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15/11/2000 | LUXEMBOURG | N°12398

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 novembre 2000, 12398


N° 12398 du rôle Inscrit le 16 octobre 2000 Audience publique du 15 novembre 2000

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Recours formé par les époux … et … AVDYLI-…, contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro 12398 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 octobre 2000 par Maître Nathalie GILSON, avocat à la Cour, assistée de Ma

tre Elisabeth REINARD, avocat, toutes les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxemb...

N° 12398 du rôle Inscrit le 16 octobre 2000 Audience publique du 15 novembre 2000

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Recours formé par les époux … et … AVDYLI-…, contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro 12398 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 octobre 2000 par Maître Nathalie GILSON, avocat à la Cour, assistée de Maître Elisabeth REINARD, avocat, toutes les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des époux … AVDYLI-…, née le … à …(Kosovo), et … AVDYLI, né le …à …(Kosovo), tous les deux de nationalité yougoslave, agissant tant en leur nom personnel qu’au nom et pour compte de leur enfant … AVDYLI, né le …à Luxembourg, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 14 juillet 2000, notifiée le 15 septembre 2000, par laquelle leur demande en obtention du statut de réfugié politique a été déclarée manifestement infondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 7 novembre 2000;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge rapporteur en son rapport et Maître Elisabeth REINARD, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Les époux … AVDYLI-…, née le … à … (Kosovo) et … AVDYLI, né le … à …(Kosovo), tous les deux de nationalité yougoslave, agissant tant en leur nom personnel qu’au nom et pour compte de leur enfant …AVDYLI, né le 1er octobre 1999 à Luxembourg, demeurant actuellement ensemble à L-…, introduisirent en date du 25 septembre 1998 une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé “ la Convention de Genève ”.

En date du même jour, les époux AVDYLI-… furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

En date du 28 décembre 1999, ils furent entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision datant du 14 juillet 2000, notifiée le 15 septembre 2000, le ministre de la Justice informa les époux AVDYLI-… que leur demande avait été rejetée comme étant manifestement infondée aux motifs suivants : “ (…) Il résulte de vos déclarations que vous, Monsieur, étiez simple adhérent du parti LDK depuis 1986. Votre adhésion ne vous a jamais posé de problèmes.

Vous n’avez jamais subi personnellement des persécutions.

Vous avez quitté le Kosovo en raison de la situation de guerre. Vous n’avez plus peur de vivre là-bas. Le fait que votre maison est détruite vous empêcherait de rentrer.

Madame, vous vous ralliez aux déclarations de votre mari.

Force est de constater que l’armée yougoslave a quitté le Kosovo et qu’une force internationale de paix s’y est installée. Un risque de persécution par les autorités yougoslaves n’existe plus à l’heure actuelle. Vous avez d’ailleurs déclaré tous les deux que vous n’avez jamais été persécutés personnellement. En outre, vous affirmez que vous n’avez plus peur maintenant au Kosovo.

Vous ne voulez pas encore rentrer, mais vous voulez avoir du travail ici et de l’argent pour pouvoir reconstruire votre maison là-bas. De tels motifs ne sauraient toutefois fonder une demande d’asile politique au sens de la Convention de Genève ”.

Par requête déposée en date du 16 octobre 2000, les époux AVDYLI-… ont fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation contre la décision ministérielle précitée du 14 juillet 2000.

Le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours en ce qu’il tend à la réformation de la décision critiquée au motif que la loi ne prévoirait pas un recours au fond en matière de demandes d’asile refusées comme étant manifestement infondées.

L’article 10 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, prévoit expressément qu’en matière de demandes d’asile déclarées manifestement infondées au sens de l’article 9 de la loi précitée de 1996, seul un recours en annulation est ouvert devant les juridictions administratives.

Il s’ensuit que le tribunal est incompétent pour connaître de la demande en réformation de la décision ministérielle litigieuse. - En effet, si le juge administratif est saisi d’un recours en réformation dans une matière dans laquelle la loi ne prévoit pas un tel recours, il doit se déclarer incompétent pour connaître du recours (trib. adm. 28 mai 1997, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 5, page 310, et autres références y citées).

