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15/11/2000 | LUXEMBOURG | N°12078

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 novembre 2000, 12078


N° 12078 du rôle Inscrit le 29 juin 2000 Audience publique du 15 novembre 2000

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Recours formé par M. … HASOVIC et son épouse, Mme. … et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12078 et déposée au greffe du tribunal administratif le 29 juin 2000 par Maître François TURK, avocat à la Cour, assisté de Maître François DELVAUX, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avo

cats à Luxembourg, au nom de Monsieur … HASOVIC, né le … à … (Monténégro), sans état particulier, ...

N° 12078 du rôle Inscrit le 29 juin 2000 Audience publique du 15 novembre 2000

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Recours formé par M. … HASOVIC et son épouse, Mme. … et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12078 et déposée au greffe du tribunal administratif le 29 juin 2000 par Maître François TURK, avocat à la Cour, assisté de Maître François DELVAUX, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … HASOVIC, né le … à … (Monténégro), sans état particulier, de son épouse, Madame …, née le … à … (Serbie), sans état particulier, et de leurs trois enfants mineurs …, née le … à … (Monténégro), …, né le … à …, et …, née le … à …, tous les cinq de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 21 avril 2000, notifiée le 16 mai 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 7 juillet 2000;

Vu le mémoire en réplique déposé le 10 août 2000 au nom des demandeurs;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Mireille HAMES, en remplacement de Maître François TURK, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 23 février 1999, Monsieur … HASOVIC, né le … à … (Monténégro), sans état particulier, et son épouse, Madame …, née le … à … (Serbie), sans état particulier, agissant pour eux mêmes ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, née le … à … (Monténégro), …, né le … à …, et …, née le … à …, tous les cinq de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New 1 York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux HASOVIC-… furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il ressort d’un rapport de police du 30 juin 1999 qu’étant donné que l’identité de Monsieur HASOVIC a été douteuse, des recherches ont été effectuées et qu’il se serait révélé qu’il « a été signalé sous la même identité, mais lieu de naissance: NOVA SARAJEVO / YOU, le 21 mars 1994 à Uelzen (RFA) pour infraction à la législation sur les étrangers ».

Le 27 juillet 1999, les époux HASOVIC-… furent entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 21 avril 2000, notifiée le 16 mai 2000, le ministre de la Justice informa les époux HASOVIC-… de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté Rozaje le 21 février 1999.

Un camion vous aurait conduit à la frontière hongroise. Vous auriez ensuite traversé la Hongrie, l’Autriche et l’Allemagne avant d’arriver au Luxembourg le 23 février 1999 vers cinq heures du matin. Vous auriez pu franchir les frontières sans aucun problème puisque le chauffeur était muni de faux passeports pour tous les passagers. Vous auriez payé 5000 DEM pour le voyage. Vous affirmez en outre que vous auriez choisi le Luxembourg comme destination parce que c’était le trajet ‘moins cher’. Il résulte du rapport de police, que vous, Monsieur Hasovic, avez été signalé, à Uelzen en RFA pour infraction à la législation sur les étrangers le 21 mars 1994 sous la même identité, mais avec ‘Nova Sarajevo’ comme lieu de naissance.

Lors de votre audition, Monsieur Hasovic, vous avez exposé que vous avez quitté votre pays principalement parce que vous avez été appelé à la réserve et que vous ne vouliez pas combattre "vos frères" musulmans au Kosovo. Vous déclariez que la peur des sanctions (peine de prison accompagnée d’une amende) vous empêche de rentrer dans votre pays maintenant que le conflit est terminé. En outre vous avez déclaré que vous êtes disposé à rentrer dans votre pays dès que la situation sera de nouveau ‘normale’.

Tel que votre dossier se présente, il n'en ressort pas qu'une crainte justifiée de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion ou de l'appartenance à un groupe social ne peut être établie [sic]. L'insoumission n'est en effet pas, en elle même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d'asile une crainte justifiée d'être persécuté dans son pays d'origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, ainsi que le prévoit l'article 1er section A §2 de la Convention de Genève. Par ailleurs, la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d'asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supporter [sic] une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

2 Quant à vous, Madame Hasovic, vous déclarez avoir subi des menaces de la part des Serbes d'une part du fait que vous avez accueilli une famille albanaise qui s'est enfuie du Kosovo et d'autre part à cause du fait que votre mari a été convoqué à la réserve à trois reprises. Vous affirmez que vous espériez rester au Luxembourg jusqu'à ce que la situation se soit calmée dans votre pays. S'il est vrai que vous faites état de menaces, non autrement spécifiées, vous n'invoquez ni ne prouvez des menaces concrètes ou de mauvais traitements envers votre personne de la part des autorités. S'agissant du fait que votre mari ne s'est pas présenté à la réserve, vous n'avez pas fait valoir des raisons personnelles crédibles de nature à justifier, dans votre chef, la crainte d'être persécutée pour une des raisons énoncées dans la Convention de Genève.

