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22/11/2000 | LUXEMBOURG | N°11858

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 novembre 2000, 11858


N°11858 du rôle Inscrit le 2 mars 2000 Audience publique du 22 novembre 2000

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Recours formé par Monsieur … WILDGEN contre une décision du ministre de l’Environnement et une décision du ministre de l’Intérieur en matière de protection des eaux souterraines

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Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 2 mars 2000 par Maître Henri FRANK, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre

des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … WILDGEN, agriculteur, demeurant à L-…, tend...

N°11858 du rôle Inscrit le 2 mars 2000 Audience publique du 22 novembre 2000

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Recours formé par Monsieur … WILDGEN contre une décision du ministre de l’Environnement et une décision du ministre de l’Intérieur en matière de protection des eaux souterraines

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Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 2 mars 2000 par Maître Henri FRANK, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … WILDGEN, agriculteur, demeurant à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision prise conjointement par le ministre de l’Environnement et le ministre de l’Intérieur en date du 15 décembre 1999, lui refusant l’exploitation d’un forage-captage sur un fonds sis au lieu-dit « … », à …, inscrit au cadastre de la commune de …, section G de …-Est sous le n°1308/3959 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 10 mai 2000;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 5 juin 2000 par Maître Henri FRANK, au nom de Monsieur WILDGEN;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Henri FRANK et Monsieur le délégué du gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives.

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Par lettre du 15 juillet 1999, Monsieur … WILDGEN, agriculteur, demeurant à L-…, adressa une demande au ministre de l’Environnement afin d’obtenir « l’autorisation d’ériger un puits (forage et captage) » sur un terrain sis au lieu-dit « …», à …, inscrit au cadastre de la commune de …, section G de …-Est sous le n°…. Il ressort de ladite demande que l’eau ainsi captée serait utilisée en tant qu’ « eaux de nettoyage, élevage (abreuvage des animaux) et arrosage de jardins, pelouses ou plantations ».

Cette demande fut transmise en date du 13 août 1999 pour avis au directeur de l’administration de l’Environnement, qui sollicita en date du 8 septembre 1999 un avis de la part du service géologique de l’administration des Ponts et Chaussées. Le 9 novembre 1999, le prédit service émit un avis négatif à l’encontre de la demande de Monsieur WILDGEN.

L’administration de l’Environnement émit son avis le 30 novembre 1999 en retenant que « la ferme « … » du requérant est raccordée au réseau public de distribution d’eau 1 potable » et que « dans l’intérêt d’une protection optimale des réserves de l’aquifère du Grès de Luxembourg, nous sommes donc d’avis de refuser la présente demande ».

Par décision du 15 décembre 1999, le ministre de l’Environnement conjointement avec le ministre de l’Intérieur refusèrent l’autorisation de procéder à l’aménagement d’un forage-

captage sur le fonds sis à …, inscrit au cadastre de la commune de …, section G de …-Est sous le n°… en se basant sur la loi modifiée du 11 août 1982 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles et sur la loi du 29 juillet 1993 concernant la protection et la gestion de l’eau. Les prédits ministres ont retenu comme motif de refus le fait que « le forage-captage projeté se situe à proximité des zones de protection des sources captées de « … », exploitées en tant qu’eau potable par les communes de … et de … et constituerait une source de pollution potentielle de l’eau souterraine, risquant de compromettre leur utilisation comme ressource d’eau potable à la fois du point de vue qualitatif et quantitatif.

L’aquifère visé par la présente demande est celui du Grès de Luxembourg. La nappe du Grès de Luxembourg doit être considérée comme nappe d’importance nationale. En effet, l’eau de cette nappe est caractérisée par une très bonne qualité chimique et bactériologique qui, moyennant un traitement classique d’aération, répond aux normes d’une eau potable.

C’est pourquoi, il y a lieu de réserver cette ressource hydrique souterraine aux seuls usages d’approvisionnement en eau potable ».

Par requête déposée le 2 mars 2000, Monsieur WILDGEN a introduit un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du 15 décembre 1999.

