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22/11/2000 | LUXEMBOURG | N°12049

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 novembre 2000, 12049


N° 12049 du rôle Inscrit le 15 juin 2000 Audience publique du 22 novembre 2000

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Recours formé par Monsieur … ZAHITOVIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12049 et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 juin 2000 par Maître Patrick REUTER, avocat à la Cour, assisté de Maître Michèle OSWEILER, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom

de Monsieur … ZAHITOVIC, né le … à … (Serbie), de nationalité yougoslave, sans état particulie...

N° 12049 du rôle Inscrit le 15 juin 2000 Audience publique du 22 novembre 2000

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Recours formé par Monsieur … ZAHITOVIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12049 et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 juin 2000 par Maître Patrick REUTER, avocat à la Cour, assisté de Maître Michèle OSWEILER, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … ZAHITOVIC, né le … à … (Serbie), de nationalité yougoslave, sans état particulier, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 10 avril 2000, notifiée le 16 mai 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 juin 2000;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Michèle OSWEILER, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 20 mai 1998, Monsieur … ZAHITOVIC, né le … à … (Serbie), de nationalité yougoslave, sans état particulier, demeurant actuellement à L-…, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur ZAHITOVIC fut entendu le 20 mai 1998 par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

1 Les 9 juin 1998 et 9 novembre 1999, Monsieur ZAHITOVIC fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 10 avril 2000, notifiée le 16 mai 2000, le ministre de la Justice informa Monsieur ZAHITOVIC de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « (…) Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté Tutin en Serbie pour Bar en date du 5 mars 1998. Ensuite vous vous êtes rendu à Bari où vous avez embarqué avec des passeurs dans un véhicule de marque Renault, pour arriver finalement le 19 mai 1998 au Luxembourg.

Il ressort de vos déclarations que vous vous êtes présenté au contrôle d’aptitude physique pour le service militaire en 1994. En mars 1998 vous avez reçu une convocation pour le service militaire et vous avez alors décidé, le même jour, de quitter Tutin pour vous rendre chez votre oncle au Monténégro. Vous indiquez ne pas avoir voulu effectuer votre service militaire dans l’armée serbe, car vous ne vouliez pas tuer des gens.

Lors de vos auditions vous avez exposé que vous avez quitté votre pays parce que vous ne vouliez pas faire votre service militaire dans l’armée serbe et parce que vous n’aviez aucun droit, notamment aucun droit au travail, en tant que musulman en Serbie. Vous indiquez aussi avoir été frappé à deux reprises, et cela sans raison apparente, par des milices serbes en 1994 alors que vous vous trouviez au Monténégro. Vous dites ne pas pouvoir retourner en Serbie, car vous croyez que vous serez puni par l’armée serbe du fait de votre insoumission et vous fournissez à ce sujet une convocation du Tribunal Communal de Tutin en date du 4 avril 1998, qui aurait été émise en vue de vous sanctionner du fait de votre insoumission. En plus vous avez peur des Serbes parce que vous êtes musulman.

Vous avez par ailleurs affirmé avoir été simple membre du SDA jusqu’à votre départ.

La seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule fonder une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la Convention de Genève.

En ce qui concerne la convocation en date du 4 avril 1998 devant le Tribunal Communal de Tutin que vous avez fournie, sans aucune reconnaissance d’authenticité de celle-ci, les motifs à la base de cette convocation ne sont pas établis, de sorte qu’il pourrait s’agir de motifs de droit commun. En plus cette convocation a été émise par le Tribunal Communal de Tutin et non par un tribunal militaire.

Vous faites cependant aussi référence à la situation particulière des musulmans en Serbie, dont vous êtes originaire, sans préciser concrètement vos difficultés en raison de votre religion musulmane.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution pour une des raisons énumérées par la Convention de Genève.

2 Par conséquent, vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

Par requête déposée en date du 15 juin 2000, Monsieur ZAHITOVIC a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision précitée du ministre de la Justice du 10 avril 2000.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asiles déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître de la demande en réformation dirigée contre la décision ministérielle déférée.

Le recours en réformation, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur expose qu’il est originaire de la Serbie, qu’il est de religion musulmane, qu’il aurait reçu un appel pour faire son service militaire et que, le même jour, il aurait quitté sa ville natale pour se rendre auprès de son oncle au Monténégro, étant donné qu’il aurait craint « pour sa vie ». Il fait valoir qu’il refuserait de faire son service militaire parce qu’il serait alors impliqué dans un conflit armé le « forçant ainsi de tuer d’autres êtres humains ». Son refus serait encore motivé par le fait qu’il n’aurait dans l’armée serbe, en tant que musulman, « ni droits, ni libertés ». Il relève encore qu’il ne serait pas en sécurité dans son pays pour autant que le gouvernement actuel resterait en place et qu’il aurait même reçu deux convocations pour se présenter devant le tribunal communal de Tutin.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur ZAHITOVIC et que le recours laisserait d’être fondé.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève dispose que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

3 Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur ZAHITOVIC lors de ses auditions des 9 juin 1998 et 9 novembre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, abstraction faite de ce que les déclarations faites par le demandeur sont très succinctes en ce qui concerne les circonstances particulières dont il prétend avoir été victime ou qu’il risque de subir, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que, d’une part, l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d’asile une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève et, d’autre part, il ne ressort des éléments du dossier ni que le demandeur risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance à une minorité religieuse, lui ont été infligés ou risquent de lui être infligés - étant précisé que les insultes et les agressions physiques qu’il prétend avoir subies de la part de la milice serbe en 1994, même à les supposer établies, ne sont pas d’une nature suffisamment grave pour justifier un risque de persécution de ce chef -, ni encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la peine - d’emprisonnement - éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève.

L’ensemble des déclarations faites par le demandeur constitue, en substance, l’expression d’un sentiment général de peur, sans qu’il ait fait état de persécutions vécus ou d’une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

Le recours en réformation est donc à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

se déclare compétent pour connaître du recours en réformation;

le déclare également recevable en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

4 condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 22 novembre 2000, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12049
Date de la décision : 22/11/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-11-22;12049 ?

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