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15/11/2000 | LUXEMBOURG | N°12083

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 novembre 2000, 12083


N° 12083 du rôle Inscrit le 30 juin 2000 Audience publique du 15 novembre 2000

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Recours formé par Monsieur … BEHRAMI, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12083 et déposée au greffe du tribunal administratif le 30 juin 2000 par Maître Jean-Marie BAULER, avocat à la Cour, assisté de Maître Arzu AKTAS, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieu

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N° 12083 du rôle Inscrit le 30 juin 2000 Audience publique du 15 novembre 2000

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Recours formé par Monsieur … BEHRAMI, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12083 et déposée au greffe du tribunal administratif le 30 juin 2000 par Maître Jean-Marie BAULER, avocat à la Cour, assisté de Maître Arzu AKTAS, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … BEHRAMI, né le … à … (Kosovo), de nationalité yougoslave, sans état particulier, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du « 3 mai 2000, notifiée le 30 mai 2000 », par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 juillet 2000;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Arzu AKTAS, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 4 août 1998, Monsieur … BEHRAMI, né le … à … (Kosovo), de nationalité yougoslave, sans état particulier, demeurant actuellement à L-…, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il ressort d’un rapport du 6 août 1999 que Monsieur BEHRAMI fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 8 novembre 1999, Monsieur BEHRAMI fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

1 Par décision du 18 avril 2000, notifiée le 15 mai 2000, le ministre de la Justice informa Monsieur BEHRAMI de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « (…) Il résulte de vos déclarations que vous avez été expulsé d’Allemagne en mai 1998 et que vous êtes alors rentré au Kosovo. Vous avez ensuite à nouveau quitté votre village de Vinarce au Kosovo vers la fin du mois de juillet 1998 pour arriver au Luxembourg en date du 4 août 1998.

Il ressort de vos déclarations que vous n’avez jamais été convoqué pour faire votre service militaire, ni pour la réserve.

Lors de votre audition vous avez exposé que vous avez quitté votre pays parce que vous avez reçu une convocation devant un tribunal serbe, mais vous indiquez que vous ne savez pas pour quelle raison vous avez été convoqué devant ce tribunal. Vous supposez que les autorités serbes veulent vous interroger sur des informations les concernant, que vous auriez pu délivrer aux autorités allemandes. Vous avez peur d’être maltraité lors d’un tel interrogatoire et c’est pour cette raison que vous avez préféré quitter le Kosovo. Vous dites aussi avoir peur des habitants serbes au Kosovo.

Vous indiquez en outre ne pas avoir été membre d’un parti politique et ne jamais avoir été persécuté.

La raison ayant motivé votre départ est la réception d’une convocation de vous présenter devant un tribunal serbe. Cependant ni l’existence même de cette convocation, ni les motifs à la base de celle-ci ne sont établis, de sorte qu’il pourrait s’agir de motifs de droit commun. En outre vous n’avez pas fait état de persécutions ou de brutalités que vous auriez subies de la part des autorités serbes.

Par ailleurs l’armée yougoslave a quitté le Kosovo et une force internationale de paix y est installée. Un risque de persécution par les autorités yougoslaves n’existe donc plus à l’heure actuelle et sous ce point de vue, vous n’expliquez pas des raisons pour lesquelles vous ne pourriez pas retourner dans votre pays d’origine.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi aucune crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

Par lettre datée du 14 juin 2000, entrée au ministère de la Justice le lendemain, 15 juin 2000, Monsieur BEHRAMI introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 18 avril 2000.

Par décision du 22 juin 2000, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

2 Par requête déposée en date du 30 juin 2000, Monsieur BEHRAMI a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du ministre de la Justice du 18 avril 2000.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asiles déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation, formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. - Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

Au fond, le demandeur fait exposer qu’il est ressortissant du Kosovo et, plus particulièrement, originaire de la ville de Mitrovica et qu’il a quitté son pays d’origine en juillet 1998.

Il soutient en premier lieu qu’il ne ressortirait pas du dossier administratif qu’il aurait été informé de son droit de se faire assister par un avocat au cours de la procédure d’instruction de sa demande d’asile, de sorte que la décision litigieuse serait à annuler pour violation de l’article 5 de la loi précitée du 3 avril 1996.

Au fond, il réitère son argumentation relativement à la convocation reçue pour se présenter devant un tribunal serbe et il fait ajouter que son appartenance à la minorité albanaise au Kosovo l’exposerait à des persécutions de la part des Serbes, risque qui serait particulièrement grave dans la ville de Vinacre, située à proximité de la frontière serbe et dont 40 % de la population serait serbe. En outre, même en présence des forces internationales, il serait discriminé par rapport aux Serbes du Kosovo et considéré comme un citoyen de « seconde zone ». Enfin, il « éprouverait un sentiment d’insécurité permanent en cas de retour au KOSOVO ».

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du moyen d’annulation basé sur la violation de l’article 5 de la loi précitée du 3 avril 1996, au motif que le rapport d’audition du 8 novembre 1999 renseignerait qu’il aurait été informé de son droit de se faire assister par un avocat.

Au fond, le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur BEHRAMI et que le recours laisserait d’être fondé.

Au voeu de l’article 5 de la loi précitée du 3 avril 1996, un demandeur d’asile doit être informé de son droit de choisir un avocat inscrit au tableau de l’un des barreaux du Luxembourg ou de se faire désigner un avocat par le bâtonnier de l’ordre des avocats. Le texte dispose également que le fait que cette information a été donnée au demandeur d’asile devra ressortir du dossier.

3 En l’espèce, c’est à bon droit que le délégué du gouvernement relève qu’il se dégage indubitablement du rapport dressé lors de l’audition du demandeur d’asile en date du 8 novembre 1999 et signé par lui, qu’il a été informé de ce qu’il a « droit à l’assistance d’un avocat à titre gratuit pour l’instruction de ma demande en obtention du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 » et qu’il a déclaré que, « pour l’audition d’aujourd’hui, je déclare ne pas avoir besoin d’un avocat. Je peux cependant à tout moment ultérieur de la procédure faire valoir mon droit d’assistance juridique ».

La procédure d’instruction du dossier du demandeur n’est donc pas viciée sous ce rapport et le moyen d’annulation afférent est à écarter.

Au fond, aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

Ceci étant, l’argumentation développée par le demandeur n’est pas de nature à établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, une persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant non pas de l’Etat, mais de groupes de la population, en l’espèce de la population albanaise du Kosovo, ne peut être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, 4 qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

En l’espèce, le demandeur fait état de sa crainte de voir commettre des actes de violence à son encontre, mais ne démontre point que les forces onusiennes et l’administration civile actuellement en place ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Kosovo.

Par ailleurs, il y a lieu de relever que même à admettre qu’à l’heure actuelle, il est toujours difficile pour un membre de la communauté musulmane et albanaise du Kosovo, originaire de la région de Mitrovica, de s’y réinstaller, au vu des affrontements ethniques qui sont toujours d’actualité dans cette ville, le demandeur reste en défaut d’établir des raisons pour lesquelles il ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre partie du Kosovo et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne dans son pays d’origine.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

se déclare compétent pour connaître du recours en réformation;

le déclare également recevable en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

déclare le recours en annulation irrecevable;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 15 novembre 2000, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12083
Date de la décision : 15/11/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-11-15;12083 ?

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