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15/11/2000 | LUXEMBOURG | N°12104

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 novembre 2000, 12104


N° 12104 du rôle Inscrit le 5 juillet 2000 Audience publique du 15 novembre 2000

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Recours formé par Madame … AMEZIANE, … contre une décision du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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Vu la requête déposée le 5 juillet 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Sandro LUCI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … AMEZIANE, née le … à … (Maroc), de nationalité marocaine, demeurant actuellement à L-…,

tendant à l’annulation sinon à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 7 avril 2000 ...

N° 12104 du rôle Inscrit le 5 juillet 2000 Audience publique du 15 novembre 2000

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Recours formé par Madame … AMEZIANE, … contre une décision du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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Vu la requête déposée le 5 juillet 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Sandro LUCI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … AMEZIANE, née le … à … (Maroc), de nationalité marocaine, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation sinon à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 7 avril 2000 refusant « de prolonger [son] (…) autorisation de séjour » au Luxembourg;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 juillet 2000;

Vu le mémoire en réplique déposé le 17 août 2000 au nom de la demanderesse;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Stéphane COLLART, en remplacement de Maître Sandro LUCI, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 29 mars 1996, Madame … AMEZIANE, née le … à … (Maroc), de nationalité marocaine, demeurant à L-…, résidant au Grand-Duché de Luxembourg depuis le début de l’année 1995, s’est mariée avec Monsieur J-P S., de nationalité luxembourgeoise.

Par décision du 17 mai 1996, le ministre de la Justice émit un permis de séjour, valable jusqu’au 16 mai 1997, en faveur de Madame AMEZIANE.

Il ressort d’un rapport dressé le 12 mai 1997 par l’inspecteur de police P. D., du commissariat d’Esch-sur-Alzette de la police du Grand-Duché de Luxembourg, que ledit jour, Monsieur J-P S., accompagné de son épouse, Madame AMEZIANE, s’est présenté au prédit commissariat de police et que « S. nous a déclaré être encore toujours forain. Il nous a 1 également déclaré qu’il vit actuellement avec son épouse à l’adresse mentionnée ci-dessus.

Ces déclarations ont été confirmées par AMEZIANE, qui est sans travail.

Le même jour, vers 10.30 heures, je me suis rendu au domicile de S.. J’ai constaté que S. vivait seul. Concernant les effets d’AMEZIANE, S. n’a pas pu me montrer qu’une seule robe qui se trouvait dans l’armoire à vêtements. Finalement S. a expliqué que son épouse habiterait momentanément chez son oncle C. S., demeurant à L-…. Selon nos constatations, la communauté de vie entre S. et AMEZIANE n’existe plus ».

Il ressort encore d’un rapport de l’inspecteur de police C. M. du prédit commissariat de police du 21 janvier 1998 que Madame AMEZIANE « ist wohl zu Esch/Alzette, (…) angemeldet, jedoch war sie bis dato noch nie an erwähnter Adresse wohnhaft. (…) als S. am Mittwoch, den 21. 01. 1998, um 10.00 Uhr, auf hiesiger Stelle vorsprach, bestätigte derselbe uns erneut, wie bereits im August 1997, dass seine ihm angetraute Ehefrau permanent zu L-

…, bei ihrem Onkel (…) und dessen Ehefrau (…) aufhaltsam sei.

Die zu Esch/Alzette angegebene Adresse ist somit fiktiv. S. wurde mitgeteilt, dass seiner Frau eine Frist von 1 Woche eingeräumt werde. In diesem Zeitraum muss sie sich zu Buschrodt angemeldet haben, andererseits von hiesiger Stelle gegen dieselbe Protokoll errichtet wird.

Was die Ehe von S. und AMEZIANE betrifft, so kann der Tatbestand unsererseits nicht bestätigt werden und zwar aus zwei Gründen.

1. S. wohnt zu Esch/Alzette, seine Ehefrau hingegen zu …, 2. S. ist bereits seit sehr langer Zeit einschlägig im Homosexuellen-Milieu bekannt (wurde bis zu seiner Heirat auch nie in Begleitung irgendeiner weiblichen Person gesehen).

Aus dem Gespräch, welches am 21. 1. 98 auf hiesigem Kommissariat mit S. geführt wurde, geht hervor, dass S. sich lediglich mit AMEZIANE getraut hat, damit das Gespräch um seine Homosexualität aufhören solle.

Abschliessend sei noch zu erwähnen, dass AMEZIANE keiner lohnbringenden Beschäftigung nachgeht, sie betreut lediglich das 6-jährige Kind ihrer Tante (…), welche in etwa 2 Monaten ihr zweites Kind erwartet.(…) ».

Par lettre de son mandataire en date du 20 mai 1999, Madame AMEZIANE, qui résidait à l’époque à Tanger (Maroc), sollicita une nouvelle autorisation de séjour. Ladite demande était accompagnée d’une déclaration de prise en charge de son mari.

Le 2 août 1999, le ministre de la Justice accorda une autorisation de séjour provisoire valable jusqu’au 31 janvier 2000.

