La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

20/11/2000 | LUXEMBOURG | N°12423

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 novembre 2000, 12423


N° 12423 du rôle Inscrit le 20 octobre 2000 Audience publique du 20 novembre 2000

===============================

Recours formé par Madame … MUJKIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

-------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Vu la requête inscrite sous le numéro 12423 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 20 octobre 2000 par Maître René WEBER, avocat à la Cour, assisté de Maître Gerd BROCKHOFF, avocat,

tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … M...

N° 12423 du rôle Inscrit le 20 octobre 2000 Audience publique du 20 novembre 2000

===============================

Recours formé par Madame … MUJKIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

-------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Vu la requête inscrite sous le numéro 12423 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 20 octobre 2000 par Maître René WEBER, avocat à la Cour, assisté de Maître Gerd BROCKHOFF, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … MUJKIC, née le … à … (Bosnie), de nationalité bosniaque, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 27 juillet 2000, notifiée le 21 septembre 2000, par laquelle sa demande en obtention du statut de réfugié politique a été déclarée manifestement infondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 7 novembre 2000;

Vu le mémoire en réplique, intitulé mémoire en réponse, déposé au greffe du tribunal administratif le 8 novembre 2000 au nom de la demanderesse ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée;

Ouï le juge rapporteur en son rapport et Maître Gerd BROCKHOFF, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

-------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Madame … MUJKIC, née le … à … (Bosnie), de nationalité bosniaque, demeurant actuellement à L-…, introduisit en date du 9 novembre 1998 une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé “ la Convention de Genève ”.

Elle fut entendue en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité ainsi que sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Lors de cette première audition elle déclara au sujet de son identité et de son état civil s’appeler … MUJKIC-MRANKOVIC et être l’épouse du dénommé … MUJKIC ayant également demandé l’asile politique.

Lors d’une audition complémentaire effectuée en date du 3 août 1999 par un agent du service de police judiciaire prévisé, elle avoua avoir fait de fausses déclarations au sujet de son identité et de son état civil et indiqua comme véritable identité le nom de … MUJKIC, tout en précisant être divorcée, son ex-mari s’appelant …, et son concubin, avec lequel elle avait demandé l’asile, s’appelant en réalité non pas …, mais … Elle fut entendue en date du 25 juillet 2000 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision datant du 27 juillet 2000, notifiée le 21 septembre 2000, le ministre de la Justice informa Madame MUJKIC que sa demande avait été rejetée aux motifs suivants :

“ (…) Concernant votre demande d’asile, force est de constater que le récit présenté à l’appui de votre demande d’asile est d’une réelle incohérence. En effet, vos allégations relatives aux conditions dans lesquelles vous avez quitté votre pays se sont révélées totalement contradictoires, en ce sens que vous relevez d’abord avoir quitté la Bosnie pour venir au Luxembourg, pour affirmer ensuite avoir fui la Slovénie. Concernant la date de votre fuite, vous déclarez dans un premier temps ne pas vous en souvenir pour ensuite invoquer la date exacte de votre départ pour le Luxembourg, à savoir le 14 novembre 1998.

Or, à cette date vous étiez déjà au Luxembourg.

Par ailleurs, il ne ressort pas des motifs invoqués à l’appui de votre demande d’asile que vous risquez d’être persécutée pour une des raisons énumérées par la Convention de Genève.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme manifestement infondée au sens de l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 (…) ”.

Par requête du 20 octobre 2000, Madame MUJKIC a introduit un recours en annulation contre la décision ministérielle précitée du 27 juillet 2000.

L’article 10 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2. d’un régime de protection temporaire, prévoit expressément qu’en matière de demandes d’asile déclarées manifestement infondées au sens de l’article 9 de la loi précitée de 1996, seul un recours en annulation est ouvert devant les juridictions administratives.

