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14/11/2000 | LUXEMBOURG | N°12120

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 novembre 2000, 12120


Numéro 12120 du rôle Inscrit le 13 juillet 2000 Audience publique du 14 novembre 2000 Recours formé par Madame … SHALA, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête, inscrite sous le numéro 12120 du rôle, déposée le 13 juillet 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Cathy ARENDT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … SHA

LA, née le … à … (Kosovo), de nationalité yougoslave, demeurant à L-…, tendant à l...

Numéro 12120 du rôle Inscrit le 13 juillet 2000 Audience publique du 14 novembre 2000 Recours formé par Madame … SHALA, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête, inscrite sous le numéro 12120 du rôle, déposée le 13 juillet 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Cathy ARENDT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … SHALA, née le … à … (Kosovo), de nationalité yougoslave, demeurant à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 2 juin 2000 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 juillet 2000;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 21 août 2000 par Maître Cathy ARENDT pour compte de Madame SHALA;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Cathy ARENDT et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 24 octobre 2000.

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Le 22 juin 1998, Madame … SHALA, née le … à … (Kosovo), de nationalité yougoslave, demeurant à L-…, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Madame SHALA fut entendue par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur son identité.

Madame SHALA fut entendue en date du 15 octobre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande.

Le ministre de la Justice informa Madame SHALA, par lettre du 2 juin 2000, notifiée en date du 15 juin 2000, que sa demande avait été rejetée aux motifs suivants : « (…) Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté …/Kosovo, ensemble avec la famille de votre frère, le 13 juin 1998. Vous avez traversé la Hongrie, l’Autriche et l’Allemagne avant d’arriver au Luxembourg le 22 juin, où vous avez déposé une demande en obtention du statut de réfugié le même jour.

Vous déclarez avoir quitté le Kosovo en raison de la guerre et parce que la police serbe était à la recherche de votre frère. Comme raison vous empêchant de rentrer au Kosovo, vous invoquez une tentative de viol commis par trois policiers serbes à votre égard.

Vous relatez également avoir été retenue en 1995 à la brigade de police serbe du fait que les policiers vous avaient prise pour votre sœur se trouvant en Autriche. Du moment où ils se sont rendus compte de la confusion, ils vous ont laissée partir. Vous faites valoir en outre que votre peur est liée au fait que vous appartenez au groupe ethnique albanais.

Dans la mesure du possible vous demandez l’asile économique aux autorités luxembourgeoises en précisant que vous ne touchez aucun revenu dans votre pays et que votre maison a été brûlée.

Il ressort finalement de votre audition que vous êtes accusée de vol au Luxembourg.

Force est de constater en premier lieu que l’armée fédérale yougoslave et les forces de police dépendant des autorités serbes, à l’origine des répressions et exactions commises au Kosovo, ont quitté ce territoire. Une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, a été mise en place. Partant, un risque de persécution par les autorités yougoslaves n’existe plus à l’heure actuelle et sous ce point de vue, vous n’expliquez pas des raisons pour lesquelles vous risqueriez de subir des mauvais traitements de la part des autorités yougoslaves en cas de retour dans votre pays d’origine.

Par ailleurs des centaines de milliers de personnes, qui avaient quitté le Kosovo pour se réfugier en Albanie et dans l’Ancienne République yougoslave de Macédoine, ont réintégré leurs foyers après l’entrée des forces internationales sur le territoire.

Dans cette optique, même si le récit relatif à l’arrestation par la police serbe et à la tentative de viol perpétrée par trois policiers en civil a trait à des pratiques certainement condamnables, ces faits ne sont pas d’une gravité telle, même à les supposer établis, qu’ils justifient une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. De même, tout en mesurant à leur juste valeur les difficultés matérielles que vous devez affronter après la destruction de votre domicile ainsi que l’absence de revenus, vous n’êtes pas exposée à un risque de persécution en raison de votre appartenance ethnique, de votre religion ou de vos opinions politiques.

Par ailleurs, l’asile économique que vous avez sollicité auprès des autorités luxembourgeoises n’est pas régi par la Convention de Genève.

2 Dans ces circonstances, je considère que vous ne faites pas état d’un risque actuel de persécution pour un des motifs visés par la Convention de Genève.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

A l’encontre de cette décision ministérielle de rejet du 2 juin 2000, Madame SHALA a fait introduire un recours en réformation par requête déposée le 13 juillet 2000.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, dans sa teneur applicable au moment de la prise de la décision déférée, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asiles déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

La demanderesse reproche en premier lieu à la décision ministérielle critiquée une motivation insuffisante.

Ce moyen laisse néanmoins d’être fondé, étant donné que la décision incriminée du 2 juin 2000 indique de manière détaillée et circonstanciée les motifs en droit et en fait sur lesquels le ministre s’est basé pour justifier sa décision de refus, motifs qui ont ainsi été portés, à suffisance de droit, à la connaissance de la demanderesse (cf. trib. adm. 3 mars 1997, n° 9693 du rôle, Pas. adm. 1/2000, v° procédure administrative non contentieuse, n° 35, p.

261 et autres décisions y citées).

L’existence de motifs ayant été vérifiée, il s’agit d’analyser la justification au fond de la décision de refus déférée.

