du rôle, Pas. adm. 1/2000, V° Etrangers, n° 30), de sorte que les faits ainsi avancés n’auraient en tout état de cause pas été de nature à justifier dans le chef du demandeur l’existence d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement;

5 reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 22 novembre 2000 par:

M. Campill, premier juge Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Campill 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12142
Date de la décision : 22/11/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-11-22;12142 ?

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