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14/11/2000 | LUXEMBOURG | N°12129

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 novembre 2000, 12129


Numéro 12129 du rôle Inscrit le 17 juillet 2000 Audience publique du 14 novembre 2000 Recours formé par Monsieur … QORRI, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête, inscrite sous le numéro 12129 du rôle, déposée le 17 juillet 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …

QORRI, né le … à … (Kosovo), de nationalité yougoslave, demeurant à L-…, tendant à...

Numéro 12129 du rôle Inscrit le 17 juillet 2000 Audience publique du 14 novembre 2000 Recours formé par Monsieur … QORRI, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête, inscrite sous le numéro 12129 du rôle, déposée le 17 juillet 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … QORRI, né le … à … (Kosovo), de nationalité yougoslave, demeurant à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 19 avril 2000 et d’une décision confirmative sur recours gracieux du 16 juin 2000, les deux portant rejet de sa demande en octroi du statut de réfugié politique;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 juillet 2000;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI, et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 24 octobre 2000.

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Le 31 juillet 1998, Monsieur … QORRI, né le … à … (Kosovo), de nationalité yougoslave, demeurant à L-…, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-

après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur QORRI fut entendu en date du 12 novembre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande.

Le ministre de la Justice informa Monsieur QORRI, par lettre du 19 avril 2000, notifiée en date du 16 mai 2000, que sa demande avait été rejetée aux motifs suivants : « (…) Il résulte de vos déclarations que vous avez été convoqué pour vous présenter au contrôle d’aptitude physique, en vue d’effectuer votre service militaire, en 1996. Ensuite vous n’avez plus jamais été convoqué par l’armée.

Lors de votre audition vous avez exposé que vous avez quitté votre pays parce que vous aviez entendu qu’il y avait eu des massacres, commis par les Serbes en 1998, dans des villages situés dans votre région. Vous précisez cependant que vous n’avez jamais vu personnellement de tels massacres, ni les villages concernés, mais que la simple évocation de ces massacres vous a fait peur. Vous indiquez aussi que la guerre se préparait déjà et que vous avez alors décidé de quitter votre région.

Il ressort aussi de vos déclarations que vous n’avez jamais été membre d’un parti politique et que vous n’avez jamais subi de persécutions. Vous indiquez aussi vouloir rester au Luxembourg, car la situation économique du Luxembourg vous paraît plus avantageuse que celle du Kosovo.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

En l’espèce, il ne se dégage ni des pièces versées, ni des renseignements que vous nous avez fournis que vous risquez d’être persécuté pour une des raisons énumérées par l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève.

En outre, l’armée fédérale yougoslave et les forces de police dépendant des autorités serbes à l’origine des répressions et exactions commises au Kosovo, ont quitté ce territoire.

Une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée au Kosovo et une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place.

Par ailleurs des centaines de milliers de personnes, qui avaient quitté le Kosovo pour se réfugier en Albanie et en Macédoine ont réintégré leurs foyers après l’entrée des forces internationales sur le territoire.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

Le recours gracieux introduit par le mandataire de Monsieur QORRI en date du 15 juin 2000 à l’égard de la décision ministérielle précitée fut rencontré par une décision confirmative du 16 juin 2000.

2 A l’encontre de ces deux décisions ministérielles de rejet du 19 avril et du 16 juin 2000, Monsieur QORRI a fait introduire un recours en réformation par requête déposée le 17 juillet 2000.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, dans sa teneur applicable au moment de la prise des décisions déférées, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asiles déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur reproche au ministre une appréciation erronée des faits en retenant que les éléments par lui soumis ne seraient pas de nature à fonder dans son chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution. Il expose être originaire du Kosovo et de religion musulmane et motive sa demande d’asile par sa crainte de devoir subir le même sort que les victimes des massacres perpétrés à Likashan et dans sa région d’origine. Le demandeur estime que cette crainte se trouverait confirmée par le massacre de sept membres de sa famille par les Serbes en représailles des bombardements des forces aériennes de l’OTAN et que cette perte dans ces conditions serait de nature à avoir « un impact psychologique direct sur son psychisme » et aurait effectivement provoqué chez lui un très fort traumatisme. En renvoyant à une décision judiciaire étrangère ayant reconnu dans des situations prétendument semblables à la sienne le statut de réfugié politique au vu des persécutions subies par la personne concernée et les membres de sa famille, le demandeur considère que les faits par lui vécus seraient de nature à constituer dans son chef une persécution à caractère particulier de nature à rendre son retour au Kosovo impossible.

Le délégué du Gouvernement relève que l’armée yougoslave a quitté le Kosovo et qu’une force armée internationale y est en place, de sorte qu’une persécution des Albanais du Kosovo ne serait plus donnée faute d’agents de persécution. Quant à la décision étrangère invoquée par le demandeur, le représentant étatique estime qu’elle ne saurait être transposée telle quelle dans l’affaire sous analyse, étant donné que dans l’espèce y visée le demandeur d’asile avait été arrêté par les autorités serbes, avait personnellement subi de mauvais traitements et était resté gravement handicapé, tout comme des membres de sa famille nucléaire avaient été exécutés, tandis qu’en l’espèce, le demandeur n’avait jamais été arrêté par la police serbe et les personnes exécutées n’appartenaient pas à sa famille nucléaire.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

3 Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n° 12179C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, force est de constater que, suite au départ du Kosovo des forces armées et de police yougoslaves et à l’installation d’une force armée et d’une administration civile sous l’égide des Nations-Unies, un risque de persécution de la part des autorités serbes ne peut en principe plus être admis actuellement. En outre, le demandeur n’avance pas de persécutions dont il aurait personnellement fait l’objet de la part des autorités serbes et admet lors de son audition ne pas avoir été menacé. Dans la mesure où les événements auxquels s’est référé plus particulièrement le demandeur ont eu lieu avant l’arrivée au Kosovo des forces armées internationales, ils ne sont plus de nature à fonder à l’heure actuelle une crainte avec raison de persécution.

A défaut d’autres éléments concrets quant à sa situation personnelle établis par le demandeur, c’est à bon droit que le ministre a refusé à ce dernier la reconnaissance du statut de réfugié politique, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant point fondé.

PAR CES MOTIFS Le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, laisse les frais à charge du demandeur.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 14 novembre 2000 par:

M. SCHOCKWEILER, vice-président, Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

s. SCHMIT s. SCHOCKWEILER 4


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12129
Date de la décision : 14/11/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-11-14;12129 ?

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