QUANT A LA COMPETENCE Conformément à l’article 3 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, le tribunal administratif n’est compétent pour connaître comme juge du fond que des recours en réformation dont les lois spéciales lui attribuent connaissance.

L’article 38 de la loi précitée du 11 août 1982 ainsi que l’article 14 de la loi précitée du 29 juillet 1993 prévoyant un recours au fond en la matière, le tribunal administratif est compétent pour connaître du recours en réformation introduit en ordre principal.

QUANT A LA RECEVABILITE DU RECOURS EN ANNULATION Il suit de ce qui précède que la demande en annulation de la décision critiquée, introduite en ordre subsidiaire, est d’ores et déjà à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi précitée du 7 novembre 1996, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

QUANT A LA RECEVABILITE DU RECOURS EN REFORMATION Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les délai et formes de la loi, il est recevable.

2 QUANT AU FOND A l’appui de son recours, le demandeur fait valoir que la décision de refus se référerait globalement aux lois précitées des 11 août 1982 et 29 juillet 1993, sans préciser sur quelles dispositions des prédites lois le refus serait fondé, de sorte que la décision querellée devrait être réformée sinon annulée. En effet, il estime que pour pouvoir apprécier la légalité d’une décision administrative, il faudrait que l’autorité administrative indique de façon claire le texte sur lequel elle se base pour refuser une autorisation, le simple renvoi à une loi étant insuffisant pour garantir les droits de la défense.

Concernant le reproche d’une motivation incomplète de la décision ministérielle critiquée, le délégué du gouvernement fait valoir que même si aucune référence aux articles des lois applicables dans le cas d’espèce n’a été faite, ce défaut d’indication n’encourait pas la sanction de l’annulation, étant donné « qu’il n’y a pas de doute possible sur la réglementation à la base du refus ». Par ailleurs, il considère que la motivation pourrait être complétée en cours d’instance et il précise à ce titre que la décision ministérielle serait fondée sur l’article 5 de la loi précitée du 11 août 1982 et sur l’article 9 de la loi précitée du 29 juillet 1993.

L’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes dispose que: « toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux. La décision doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, lorsqu’elle: … – refuse de faire droit à la demande de l’intéressé, … ».

Le demandeur reproche plus particulièrement à la décision incriminée de ne pas indiquer la disposition précise des textes légaux invoqués à l’appui du refus.

Le défaut d’indiquer dans la décision litigieuse la disposition précise des textes légaux qui constituent son fondement n’encourt pas de sanction, dès lors que les raisons fournies sont suffisamment explicites pour permettre au destinataire de la décision de les rattacher aux dispositions légales visées par l’administration.

En l’espèce, les ministres se sont référés aux textes de lois applicables en la matière et les faits décrits dans la décision critiquée sont présentés d’une manière suffisamment précise, de sorte que le demandeur n’a pas pu se méprendre quant aux dispositions légales exactes sur lesquelles elle est fondée. Le délégué du gouvernement a par ailleurs utilement complété les motifs dans son mémoire en réponse, de sorte que ce moyen est à rejeter.

Le demandeur fait ensuite valoir que la décision de refus manquerait de fondement, étant donné que le forage-captage ne constituerait pas une source de pollution potentielle de l’eau souterraine dans la mesure où, d’une part, le forage-captage projeté ne se situerait pas à proximité des zones de protection des sources captées au « … » et, d’autre part, le forage-

captage serait « installé conformément aux normes techniques actuelles » qui ne permettraient plus une pollution des eaux souterraines.

Il relève encore que le risque de pollution invoqué par les ministres à la base de leur refus serait purement hypothétique et fictif, et donc nullement établi dans le cas d’espèce.

3 Il conteste par ailleurs que le motif selon lequel il « faudrait réserver la ressource hydrique souterraine aux seuls usages d’approvisionnement en eau potable » puisse justifier la décision déférée, étant donné que la loi n’interdirait pas « dans cette sphère, le forage et captage privé ». Il soutient qu’une telle application de la loi reviendrait à « une sorte d’expropriation dans le chef des propriétaires des parcelles en question ».