Par conséquent vous n'invoquez tous les deux aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

Par lettre datée du 14 juin 2000, entrée au ministère de la Justice le lendemain, 15 juin 2000, les époux HASOVIC-… introduisirent, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 21 avril 2000.

Par décision du 22 juin 2000, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 29 juin 2000, les époux HASOVIC-…, ainsi que leurs trois enfants, ci-après dénommés ensemble les « consorts HASOVIC-… », ont fait introduire un recours tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation de la décision précitée du ministre de la Justice du 21 avril 2000.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asiles déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée.

Il s’ensuit que le recours principal en annulation est à déclarer irrecevable. - En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

Le recours en réformation, formulé en ordre subsidiaire, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs font exposer que leur demande d’asile repose principalement sur ce que, suite au refus de Monsieur HASOVIC de faire suite à divers appels à la réserve militaire, ce refus ayant été motivé par le fait qu’il refusait de participer aux atrocités de la guerre et, plus particulièrement, de combattre ses frères musulmans, il risquerait 3 une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 3 ans et que son épouse ainsi que ses enfants, en tant que parents d’un insoumis, risqueraient d’être maltraités par la population et le « gouvernement de Milosevic ».

Ils font encore état de ce que leur fille cadette, …, serait atteinte d’un problème cardiaque grave, qui a nécessité une intervention chirurgicale, à Paris, le 29 septembre 1999, et que, dans leur pays d’origine, les moyens nécessaires pour faire suivre son état de santé leur seraient inaccessibles, de sorte que l’enfant serait discriminé ou sanctionné du fait de l’appartenance ethnique et des convictions religieuses de ses parents.

Sur ce, les demandeurs estiment qu’ils remplissent les conditions légales en vue de la reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève et que la décision ministérielle devrait être réformée en ce sens.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des consorts HASOVIC-… et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux HASOVIC-… lors de leurs auditions respectives en date du 27 juillet 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

4 En effet, l’insoumission de Monsieur HASOVIC n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des consorts HASOVIC-…, une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève. En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur HASOVIC risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de sa religion musulmane, lui ont été infligés ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève.

Pour le surplus, le tribunal est amené à constater que les déclarations et récits des demandeurs restent vagues et qu’ils n’ont pas apporté suffisamment de précisions quant aux persécutions qu’ils risqueraient personnellement de subir du fait de leur appartenance ethnique et de leurs convictions religieuses, de sorte qu’il convient de conclure que l’ensemble de leurs déclarations relativement à leurs craintes de persécution constituent l’expression d’un sentiment général de peur, sans qu’ils aient fait état d’un état de persécution vécu ou d’une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine, étant relevé dans ce contexte que, lors de leurs auditions, ils ont précisé qu’ils n’ont pas été persécutés personnellement, qu’ils n’ont pas été accusés d’un crime ou d’un délit, ni incarcérés avec ou sans jugement, et qu’ils n’établissent aucunement des raisons personnelles suffisamment précises de nature à justifier dans leur chef une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leurs appartenance ethnique et convictions religieuses.

Enfin, les problèmes de santé de leur fille mineure …, aussi tragiques qu’ils puissent être, ne sauraient justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève, étant donné qu’ils ne sont pas de nature à justifier une crainte de persécution au sens de ladite Convention et qu’il n’est par ailleurs pas établi qu’un suivi médical leur soit refusé pour une des raisons prévues par la Convention de Genève.

Le recours en réformation est donc à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

se déclare compétent pour connaître du recours en réformation;

le déclare également recevable en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

déclare le recours en annulation irrecevable;

5 condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 15 novembre 2000, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12078
Date de la décision : 15/11/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-11-15;12078 ?

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