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15/11/2000 | LUXEMBOURG | N°12121

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 novembre 2000, 12121


N° 12121 du rôle Inscrit le 13 juillet 2000 Audience publique du 15 novembre 2000

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Recours formé par Monsieur … RADONCIC et son épouse, Madame …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12121 et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 juillet 2000 par Maître Marc MODERT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … RADON

CIC, né le … à … (Serbie), sans état particulier, et de son épouse, Madame …, née le … à … (Monté...

N° 12121 du rôle Inscrit le 13 juillet 2000 Audience publique du 15 novembre 2000

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Recours formé par Monsieur … RADONCIC et son épouse, Madame …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12121 et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 juillet 2000 par Maître Marc MODERT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … RADONCIC, né le … à … (Serbie), sans état particulier, et de son épouse, Madame …, née le … à … (Monténégro), sans état particulier, tous les deux de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-

…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 2 juin 2000, notifiée le 20 juin 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 juillet 2000;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Marc MODERT, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 14 juin 1999, Monsieur … RADONCIC, né le … à … (Serbie), sans état particulier, et son épouse, Madame …, née le … à … (Monténégro), sans état particulier, agissant pour eux mêmes ainsi qu’en nom et pour compte de leurs deux enfants mineurs Aldin, né le … à …, et …, née le … à …, tous les quatre de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, 1 approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-

après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux RADONCIC-… furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-

ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le même jour, ils furent en outre entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Il se dégage encore d’un rapport de police du 9 août 1999 au sujet de Monsieur RADONCIC que « Amtierende mussten am 09. 08. 1999 gegen 17.20 Uhr in der Halle 5 der F.I.L. eingreifen, da RADONCIC einem Mitarbeiter des Restaurants " R. ", welches für die Verpflegung sorgt, heissen Kaffee über die Kleidung gegossen hatte. Als Grund gab RADONCIC an, von dem Mann ungerecht behandelt worden zu sein.

RADONCIC versuchte nun zusätzlich andere Landesgenossen zu Gewalttätigkeiten gegenüber den Mitarbeitern des Restaurants anzustiften, was ihm glücklicherweise nicht gelang.

Der wahre Grund weshalb es zu der Auseinandersetzung kam, ist derjenige, dass RADONCIC bei der Essensausgabe nicht warten wollte bis die Reihe an ihm war, sondern sich vordrängte.

RADONCIC kann sich schwer an die Regeln des normalen Lebens halten, wird sehr aggressiv, wenn er glaubt ungerecht behandelt worden zu sein und droht den Sicherheitsbeamten der Firma "S." regelmässig Prügel an.

RADONCIC welcher aus Montenegro stammt, versucht immer wieder (Albaner usw.) aufzuhetzen um Unruhe zu stiften.

Hiesige Dienststelle wurde schon mehrmals von den Verantwortlichen des Familienministeriums von solchen Machenschaften des RADONCIC in Kenntnis gesetzt ».

Par décision du 2 juin 2000, notifiée le 20 juin 2000, le ministre de la Justice informa les époux RADONCIC-… de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté la Yougoslavie le 15 mai 1999. Vous avez transité à travers la Bosnie, la Croatie et la Slovénie, où vous êtes restés jusqu’au 13 juin 1999, date de votre départ pour le Luxembourg. Vous êtes arrivés au Luxembourg le 14 juin 1999 à 7.00 heures du matin.

Monsieur, vous exposez avoir été appelé pour faire la réserve militaire. Vous avez reçu deux convocations, la première vers le 25 avril 1999, la seconde vers le 12 ou 13 mai 1999.

Vous expliquez avoir quitté votre pays à cause de la guerre et à cause de la réserve.

Vous avez peur d’être tué par un Serbe ou par un Albanais.

Votre peur est également liée à la situation politique en général.