Le demandeur conclut de ce qui précède que les ministres, au lieu de refuser purement et simplement l’autorisation demandée, auraient dû l’accorder, en l’assortissant, le cas échéant, de conditions conformément aux normes techniques actuellement en vigueur.

Le délégué du gouvernement soutient que les ministres sus-mentionnés auraient fait une saine appréciation des éléments de fait ainsi que de la situation juridique en cause et que le recours laisserait partant d’être fondé.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur fournit des explications complémentaires et sollicite en ordre subsidiaire de recourir à l’avis d’un homme de l’art, pour examiner le bien-

fondé des risques indiqués par les experts luxembourgeois.

L’article 5 de la loi précitée du 11 août 1982 prévoit qu’une autorisation du ministre de l’Environnement est requise « pour tous travaux de drainage, de curage, de prise d’eau, de pompage (…) ». Le critère de refus de l’autorisation est celui prévu par l’article 36 de la prédite loi, qui dispose que « les autorisations requises en vertu de la présente loi sont refusées lorsque les projets du requérant sont de nature à porter préjudice à la beauté et au caractère du paysage ou s’ils constituent un danger pour la conservation du sol, du sous-sol, des eaux, (…) ».

L’article 9 de la loi précitée du 29 juillet 1993 dispose en son point 1.) que « sans préjudice des autorisations requises en vertu d’autres lois et règlements, sont soumis à autorisation par le ministre : le prélèvement d’eau dans les eaux superficielles et souterraines (…) » et en son point 2.) que « l’autorisation visée au paragraphe 1 ne peut être accordée que si les déversements ou prélèvements remplissent certaines conditions techniques destinées à éviter les pollutions ou autres altérations nuisibles ».

Dans le cadre des compétences respectives qui sont ainsi dévolues au ministre de l’Environnement et au ministre de l’Intérieur, ceux-ci devront tenir compte des objectifs tels que fixés par la loi précitée du 11 août 1982 ainsi que de la loi du 29 juillet 1993.

Conformément notamment à l’article 1er de la loi précitée du 11 août 1982, le ministre de l’Environnement devra notamment avoir pour objectif de protéger les ressources naturelles contre toutes les dégradations. Par ailleurs, une autorisation dans le cadre d’un forage-captage n’est susceptible d’être accordée que s’il est certain, sous réserve de conditions techniques à fixer, qu’il n’existe pas un risque de pollution des eaux souterraines du fait de ce forage.

Le droit de propriété, garanti à la fois par le premier protocole de la Convention européenne des droits de l’homme et par l’article 16 de la Constitution, comporte le droit de jouir et de disposer des choses, dans la mesure où l’on n’en fait pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements et où il n’est causé aucun trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage ayant pour conséquence de rompre l’équilibre entre des droits équivalents.

4 Dès lors, s’il est vrai que le propriétaire d’un terrain peut, sous certaines conditions, avoir le droit d’effectuer un forage sur son terrain, il n’en demeure pas moins que l’exercice de ce droit se trouve notamment restreint par le fait qu’il y a lieu de prendre en considération les intérêts respectifs en cause, à savoir les intérêts nationaux, sinon régionaux ou communaux en approvisionnement d’eau potable et de les mettre en balance avec ceux du propriétaire du terrain de procéder à un forage en vue de s’approvisionner lui-même en eau potable.

Dans ce contexte, il faut tenir compte des données spécifiques de l’espèce, à savoir l’endroit où le forage sera réalisé, la profondeur du forage, l’étendue de la source d’eau captée et son importance sur le plan régional voire national et les risques potentiels de pollution de la source d’eau souterraine.

Le forage préalable à l’opération tendant à soutirer de l’eau souterraine se trouvant seulement en partie dans le tréfonds proprement dit de la propriété privée concernée, revient à ce qu’un propriétaire particulier d’une parcelle limitée est mis en mesure d’extraire de l’eau faisant partie d’un continuum se trouvant répandu dans un vaste bassin souterrain situé sous une multitude de propriétés, dont les différents titulaires auraient la faculté d’invoquer des droits équivalents.