A l’appui de son recours, la demanderesse fait valoir que ce serait à tort que le ministre a justifié son refus par le fait que l’armée fédérale yougoslave et les forces de police dépendant des autorités serbes, à l’origine des répressions et exactions commises au Kosovo, ont quitté ce territoire et qu’une force armée internationale sous l’égide des Nations-Unies est actuellement installée au Kosovo. Elle estime que la présence de cette force internationale ne pourrait pas nécessairement assurer la sécurité de l’ethnie albanaise au Kosovo, étant donné que les hostilités entre les ethnies serbe et albanaise subsisteraient malgré les efforts desdites forces internationales de rétablir des conditions de vie tant soit peu normales. Etant donné encore que le Kosovo ferait toujours partie de l’Etat yougoslave et que les autorités politiques au pouvoir dans cet Etat n’auraient pas changé depuis la fin de la guerre, la demanderesse estime que les risques de mauvais traitements de la part des autorités yougoslaves en cas de retour dans son pays existeraient toujours.

La demanderesse soutient encore que le retour au Kosovo de centaines de milliers de personnes suite à l’arrivée des forces internationales ne saurait être invoqué pour lui refuser la reconnaissance de l’asile politique, étant donné que les personnes ayant réintégré leurs foyers au Kosovo seraient pour l’essentiel des familles entières retournées en groupe, tandis qu’elle-

même serait seule et sans famille et n’aurait plus de foyer au Kosovo, sa maison familiale ayant brûlé quelques jours avant sa fuite. La demanderesse précise à cet égard que ses parents seraient morts depuis plusieurs années, que sa sœur aurait dû fuir le Kosovo en raison de son 3 activité politique et aurait obtenu l’asile politique en Autriche et que son frère aurait également dû fuir le pays pour avoir soigné des blessés lors des combats au Kosovo. En cas de retour au Kosovo, elle y serait dès lors seule et sans protection, ce défaut de protection se trouvant confirmé par la tentative de viol de la part de trois policiers civils serbes dont elle aurait été la victime le 7 juin 1998.

Après avoir ajouté que les difficultés matérielles auxquelles elle devrait faire face en cas de retour seraient également liées à son appartenance ethnique, au motif que l’accès à la formation et aux emplois serait difficile pour les membres de l’ethnie albanaise au Kosovo, la demanderesse estime avoir établi que dans le passé elle aurait été la victime d’actes de persécution en raison de son appartenance ethnique et qu’elle serait probablement victime de tels actes suite à son retour, pour conclure ainsi à la réformation de la décision ministérielle critiquée.

Le délégué du Gouvernement rétorque que la présence des forces internationales au Kosovo aurait éliminé le risque de persécution de la part des autorités yougoslaves et que la notion de protection de la part du pays d’origine n’impliquerait pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais supposerait des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion, pour conclure qu’ « on voit mal en quoi la requérante risquerait une persécution au sens de la Convention de Genève, faute d’agents de persécution au sens de cette même Convention ». Le représentant étatique ajoute que la situation familiale de la demanderesse serait sans pertinence quant à la reconnaissance du statut de réfugié politique et que la demanderesse ferait erreur en affirmant qu’elle serait seule et sans famille au Kosovo, étant donné que son frère et l’épouse de celui-ci auraient renoncé à leur demande d’asile introduite au Luxembourg et seraient volontairement retournés au Kosovo au mois d’août 2000.

La demanderesse fait répliquer que le retour au Kosovo de son frère et de l’épouse de celui-ci ne changerait pas sa situation personnelle, vu qu’elle aurait eu peu de contact avec son frère depuis son arrivée au Grand-Duché et qu’elle ne pourrait pas être assurée de pouvoir loger avec eux au Kosovo. Elle ajoute qu’il ne serait pas certain que le risque de persécution existant toujours serait moindre du fait du retour de son frère au Kosovo.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

4 Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n° 12179C, non encore publié).

En l’espèce, force est de constater que, suite au départ du Kosovo des forces armées et de police yougoslaves et à l’installation d’une force armée et d’une administration civile sous l’égide des Nations-Unies, un risque de persécution de la part des autorités yougoslaves ne peut en principe plus être admis actuellement. Ainsi, les faits invoqués par la demanderesse portant tentative de viol dans son chef et sa rétention par la police serbe en 1995 ne sauraient plus justifier, à l’heure actuelle, même au cas où ils étaient établis, une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. La demanderesse restant en défaut de faire valoir, au-

delà de ses affirmations à caractère général, des raisons précises tendant à établir la subsistance alléguée d’un risque actuel de persécution de la part des autorités serbes dans son chef, ses développements afférents ne sont pas de nature à énerver le bien-fondé de la décision ministérielle entreprise, étant entendu que des motifs d’ordre économique ne sont pas de nature à justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique.

En ce qui concerne l’argumentation développée par la demanderesse quant à un défaut de protection lui assurée au Kosovo en cas de retour, il y a lieu de relever que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion (cf. Jean-

Yves CARLIER : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, p. 113, n° 73 et suivants). Une crainte avec raison de persécution en cas de retour ne pourrait partant être admise qu’au cas où la demanderesse établirait un risque réel que cette protection lui serait refusée pour l’un des motifs visés par la Convention de Genève par les autorités actuellement en place au Kosovo, à savoir les forces armées et l’administration civile sous l’égide de l’ONU, preuve que la demanderesse reste cependant en défaut de rapporter.

La situation personnelle difficile et l’isolement en cas de retour au Kosovo sont des circonstances étrangères à la question de l’octroi de la reconnaissance du statut de réfugié politique qui se rattache au seul critère de la crainte avec raison de persécutions pour l’un des motifs visés à la Convention de Genève.

Il résulte des développements qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé à la demanderesse la reconnaissance du statut de réfugié politique, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS Le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, 5 au fond, le déclare non justifié et en déboute, laisse les frais à charge de la demanderesse.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 14 novembre 2000 par:

M. SCHOCKWEILER, vice-président, Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

s. SCHMIT s. SCHOCKWEILER 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12120
Date de la décision : 14/11/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-11-14;12120 ?

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