Les 22 décembre 1999 et 21 janvier 2000, le mandataire de Madame AMEZIANE sollicita auprès du ministre de la justice la prolongation du prédit permis de séjour.

Il ressort encore, entre autres, d’un rapport du commissaire de police C. M. que « la communauté [de vie] n’existe plus et n’a jamais existé ». Dans le transmis du 25 janvier 2000 2 dudit rapport à l’adresse du service des étrangers du ministère de la Justice, ledit commissaire de police précisa encore que « zusätzlich sei noch zu erwähnen, dass Unterzeichnete von diversen Schaustellern mitgeteilt bekam, dass AMEZIANE, obwohl angemeldet, nicht bei ihrem Noch-Ehemann leben würde ».

Le 7 avril 2000, le ministre de la Justice refusa d’accorder un nouveau permis de séjour à Madame AMEZIANE « alors que vous [Madame AMEZIANE] n’avez pas rapporté la preuve de vos moyens d’existence personnels et suffisants vous permettant d’assurer votre séjour au pays indépendamment de l’aide matérielle ou des secours financiers que de tierces personnes pourraient vous faire parvenir, conformément à l’article 2 de la loi du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers (…) ».

Par requête déposée le 5 juillet 2000, Madame AMEZIANE a introduit un recours en annulation sinon en réformation contre la décision ministérielle précitée du 7 avril 2000.

A l’appui de son recours, la demanderesse fait valoir qu’elle est mariée avec un ressortissant luxembourgeois et que, dès lors, elle ne saurait être « expulsée ». Dans ce contexte, elle conteste que la communauté de vie n’aurait jamais existé, mais elle admet que « depuis un certain temps elle n’habite plus auprès de son mari mais auprès de ses tante et oncle à l’adresse susmentionnée alors que son mari l’a gravement délaissée et négligée. Dans ce contexte une procédure de divorce par consentement mutuel est sur le point d’être lancée ».

Elle soutient en outre que sa tante et son oncle la logeraient et subviendraient à ses besoins, de sorte qu’« en 6 ans, [elle n’a pas eu] à recourir une seule fois au soutient financier de l’Etat luxembourgeois ». Concernant l’inexistence de moyens financiers propres, elle reproche aux ministres compétents de la confronter à un cercle vicieux, étant donné que, d’un côté, on lui refuse l’autorisation de séjour au motif qu’elle n’aurait pas de moyens d’existence et, de l’autre côté, on lui refuserait la délivrance d’un permis de travail au motif qu’elle n’aurait pas de permis de séjour. - Dans son mémoire en réplique, elle fait ajouter qu’il se dégagerait d’une déclaration de prise en charge du 7 juillet 1999 que son mari prendrait à sa charge tous ses frais de séjour et de voyage.

La demanderesse fait encore valoir qu’un retour au Maroc la « plongerait dans la misère la plus totale », étant donné qu’elle serait refusée par la société marocaine en raison du fait qu’elle s’est mariée avec un « étranger », que son père et sa deuxième épouse ainsi que leurs 4 enfants vivraient dans une pièce de 8 m2 et que son père serait malade et sans revenus.

Enfin, la demanderesse soutient que l’applicabilité de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers; 2. le contrôle médical des étrangers; 3.

l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère, serait tenue en échec par les articles 10 et 11 du règlement CEE 1612/68 du Conseil du 15 octobre 1968 relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté, en vertu desquels le ressortissant d’un Etat tiers marié avec un ressortissant communautaire est en droit de s’installer avec son conjoint sur le territoire d’un Etat membre de l’Union Européenne, ce droit perdurant tant que le lien matrimonial n’est pas dissous.

3 Le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours en réformation au motif qu’un recours au fond ne serait pas prévu par les dispositions légales applicables en la matière.

Au fond, le délégué soutient qu’à défaut d’un secours financier à recevoir par son époux et à défaut d’avoir jamais exercé une occupation salariée lui permettant de subvenir elle même à ses besoins, l’absence de moyens personnels propres justifierait la décision ministérielle de refus du permis de séjour. Il estime encore que la demanderesse ne serait pas dans un « cercle vicieux » au motif que depuis 1995, elle n’aurait jamais sollicité la délivrance d’un permis de travail et qu’elle ne se serait mise à la recherche d’un travail qu’au moment où son autorisation de séjour est venue à expiration.

Concernant la situation familiale et matérielle de la demanderesse en cas de retour dans son pays d’origine, le délégué soutient que le tribunal, statuant en annulation, ne saurait pas prendre en compte de tels éléments ayant trait à l’opportunité de la décision.

QUANT AU RECOURS EN REFORMATION Encore que la demanderesse entende exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation contre la décision critiquée, l’existence d’une telle possibilité rendant irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

Aucune disposition légale ne conférant compétence, à la juridiction administrative, pour statuer comme juge du fond en la matière, le tribunal est incompétent pour connaître de la demande en réformation de la décision critiquée.