2 Madame, vous confirmez les déclarations de votre mari et vous n’invoquez pas d’élément de persécution personnelle.

Force est cependant de constater que la crainte d’une condamnation pénale pour le fait de ne pas avoir accompli ses obligations militaires n’est pas suffisante pour établir une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

De même l’insoumission ne constitue pas, à elle seule, un motif valable pour obtenir le statut de réfugié.

En outre, il ressort de vos déclarations que vous avez un sentiment général d’insécurité. Vous déclarez cependant que vous n’avez pas personnellement subi des persécutions.

Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par conséquent vous n’alléguez tous les deux aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

Par requête déposée en date du 13 juillet 2000, les époux RADONCIC-… ont fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du ministre de la Justice du 2 juin 2000.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asiles déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation, formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. - Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

A l’appui de leur recours, les demandeurs font exposer qu’ils sont musulmans et que, de ce fait, ils seraient traités comme des « indésirables » par la majorité de la population du Monténégro « qui est d’obédience orthodoxe chrétienne » ainsi que par les autorités au pouvoir. Ils ajoutent que la situation politique actuelle au Monténégro serait telle que les organismes non gouvernementaux d’aide et d’assistance aux réfugiés estimeraient qu’un retour 3 de membres de minorités ethniques serait dangereux pour les intéressés et Monsieur RADONCIC relève en outre qu’il aurait refusé de donner une suite à deux convocations pour la réserve militaire « de crainte d’être victime de représailles et d’être exposé à dessein à des situations de haut risque ». Sur ce, ils estiment qu’ils feraient valoir des craintes justifiées de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Ils font encore état de ce qu’ils ont deux enfants mineurs et qu’il se dégagerait d’une attestation médicale produite en cause que leur fils Aldin est atteint d’une maladie métabolique rare, indiquant la poursuite de son « follow up » à Luxembourg, étant donné que les conditions pour assurer ce suivi ne seraient pas remplies dans leur pays d’origine.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des consorts RADONCIC-… et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux RADONCIC-… lors de leurs auditions respectives en date du 14 juin 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que, d’une part, l’insoumission de Monsieur RADONCIC n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le 4 chef des consorts RADONCIC-…, une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève et que, d’autre part, il ne ressort des éléments du dossier ni que Monsieur RADONCIC risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de sa religion musulmane, lui ont été infligés ou risquent de lui être infligés, ni encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève.

C’est encore à bon droit que le ministre compétent a analysé l’ensemble des déclarations faites par les demandeurs comme constituant, en substance, l’expression d’un sentiment général de peur, sans qu’ils aient fait état d’un état de persécution vécu ou d’une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine, étant relevé dans ce contexte que, lors de leurs auditions, ils ont précisé qu’ils n’ont pas été persécutés personnellement, qu’ils n’ont pas été accusés d’un crime ou d’un délit, ni incarcérés avec ou sans jugement, et qu’ils n’établissent aucunement des raisons personnelles suffisamment précises de nature à justifier dans leur chef une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur religion musulmane.

Enfin, les problèmes de santé de leur enfant mineur Aldin, aussi tragiques qu’ils puissent être, ne sauraient justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève, étant donné que ni les problèmes de santé de l’enfant ni encore la qualité des soins que peuvent assurer les médecins dans leur pays d’origine ne sont de nature à justifier une crainte de persécution au sens de ladite Convention.

Le recours en réformation est donc à rejeter comme non fondé.

Lors de l’audience fixée pour les plaidoiries, le mandataire des demandeurs a informé le tribunal de ce que ses mandants bénéficiaient de l’assistance judiciaire, il échet de lui en donner acte.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

donne acte aux demandeurs qu’ils déclarent bénéficier de l’assistance judiciaire;

se déclare compétent pour connaître du recours en réformation;

le déclare également recevable en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

déclare le recours en annulation irrecevable;

5 condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 15 novembre 2000, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12121
Date de la décision : 15/11/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-11-15;12121 ?

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