2 Le recours en annulation à l’encontre de la décision ministérielle litigieuse ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Les demandeurs concluent d’abord à l’annulation de la décision déférée pour violation de la loi, et plus particulièrement des dispositions de l’article 10 alinéa 1er de la loi modifiée du 3 avril 1996 précitée, en relevant qu’ils ont fait leur demande le 28 septembre 1998, mais que le ministre n’a pris une décision qu’en date du 14 juillet 2000 seulement, soit après l’expiration du délai de deux mois prévu par la loi.

Le délai de deux mois prévu pour prendre une décision en matière de demandes d’asile irrecevables ou manifestement infondées tend à assurer une expédition rapide des décisions en la matière et touche ainsi principalement au fonctionnement du service concerné.

En effet, tel que l’a soutenu le Conseil d’Etat dans son avis relativement au projet de loi devenu l’actuelle loi du 3 avril 1996 précitée, “ il s’agit davantage d’inciter les responsables à traiter les affaires avec célérité ”, tout en relevant que l’“ on ne saurait cependant surestimer la portée (du délai) étant donné que la loi ne prévoit pas de sanction en cas de non-observation ” (cf. doc. parl. n° 380610, deuxième avis complémentaire du Conseil d’Etat).

Les demandeurs restant en l’espèce en défaut d’établir en quoi le non-respect du délai en question aurait eu une incidence préjudiciable sur l’examen au fond de leur demande et ne faisant pas non plus état d’une quelconque lésion de leurs droits de la défense, force est de constater que le seul caractère tardif de la décision n’est en l’espèce pas de nature à énerver la légalité de la décision querellée, la légalité d’une décision administrative ne se mesurant pas par rapport au temps d’instruction plus ou moins long de l’administration.

Il s’ensuit que le premier moyen d’annulation des demandeurs relatif au non respect du délai de deux mois prévu par l’article 10 alinéa 1er de la loi du 3 avril 1996 précitée laisse d’être fondé.

Les demandeurs font remarquer ensuite que leurs droits de la défense auraient été bafoués du fait que la nouvelle loi du 18 mars 2000 ayant modifié la loi du 3 avril 1996 précitée a supprimé le recours obligatoire à la commission consultative pour les réfugiés. Ils font valoir plus particulièrement à cet égard que cette commission aurait garanti le principe de l’examen individuel de la demande d’asile et empêché la décision du ministre d’être discrétionnaire.

En l’espèce, il est clair à travers les pièces versées au dossier que les demandeurs ont bénéficié d’une audition individuelle et détaillée en présence d’un interprète et que leurs déclarations respectives ont été dûment consignées dans un rapport afférent soumis au ministre avant sa prise de décision. Dans la mesure où les demandeurs n’invoquent par ailleurs aucune violation de la loi relativement à la procédure applicable en matière d’instruction de demandes d’asile au moment de la prise de la décision déférée, aucune lésion de leurs droits de la défense n’est établie en l’espèce. Le tribunal n’étant pas le juge de la loi, mais de la décision administrative lui déférée, le deuxième moyen des demandeurs basant sur le fait même de la nouvelle loi du 18 mars 2000, en l’absence de toute question de constitutionnalité ou de conflit de loi alléguée, est à écarter comme n’étant pas fondé.

3 Les demandeurs font valoir ensuite que leur famille aurait été enlevée par les Serbes et que le cousin de Monsieur AVDYLI aurait été mis en prison par les Serbes à Pozarevac en Serbie, que leur maison aurait été entièrement détruite durant les bombardements des Serbes et qu’ils ne disposeraient pas de moyens nécessaires pour faire procéder à la reconstruction de leur maison. Ils estiment que leurs vies se trouveraient toujours menacées dans leur pays d‘origine et craignent l’affrontement de la misère en cas de retour.