Il ressort de l’avis géologique émis le 9 novembre 1999 par Monsieur R.M., géologue de l’administration des Ponts et Chaussées, que « la ferme … se situe sur le plateau de … à une altitude d’environ 340 mètres dans la partie amont du vallon du ruisseau du …, lequel prend source à quelques centaines de mètres du site. Le substratum géologique y est constitué, d’après la carte géologique feuille n°9 d’Echternach, par la formation du Grès de Luxembourg » et que « l’assise gréseuse est perméable par porosité et fissuration et renferme une nappe d’eau d’importance nationale. Elle alimente de nombreuses sources dans la région ».

Il découle des constatations qui précèdent que la nappe phréatique située en partie sous la propriété WILDGEN est constitutive d’un réservoir naturel d’eau souterraine, d’importance nationale, notamment du fait de son envergure et de ce que des nombreuses sources de captage d’utilisation nationale y sont situées.

C’est à bon droit que le délégué du gouvernement soutient que l’opération de forage en profondeur envisagée par le demandeur crée une communication directe entre les eaux de ruissellement en surface et les eaux souterraines profondes, ce qui entraîne ainsi un danger évident pour la qualité de ces dernières.

Il est évident que ce danger est d’autant plus prononcé que le forage projeté sera réalisé à proximité des installations agricoles du demandeur. En effet, même si le droit de puiser l’eau sur sa propriété est un droit largement reconnu, ses modalités d’exercice ont des limites, dès lors que l’intérêt public est en jeu.

Un forage, à l’endroit préconisé par le demandeur et au vu du fait que le forage vise à capter des eaux souterraines profondes présentant une importance nationale du point de vue de leur envergure, présente un danger démesuré au regard de l’importance de la réserve d’eau d’intérêt national concerné par rapport aux intérêts privés en cause.

5 Ainsi, eu égard aux impératifs de protection de l’eau et du sous-sol et eu égard au fait que le forage-captage présente un risque réel de pollution des eaux souterraines d’importance nationale et servant à l’alimentation des communes avoisinantes en eau potable, le ministre de l’Environnement ainsi que le ministre de l’Intérieur, statuant en vertu de l’article 5 de la loi précitée du 11 août 1982 et de l’article 9 de la loi précitée du 29 juillet 1993, ont légalement pu refuser l’autorisation sollicitée.

Cette conclusion n‘est pas énervée par le fait que les ministres auraient pu imposer des conditions techniques de nature à assurer une protection adéquate des eaux souterraines, dans la mesure où mêmes des conditions très strictes laisseraient subsister un risque de pollution dû au fait que le forage en profondeur crée une communication directe entre les eaux de ruissellement en surface et les eaux souterraines profondes, ce risque étant en l’espèce disproportionné par rapport aux intérêts privés en cause.

Il y a également lieu de rejeter la demande en institution d’une expertise supplémentaire, étant donné que l’avis recueilli de la part d’un géologue de l’administration des Ponts et Chaussée, est suffisamment explicite et précis pour permettre au tribunal de statuer en connaissance de cause. Par ailleurs, le tribunal n’a pas trouvé d’éléments dans le dossier lui permettant d’admettre que le géologue en question s’est trompé ou qu’une erreur résulte de son rapport ou d’autres éléments acquis en cause. Le demandeur n’ayant apporté aucun élément de preuve de nature à faire douter de la véracité du rapport dudit géologue, la demande tendant à voir instituer une mesure d’expertise est à rejeter.

Le recours est dès lors à abjuger comme étant non-fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme;

rejette la demande en institution d’une expertise ;

au fond le dit non justifié et en déboute;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge Mme. Lamesch, juge, 6 et lu à l’audience publique du 22 novembre 2000 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 7


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 11858
Date de la décision : 22/11/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-11-22;11858 ?

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