Le recours en annulation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, la demanderesse expose avoir été mariée à Monsieur… , mariage dont seraient issus deux enfants, …, né le 16 mars 1983 et…, née le 24 septembre 1986, et avoir été contrainte en 1992 du fait du conflit armé faisant rage en Bosnie, de quitter la Bosnie avec sa famille pour se réfugier en Slovénie, ceci en raison de leur confession musulmane. Elle signale que de 1992 à 1998, la famille aurait été dirigée d’un camp de réfugiés vers l’autre et expose avoir quitté son mari en 1998 pour rejoindre Monsieur…, sur quoi son mari aurait demandé et obtenu le divorce en Bosnie. Elle fait valoir qu’il lui serait actuellement impossible de rentrer avec sa famille en Bosnie, région essentiellement musulmane, étant donné que, d’un côté, en tant que femme divorcée pour avoir commis un 2 adultère, elle aurait été rejetée par sa famille et serait exclue de la société majoritairement croyante. De l’autre côté, et ceci serait plus grave et mériterait une analyse plus poussée quant à l’application de la Convention de Genève, le risque de persécution dans son chef serait accru du fait qu’elle aurait entretenu non seulement une relation adultérine avec un autre homme, mais de surcroît avec un homme serbe. Elle estime qu’il existerait donc dans son chef une crainte justifiée de persécution du fait de son appartenance à un certain groupe social et se réfère à cet égard par analogie à la situation dans laquelle se seraient trouvées en France au lendemain de la deuxième guerre mondiale les femmes soupçonnées d’avoir entretenu une relation avec l’ennemi.

Le délégué du Gouvernement rétorque que la demanderesse, qui a sollicité l’octroi de la qualité de réfugié le 9 novembre 1998 en déclarant être arrivée directement de Bosnie via la Yougoslavie, la Slovénie, l’Italie et la France, s’appeler MUJKIC-… et avoir fait le voyage en compagnie de son époux MUJKIC … et de leur enfant commun MUJKIC …, a avoué par la suite avoir fait de fausses déclarations quant à son nom, son état civil et son arrivée au Grand-Duché. Il relève en outre qu’au cours de l’audition du 25 juillet 2000, elle a déclaré ne pas avoir d’opinions politiques, ne pas être membre d’un parti politique et ne pas avoir subi des persécutions ou des condamnations, mais d’avoir peur de Monsieur …, alias MUJKIC…, son “ mari ”.

Il signale que c’est sur base de ce dossier, dans le cadre duquel la demanderesse n’aurait invoqué aucun fait laissant présumer un risque de persécution, que sa demande a été rejetée comme étant manifestement non fondée. Le représentant étatique estime que l’on ne saurait dès lors reprocher au ministre de ne pas en avoir tenu compte dans sa décision du moyen présenté pour la première fois en cours de procédure contentieuse par la demanderesse qu’en tant que femme adultère elle risquerait des persécutions en Bosnie.

Il estime par ailleurs que même abstraction faite de la particularité que ce motif n’a pas été directement invoqué à l’appui de la demande d’asile, le fait d’avoir eu en tant que femme bosniaque une relation adultérine avec un homme serbe ne serait pas un motif pour lequel le statut de réfugié devrait être accordé, alors que la Convention de Genève exigerait comme condition en vue de l’octroi du statut de réfugié une persécution émanant d’un Etat ou tolérée par celui-ci. Dans la mesure où la demanderesse n’aurait pas rapporté la preuve de ce que les persécutions ou agressions par elle alléguées et émanant d’un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, son moyen unique soulevé en cours de procédure contentieuse serait à écarter.

Dans son mémoire en réplique la demanderesse fait valoir que les fausses déclarations faites en date du 9 novembre 1998 s’expliqueraient par la violence et la pression morale et physique exercées contre elle par Monsieur …et ne s’analyseraient dès lors pas en un recours abusif aux procédures en matière d’asile. Elle estime que les violences et pressions ainsi invoquées seraient relatées à suffisance dans le rapport de la police judiciaire du 3 août 1999 et corroborées par le rapport médical du 7 mars 1999 versés en cause.

Elle fait valoir en outre que même à admettre, -quod non-, que les autorités de son pays d’origine ne toléreraient pas les persécutions ou agressions auxquelles serait exposée une femme de religion musulmane ayant eu une relation adultérine avec un homme serbe, ces autorités seraient désorganisées et impuissantes, de sorte qu’elle ne pourrait réclamer une 3 protection de leur part et tomberait dès lors bien sous le qualificatif de réfugié au sens de l’article 1er de la Convention de Genève.

Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 “ une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New-York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de tout fondement (…) ”.

En vertu de l’article 6, alinéa 1er du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 “ une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle repose clairement sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ”. Le même article précise dans son article 2, b) que tel est notamment le cas lorsque le demandeur “ a délibérément fait de fausses déclarations verbales ou écrites au sujet de sa demande, après avoir demandé l’asile ”.

