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22/11/2000 | LUXEMBOURG | N°12141

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 novembre 2000, 12141


N° 12141 du rôle Inscrit le 21 juillet 2000 Audience publique du 22 novembre 2000

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Recours formé par Monsieur … KOLIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro 12141 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 juillet 2000 par Maître Valérie DUPONG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’O

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N° 12141 du rôle Inscrit le 21 juillet 2000 Audience publique du 22 novembre 2000

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Recours formé par Monsieur … KOLIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro 12141 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 juillet 2000 par Maître Valérie DUPONG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … KOLIC, né le … à … (Kosovo), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 31 mai 2000, notifiée le 27 juin 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 août 2000;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Sarah TURK, en remplacement de Maître Valérie DUPONG, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 21 septembre 1998, Monsieur … KOLIC, né le … à … (Kosovo), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé “ la Convention de Genève ”.

Monsieur KOLIC fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 23 septembre 1999, Monsieur KOLIC fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

1 Par décision du 31 mai 2000, notifiée le 27 juin 2000, le ministre de la Justice informa Monsieur KOLIC de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: “ (…) Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté fin août / début septembre 1998, en compagnie de votre frère KOLIC …, …/Kosovo pour aller à Sarajevo/Bosnie via Rozaje/Monténégro. Après un séjour d’environ une semaine à Sarajevo, vous êtes reparti en direction de Kladusa/Bosnie d’où un passeur vous a emmené en Croatie. A partir de Zagreb, vous avez transité à l’aide de plusieurs passeurs par la Slovénie, l’Italie et la France pour arriver finalement à Luxembourg le 20 septembre 1998. Vous avez déposé une demande en obtention du statut de réfugié le lendemain.

Lors de votre audition vous avez exposé que depuis votre service militaire vous n’avez jamais été convoqué pour la réserve. Vous dites avoir été membre du parti SDA, mais n’avoir jamais eu de problèmes dus à cette adhésion. Vous précisez également que vous n’avez jamais fait l’objet de persécutions. Vous avez quitté votre pays en raison de la présence de l’armée dans la région et parce que vous craigniez d’être emmené à l’armée.

Par ailleurs, vous n’envisagez pas un retour dans votre pays en raison du climat d’insécurité qui y règnerait depuis le retour des Albanais en général, et parce que vous êtes “ bochniaque ” en particulier.

Concernant précisément le climat qui règne actuellement au Kosovo, la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile, qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens le la Convention de Genève. Dans ce contexte, je tiens à souligner, que le conflit armé qui a sévi au Kosovo est terminé et que l’arme fédérale yougoslave et les forces de police dépendant des autorités serbes, à l’origine des répressions et des exactions commises au Kosovo ont quitté ce territoire. Actuellement une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, a été mise en place afin de garantir une coexistence pacifique des différentes communautés vivant au Kosovo.

Par ailleurs, des centaines de milliers de personnes, qui avaient quitté le Kosovo au moment du conflit armé pour se réfugier en Albanie et dans l’Ancienne République yougoslave de Macédoine, ont réintégré leurs foyers après l’entrée des forces internationales sur le territoire.

Tout en évaluant à sa juste valeur le fait isolé des difficultés matérielles que vous devez affronter après le vol de votre matériel de travail, - même à le supposer établi, - ne saurait constituer un motif pour fonder une demande d’asile au sens de l’article 1er, A §2 de la Convention de Genève.

Dans ces circonstances je considère que vous ne pouvez pas faire état d’un risque actuel de persécution pour des motifs tenant à votre race, à vos opinions politiques, à votre religion, à votre nationalité ou à votre appartenance à un groupe social, que vous courriez si vous deviez retourner dans votre territoire d’origine (…) ”.

Par requête déposée en date du 21 juillet 2000, Monsieur KOLIC a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision précitée du ministre de la Justice du 31 mai 2000.