QUANT AU RECOURS EN ANNULATION Le recours en annulation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

La logique juridique amène le tribunal à analyser d’abord si la situation de Madame AMEZIANE est visée par le droit communautaire et, dans ce contexte, à examiner le moyen d’annulation soulevé par elle basé sur la violation de son prétendu droit au séjour qui découlerait du règlement CEE 1612/68 précité, lequel tiendrait la loi précitée du 28 mars 1972 en échec.

En vertu du paragraphe 1er de l’article 10 du règlement CEE n° 1612/68 précité « ont le droit de s’installer avec le travailleur ressortissant d’un Etat membre employé sur le territoire d’un autre Etat membre, quelle que soit leur nationalité : a) son conjoint (…) ».

Force est de constater que ladite disposition de droit communautaire ne s’applique pas à des situations purement internes à un Etat membre, telle que celle d’un ressortissant d’un Etat tiers qui, en sa seule qualité de conjoint d’un ressortissant d’un Etat membre, se prévaut d’un droit de séjour ou d’un droit de demeurer sur le territoire de cet Etat membre (CJCE 18 octobre 1990, aff. 297/88 et 197/89, Dzodzi c/ Etat belge, Rec.I - 3763) et que la réglementation adoptée pour l’exécution du Traité de Rome ne peut pas être appliquée à des 4 situations qui ne présentent aucun facteur de rattachement à l’une quelconque des situations envisagées par le droit communautaire, ce dernier ne s’appliquant pas au cas où le travailleur ressortissant d’un Etat membre, tel que visé par l’article 10, paragraphe 1er du règlement CEE précité n° 1612/68 possède la nationalité de l’Etat sur le territoire duquel le ressortissant d’un Etat tiers, conjoint dudit travailleur, entend faire valoir un droit à l’entrée ou au séjour, ledit règlement communautaire ne trouvant application qu’à partir du moment où un ressortissant d’un Etat tiers, marié à un ressortissant d’un Etat membre de l’Union européenne travaillant dans un autre Etat membre que celui dont il possède la nationalité, invoque le droit à l’entrée ou au séjour dans l’Etat membre dans lequel son conjoint travaille.

Il s’ensuit qu’étant donné qu’en l’espèce, la situation de Madame AMEZIANE, ressortissante d’un Etat tiers, mariée à un ressortissant luxembourgeois, constitue une situation purement interne au Luxembourg, qui n’est pas visée par le droit communautaire, le moyen d’annulation soulevé laisse d’être fondé et il doit être écarté.

Il convient encore d’examiner, au regard du droit luxembourgeois, le caractère légal et réel des motifs invoqués à l’appui de l’acte administratif critiqué.

L’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 dispose que: «l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger: (…) - qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ».

La légalité d’une décision administrative s’apprécie en considération de la situation de droit et de fait existant au jour où elle a été prise. Il appartient au juge de vérifier, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, si les faits sur lesquels s’est fondée l’administration, sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute.

Il ressort des éléments du dossier et des renseignements qui ont été fournis au tribunal, que Madame AMEZIANE ne disposait pas de moyens personnels propres au moment où la décision attaquée a été prise.

En effet, c’est à tort que la demanderesse entend justifier l’existence de moyens personnels suffisants par des rémunérations qu’elle pourrait obtenir si le ministre du Travail et de l’Emploi lui accorderait un permis de travail lui permettant d’exercer une profession au Luxembourg. Abstraction faite de toutes autres considérations, force est de relever que la demanderesse n’était pas en possession, au moment de la prise de décision, d’un permis de travail et elle n’était dès lors pas autorisée à occuper un emploi au Grand-Duché de Luxembourg et à toucher des revenus provenant de cet emploi.

La demanderesse ne prouve pas l’existence d’autres moyens personnels. A cet égard, il échet de relever qu’au moment où la décision ministérielle incriminée a été prise, la demanderesse a non seulement été séparée de fait de son époux, mais qu’en outre, il a pu être constaté, sur base des rapports de police précités, que le mariage contracté par elle ne constitue qu’un mariage blanc et partant, elle n’était pas en mesure d’obtenir, ni n’a obtenu, un secours alimentaire de la part de son mari, les moyens à apporter par d’autres membres de sa famille n’étant pas à considérer comme constituant des moyens personnels au sens de l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 (cf. trib. adm. 9 juin 1997, n° 9781 du rôle, Pas. adm.

1/2000, V° Etrangers, II Autorisation de séjour - Expulsion, n° 82, et autres références y citées).

5 Il suit des considérations qui précèdent que c’est donc à juste titre que le ministre a refusé l’autorisation de séjour sollicitée et que le recours en annulation est à écarter comme étant non fondé. - Cette conclusion n’est pas ébranlée par les arguments basés sur la mauvaise situation matérielle de la famille de la demanderesse au Maroc qu’elle devrait rejoindre, pareille considération restant étrangère à la présente matière.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation;

reçoit le recours en annulation en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 15 novembre 2000 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12104
Date de la décision : 15/11/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-11-15;12104 ?

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