Il ne suffit pas qu’un demandeur d’asile invoque un ou des motifs tombant sous le champ d’application de la Convention de Genève, il faut encore que les faits invoqués à la base de ces motifs ne soient pas manifestement incrédibles ou, eu égard aux pièces et renseignements fournis, que la crainte ne soit manifestement dénuée de fondement. Ainsi, il ne suffit pas d’invoquer une crainte de persécution pour un des motifs prévus par la Convention de Genève, il faut encore que le demandeur d’asile soumette aux autorités compétentes des éléments suffisamment précis permettant à celles-ci d’apprécier la réalité de cette crainte. L’absence de production de tels éléments a pour conséquence que la demande d’asile doit être déclarée manifestement infondée.

Le tribunal doit partant examiner, sur base de l’ensemble des pièces du dossier et des renseignements qui lui ont été fournis, si les faits peuvent être qualifiés de manifestement incrédibles ou la crainte de manifestement dénuée de fondement.

En l’espèce, il est constant à travers les pièces versées au dossier et notamment l’aveu afférent de la demanderesse, qu’elle a fait des fausses déclarations lors de son audition effectuée par le service de police judiciaire en date du 9 novembre 1998 dans le cadre de l’instruction de sa demande d’asile.

S’il est certes constant que conformément aux dispositions de l’article 6 alinéa 3 du règlement grand-ducal du 22 avril 1996, précité, la demande d’asile ne sera pas automatiquement déclarée manifestement infondée si le demandeur peut donner une explication satisfaisante relative à la fraude ou au recours abusif aux procédures en matière d’asile lui reprochés, il n’en demeure pas moins qu’en l’espèce, la violence et la pression morale et physique alléguées, exercées sur la personne de la demanderesse par Monsieur IZBEROVIC, ne sont en tout état de cause susceptibles que d’expliquer utilement les fausses déclarations faites pour les besoins de la demande d’asile par la demanderesse lors de sa première audition en date du 9 novembre 1998.

Or, force est de constater en l’espèce qu’au-delà des fausses déclarations de la demanderesse lors de sa première audition, l’examen des faits et motifs par elle invoqués à l’appui de sa demande d’asile après avoir révélé sa véritable identité, amène le tribunal à 4 conclure que son récit manque toujours et manifestement de cohérence et doit partant être qualifié de manifestement incrédible. – En effet, elle a déclaré en date du 3 août 1999 qu’elle a rencontré Monsieur … sur son lieu de travail en Bosnie, qu’elle a décidé de quitter son pays d’origine avec lui en septembre 1998 sans pouvoir indiquer la date du départ avec précision, tandis que, interrogée en date du 25 juillet 2000 par un agent du ministère de la Justice, elle a déclaré avoir quitté la Bosnie en 1992 et avoir vécu les six dernières années en Slovénie où elle aurait fait la connaissance d’… en août 1998 dans un centre d’accueil, ainsi que d’avoir quitté la Slovénie le 14 novembre 1998 pour venir au Luxembourg. Par ailleurs, interrogée sur les raisons de sa crainte d’un retour en Bosnie, elle a d’abord précisé lors de sa seconde audition par un agent du service de police judiciaire en date du 3 août 1999 que “ Im September 1998 beschlossen wir, aus oekonomischen Gründen, Bosnien zu verlassen und nach Luxemburg zu kommen ”, de même qu’interrogée à ce même sujet par un agent du ministère de la Justice en date du 25 juillet 2000 elle a répondu : “ Je n’ai pas la possibilité de travailler et j’aurais dû retourner avec deux enfants chez ma mère. Or, vivre en Bosnie avec deux enfants est impossible (…)J’ai peur de Monsieur …”, tandis que dans le cadre du recours contentieux sous examen, elle invoque un motif tout à fait différent, à savoir sa crainte de persécutions ou d’agressions auxquelles elle serait exposée en tant que femme musulmane ayant eu une relation adultérine avec un homme serbe.

Il se dégage des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande d’asile de Madame MUJKIC comme étant manifestement infondée, étant donné que ses déclarations, globalement considérées, sont manifestement incrédibles.

Le recours en annulation laisse dès lors d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en annulation en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lenert, premier juge 5 et lu à l’audience publique du 20 novembre 2000 par le vice-président, en présence de M.

Schmit, greffier en chef.

Schmit Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12423
Date de la décision : 20/11/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-11-20;12423 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award