Le délégué du Gouvernement rétorque que la situation des personnes ayant perdu tous leurs biens au cours d’une guerre serait toujours difficile, mais il estime qu’il n’en resterait pas moins que la Convention de Genève n’aurait pas prévu que des problèmes matériels, si douloureux soient-ils, puissent justifier l’octroi du statut de réfugié. Il signale par ailleurs que l’ONU et de nombreux pays auraient mis à la disposition des fonds pour la reconstruction des maisons détruites. Concernant l’argument que leurs vies se trouveraient toujours menacées, le représentant étatique relève que cette affirmation serait en contradiction flagrante avec les déclarations des demandeurs lors de leurs auditions respectives et fait valoir que de toute manière ce genre d’affirmation non autrement précisée ne saurait constituer un motif d'annulation.

Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 “ une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New-York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de tout fondement (…) ”.

En vertu de l’article 3, alinéa 1er du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 “ une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’un demandeur n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande ”.

Il ne suffit pas qu’un demandeur d’asile invoque un ou des motifs tombant sous le champ d’application de la Convention de Genève, il faut encore que les faits invoqués à la base de ces motifs ne soient pas manifestement incrédibles ou, eu égard aux pièces et renseignements fournis, que la crainte ne soit manifestement dénuée de fondement. Ainsi, il ne suffit pas d’invoquer une crainte de persécution pour un des motifs prévus par la Convention de Genève, il faut encore que le demandeur d’asile soumette aux autorités compétentes des éléments suffisamment précis permettant à celles-ci d’apprécier la réalité de cette crainte. L’absence de production de tels éléments a pour conséquence que la demande d’asile doit être déclarée manifestement infondée.

Le tribunal doit partant examiner, sur base de l’ensemble des pièces du dossier et des renseignements qui lui ont été fournis, si les faits peuvent être qualifiés de manifestement incrédibles ou la crainte de manifestement dénuée de fondement.

En l’espèce, l’examen des faits et motifs invoqués par les demandeurs à l’appui de leur demande d’asile amène le tribunal à conclure qu’ils n’ont manifestement pas établi, ni même allégué, des raisons personnelles suffisamment précises de nature à établir dans leur chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève 4 dans leur pays de provenance, à savoir le Kosovo. - En effet, lors de son audition, telle que celle-ci a été relatée dans le compte rendu figurant au dossier, Monsieur AVDYLI a affirmé que la seule chose qui l’empêche de rentrer au Kosovo est que sa maison est brûlée. Il a déclaré à cet égard que :“ Je demande qu’on me donne de l’argent pour que je puisse rentrer et reconstruire ma maison. Je voudrais avoir le permis de travail pour gagner de l’argent. Il est difficile de trouver du travail si on ne connaît personne ”. Interrogé plus particulièrement sur des persécutions subies personnellement, il a clairement répondu par la négative et au sujet d’une éventuelle peur éprouvée dans son chef il a répondu : “ Je n’ai plus peur maintenant. Tout est entre les mains des Albanais, il n’y a plus de Serbes ”.

Pareillement, Madame AVDYLI-… a précisé que “ nous espérons que nous pouvons gagner de l’argent et rentrer ” et interrogée sur les raisons qui l’empêchent de rentrer dans son pays elle a précisé ce qui suit : “ Il nous faudrait quelque chose pour commencer les travaux de reconstruction ”. Interrogée sur les persécutions subies personnellement elle a répondu par la négative.

Le tribunal constate que les demandeurs basent leurs craintes de persécution sur la situation générale existant dans leur pays d’origine, à savoir le Kosovo, sans apporter davantage de précisions quant aux persécutions qu’ils risqueraient personnellement de subir en cas de retour. Les arguments par eux invoqués sont en effet essentiellement d’ordre économique et ne constituent pas à eux seuls, un motif valable de reconnaissance du statut de réfugié.

Il se dégage des considérations qui précèdent que les demandeurs restent en défaut de faire état d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur pays de provenance, à savoir le Kosovo.

Les demandes d’asile ne reposent dès lors sur aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève.

Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre de la Justice a déclaré les demandes d’asile des époux AVDYLI-… comme étant manifestement infondées, de sorte que le recours formé par eux est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 15 novembre 2000 par :

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge 5 Mme Lenert, premier juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12398
Date de la décision : 15/11/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-11-15;12398 ?

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