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14/11/2000 | LUXEMBOURG | N°12055

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 novembre 2000, 12055


N° 12055 du rôle Inscrit le 16 juin 2000 Audience publique du 14 novembre 2000

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Recours formé par les époux … JASAROVIC et …, contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro 12055 du rôle et déposée le 16 juin 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Roger NOTHAR, avocat à la Cour, assisté de Maître Anne LAMBE, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Or

dre des avocats à Luxembourg, au nom des époux … JASAROVIC, né le … à …(Monténégro) et …, née ...

N° 12055 du rôle Inscrit le 16 juin 2000 Audience publique du 14 novembre 2000

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Recours formé par les époux … JASAROVIC et …, contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro 12055 du rôle et déposée le 16 juin 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Roger NOTHAR, avocat à la Cour, assisté de Maître Anne LAMBE, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des époux … JASAROVIC, né le … à …(Monténégro) et …, née le … à …(Monténégro), tous les deux de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 21 mars 2000, notifiée le 18 avril 2000, portant rejet de leur demande en octroi du statut de réfugié politique, et confirmée par une nouvelle décision du ministre du 19 mai 2000 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 juin 2000 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Anne LAMBE et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 24 octobre 2000.

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Le 30 avril 1999, les époux … JASAROVIC, né le … à …(Monténégro), et …, née le … à … (Monténégro), tous les deux de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé “ la Convention de Genève ”.

Le même jour, les époux JASAROVIC-… furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur leur identité.

Les époux JASAROVIC-… furent entendus en date du 6 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande.

Sur avis défavorable de la commission consultative pour les réfugiés du 23 février 2000, le ministre de la Justice informa les époux JASAROVIC-…, par lettre du 21 mars 2000, notifiée en date du 18 avril 2000, que leur demande avait été rejetée aux motifs suivants : “ (…) Me ralliant à l’avis émis le 23 février 2000 par la Commission consultative pour les réfugiés à laquelle j’avais soumis votre demande et dont je joins une copie en annexe à la présente, je regrette de devoir vous informer que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande.

En effet, il ressort de votre dossier que vous n’invoquez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 12 de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ”.

Par courrier de leur mandataire datant du 16 mai 2000, les époux JASAROVIC-… firent introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision précitée du ministre de la Justice du 21 mars 2000.

Celui-ci s’étant soldé par une décision confirmative du ministre datant du 19 mai 2000, ils firent introduire, par requête déposée en date du 16 juin 2000, un recours contentieux tendant à la réformation de la décision ministérielle précitée du 21 mars 2000 et de la prédite décision confirmative.

L’article 12 (1) de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asiles déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation. Le recours est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Au fond, les demandeurs estiment que la décision entreprise devrait être réformée pour violation de la loi, sinon pour erreur manifeste d’appréciation des faits. Ils font exposer à cet égard qu’ils sont originaires du Monténégro et de confession musulmane, que Monsieur JASAROVIC aurait fait des études en vue de devenir professeur d’électronique, mais qu’il aurait été empêché de poursuivre et de terminer ses études et aurait été contraint d’accepter des travaux dégradants et précaires afin de pouvoir survivre, qu’il aurait été par ailleurs membre du parti politique dissident SDA jusqu’à sa dissolution en 1994 et que la police aurait trouvé des listes des membres de ce parti et aurait fait des perquisitions chez lui en raison de cet engagement politique. Madame … aurait été professeur de géographie à l’école moyenne de Berane jusqu’à ce qu’elle aurait été contrainte de cesser d’exercer sa profession par ses collègues, la direction de l’établissement et les parents d’élèves, de sorte que les deux époux se seraient vus privés de la possibilité d’exercer leur profession d’enseignant en raison de leur appartenance à la religion musulmane. Ils auraient ainsi décidé de fuir leur pays d’origine afin d’échapper aux persécutions incessantes auxquelles ils 2 se seraient trouvés exposés. Ils soutiennent plus particulièrement que leurs droits civils et politiques, protégés à travers des normes d’ordre international, n’auraient été en aucun cas sauvegardés ou protégés dans leur pays d’origine, et que la mise en cause de ces droits devrait être considérée comme une persécution au sens de la Convention de Genève.

Le délégué du Gouvernement rétorque que l’affirmation de Monsieur JASAROVIC d’avoir été empêché de terminer ses études serait en contradiction flagrante avec ses déclarations telles que recueillies dans le rapport d’audition du 6 juillet 1999, étant donné qu’il a indiqué que “ de retour en Yougoslavie, j’ai dû refaire deux examens (…) que j’avais déjà passés, parce qu’ils n’ont pas retrouvé mes notes. Aujourd’hui j’ai mon diplôme en tant que professeur d’électronique ”. De même, il relève que l’affirmation de la demanderesse d’avoir été contrainte à démissionner de son emploi à cause de sa religion musulmane ne se dégagerait pas de son rapport d’audition. Le représentant étatique déduit des contradictions ainsi relevées que les déclarations des demandeurs ne seraient que difficilement crédibles et que par ailleurs elles ne seraient corroborées par aucun élément de preuve crédible.

A titre subsidiaire, il relève que les faits invoqués ne sauraient tout au plus constituer qu’une simple discrimination, mais en aucun cas une véritable persécution systématique au sens de la Convention de Genève, étant donné que Monsieur JASAROVIC a affirmé n’avoir été que simple membre d’un parti politique, qualité qui à elle seule ne constituerait pas un motif valable de reconnaissance du statut de réfugié. Il estime que les demandeurs développeraient leur argumentation par ailleurs en méconnaissance flagrante de la situation actuelle au Monténégro, étant donné qu’il serait faux d’affirmer qu’à l’heure actuelle, les autorités monténégrines toléreraient, voire organiseraient une persécution systématique des musulmans du Monténégro.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme “ réfugié ” s’applique à toute personne qui “ craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ”.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs.

3 En l'espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives en date du 6 juillet 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments et précisions apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir, à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à établir dans leur chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il ressort des déclarations faites par Monsieur JASAROVIC lors de son audition que loin d’avoir été empêché de terminer ses études, il a simplement dû refaire, de retour en Yougoslavie, deux examens qu’il avait déjà passé parce que ses notes avaient été perdues et qu’entre temps il a obtenu son diplôme en tant que professeur d’électronique.

Relativement aux actes perpétrés à l’encontre de Madame …, invoqués pour justifier sa crainte légitime de persécutions, il y a lieu de constater que ceux-ci ont émané de ses collègues de l’école et de villageois et se sont concrétisés par des insultes, ainsi que des paroles lui adressées afin de la voir quitter le pays. Le risque de persécution ainsi mis en avant par la demanderesse revient en substance à faire valoir des persécutions de la part d’un groupe de la population à son encontre et un défaut de protection de la part des autorités de son pays d’origine face à ces actes de persécution.

Or, une persécution émanant non pas de l’Etat, mais de groupes de la population ne peut être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève, que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays d’origine. La notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves CARLIER :

Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

En l’espèce, force est de constater que les demandeurs restent en défaut d’établir qu’ils ont concrètement recherché la protection des autorités en place, ainsi que le défaut de ces dernières de leur accorder cette protection.

Il s’ensuit que le recours laisse d’être fondé et doit être rejeté.

Par ces motifs, 4 le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 14 novembre 2000 par :

M. Schockweiler, vice-président Mme. Lenert, premier juge M. Schroeder, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef s. Schmit s. Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12055
Date de la décision : 14/11/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-11-14;12055 ?

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