2 L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoyant un recours en réformation en matière de demandes d’asiles déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit par le demandeur. Ledit recours ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, le demandeur fait exposer qu’il appartient à la minorité ethnique non albanaise des “ bochniaques ” ou slaves musulmans et qu’actuellement un nombre croissant d’exactions seraient commises au Kosovo contre toutes les minorités non albanaises depuis le retrait des forces serbes, exactions contre lesquelles les forces internationales en place seraient incapables d’assurer une protection efficace. Il se réfère à cet égard aux rapports de l’OSCE et de l’UNHCR pour la période de février à mai 2000 en signalant qu’ils font état d’attaques contre les personnes et les biens des minorités non albanaises dans toutes leurs zones d’implantation et particulièrement dans son village natal … où des tirs de grenades auraient eu lieu contre des maisons de “ bochniaques ” ou slaves musulmans en date des 19 mars et 16 avril 2000. Il relève encore qu’avant le début des opérations militaires au Kosovo, ce village aurait été habité par une majorité de “ bochniaques ”, alors qu’à présent les “ albanophones ” représenteraient la majorité de la population ce qui serait dû, d’une part, à l’aflux massif d’“ albanophones ” depuis la fin de la guerre et, d’autre part, aux nombreux départs de bochniaques dont il ne resteraient que les personnes âgées et celles mariées à des “ albanophones ”. La situation serait encore pire dans les villes voisines de Pec et de Vitomirica où l’on noterait également une forte minorité de slaves musulmans. Le demandeur explique que le climat d’agressivité générale à l’encontre des slaves musulmans serait dû notamment à la circonstance que la pratique publique de leur langue, qui ressemble fortement au serbo-croate, susciterait chez la population “ albanophone ” l’idée que les slaves musulmans furent complices des exactions commises en leur temps par les forces serbes. Il fait encore valoir qu’il serait sans incidence que les agressions invoquées soient exercées par des autorités non étatiques ou par des personnes prises individuellement et relève que dans le chef d’une personne qui réclame le statut de réfugié une crainte avec raison d’être persécuté ne serait pas censée être réservée aux seules personnes qui ont déjà été persécutées, mais pourrait également être vérifiée dans le chef de personnes qui veulent éviter de se trouver dans une situation où elles pourraient faire l’objet de persécutions. Dans la mesure où la situation des “ bochniaques ” du Kosovo se serait continuellement dégradée au cours des dix dernières années et que le malaise se serait trouvé à son paroxysme depuis que l’armée de libération du Kosovo exercerait son contrôle de fait sur ce territoire, ce serait à tort que la décision déférée a retenu que “ le fait isolé de difficultés matérielles que vous devez affronter après le vol de votre matériel de travail, - même à le supposer établi -, ne saurait constituer un motif pour fonder une demande d’asile au sens de l’article 1er, A §2 de la Convention de Genève ” étant donné que, de l’avis du demandeur, ce vol n’aurait probablement pas eu lieu ou du moins ne serait pas resté impuni s’il avait fait partie de la majorité albanophone.

Le demandeur conclut partant à la réformation de la décision déférée pour cause d’appréciation inexacte de la situation actuelle au Kosovo, ainsi que de sa situation personnelle.

Le délégué du Gouvernement rétorque que les Albanais du Kosovo ne sauraient en aucun cas être considérés comme des agents de persécution au sens de la Convention de Genève et estime que le demandeur ne démontrerait nullement le défaut de toute poursuite des actes de persécution par lui allégués de la part des autorités établies au Kosovo, de même qu’il 3 resterait en défaut d’établir des raisons pour lesquelles il ne serait pas en mesure de s’installer soit dans un autre quartier de sa ville d’origine, soit dans une autre partie du Kosovo et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne dans son pays d’origine.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme “ réfugié ” s’applique à toute personne qui “ craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ”.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

En l’espèce, l’argumentation développée par le demandeur, qui fait valoir un risque de persécution émanant des Albanais du Kosovo, n’est pas de nature à établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, une persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant non pas de l’Etat, mais de groupes de la population, en l’espèce de la population albanaise du Kosovo, ne peut être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

En l’espèce, le demandeur fait état de sa crainte de voir commettre des actes de violence à son encontre, mais ne démontre point que les forces onusiennes et l’administration civile actuellement en place ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Kosovo.

4 Par ailleurs, il y a lieu de relever que même à admettre qu’à l’heure actuelle, il est difficile pour le demandeur de se réinstaller dans sa région d’origine, au vu des affrontements ethniques qui y sont toujours d’actualité, le demandeur reste en défaut d’établir des raisons pertinentes pour lesquelles il ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre partie de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 22 novembre 2000 par:

M. Campill, premier juge Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Campill 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12141
Date de la décision : 22/11/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-11-22;12141 ?

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