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10/11/2000 | LUXEMBOURG | N°12390

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 novembre 2000, 12390


Numéro 12390 du rôle Inscrit le 11 octobre 2000 Audience publique du 10 novembre 2000 Recours formé par Monsieur … SKRIJELJ, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête, inscrite sous le numéro 12390 du rôle, déposée le 11 octobre 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Guy THOMAS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur

… SKRIJELJ, né le … à … (Montenégro), de nationalité yougoslave, demeurant actue...

Numéro 12390 du rôle Inscrit le 11 octobre 2000 Audience publique du 10 novembre 2000 Recours formé par Monsieur … SKRIJELJ, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête, inscrite sous le numéro 12390 du rôle, déposée le 11 octobre 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Guy THOMAS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … SKRIJELJ, né le … à … (Montenégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 2 juin 2000, ainsi que d’une décision confirmative du 6 septembre 2000 prise sur recours gracieux, les deux portant rejet de sa demande en obtention du statut de réfugié politique comme étant manifestement infondée et l’invitant à quitter le territoire du Luxembourg;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 31 octobre 2000;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 6 novembre 2000 par Maître Guy THOMAS pour compte de Monsieur SKRIJELJ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Guy THOMAS et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 16 septembre 1998, Monsieur … SKRIJELJ, né le … à … (Montenégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Monsieur SKRIJELJ fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et son identité.

Monsieur SKRIJELJ fut entendu en date du 17 août 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Monsieur SKRIJELJ, par lettre du 2 juin 2000, notifiée en date du 7 juillet 2000, que sa demande avait été rejetée comme étant manifestement infondée aux motifs suivants : « (…) Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté Titograd en date du 11 septembre 1998 en direction de Bar afin d’embarquer pour Bari, d’où vous avez continué votre chemin à l’aide d’un passeur jusqu’à Trèves. De Trèves vous êtes alors venu au Luxembourg.

Vous déclarez avoir fait votre service militaire en 1992/1993 en Croatie et ne pas avoir été appelé à la réserve.

Vous relevez d’autre part être venu au Luxembourg en raison des mauvais traitements de la part de la police serbe et en raison de la crise économique régnant dans votre pays. En affirmant ne pas savoir ce que vous attendez des autorités luxembourgeoises, vous précisez cependant ne pas vouloir retourner au Monténégro tant que la situation ne s’y calme pas.

Comme persécution subie, vous invoquez que la police civile vous aurait volé votre camion plein de marchandises et que lorsque vous vous seriez rendu au poste de police 5 jours après, vous auriez dû constater que toutes les marchandises étaient pourries.

Vous exposez de plus avoir peur « de vous-même » et préférer la situation régnant en Yougoslavie à celle existant au Luxembourg en précisant que les questions vous ayant été posées par l’agent du Ministère de la Justice ne vous convenaient pas du tout.

Concernant vos intentions de retourner dans votre pays, force est de constater que vous avez fait des déclarations contradictoires et incohérentes en affirmant d’une part ne vouloir retourner au Monténégro que lorsque la situation s’améliore et d’autre part préférer la situation en Yougoslavie à celle régnant au Luxembourg.

Concernant votre récit relatif au vol de votre camion par la police serbe, il semble d’autant plus incrédible que vous n’apportez pas de preuve et que vous ne vous êtes rendu cinq jours plus tard au poste de police afin de réclamer votre camion. Même à supposer le fait du vol établi, il n’est pas d’une gravité telle qu’il justifie une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par ailleurs, étant donné que vous préférez la situation en Yougoslavie à celle existant au Luxembourg, il n’y a pas d’obstacles relatifs à un retour au Monténégro.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme manifestement infondée au sens de l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève.

2 Vous êtes invité à quitter le territoire du Luxembourg dans le mois suivant la notification de la présente décision. Dans le cas où vous exerceriez un recours devant les juridictions administratives, vous devrez quitter le territoire dans le mois suivant le jour où la décision confirmative des juridictions administratives aura acquis le caractère de force de chose jugée. En cas de non respect des délais prescrits, un rapatriement sera organisé soit vers votre pays d’origine, soit vers tout autre pays où vous serez légalement admissible(…) ».

Le recours gracieux formé par le mandataire de Monsieur SKRIJELJ à l’encontre de la décision ministérielle précitée à travers un courrier datant du 5 août 2000 ayant été rencontré par une décision ministérielle confirmative du 6 septembre 2000, Monsieur SKRIJELJ a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation des décisions ministérielles prévisées des 2 juin et 6 septembre 2000 par requête déposée le 11 octobre 2000.

Etant donné que l’article 10 (3) de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1.

d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, dispose expressément qu’en matière de demandes d’asile déclarées manifestement infondées au sens de l’article 9 de la loi précitée de 1996, seul un recours en annulation est ouvert devant les juridictions administratives, le tribunal est incompétent pour connaître de la demande en réformation des décisions ministérielles critiquées formulée à travers la requête sous analyse en ce qui concerne leur volet relatif à la demande d’asile présentée par Monsieur SKRIJELJ. Dans une matière dans laquelle seul un recours en annulation est prévu par la loi, le recours introduit sous forme de recours en réformation est néanmoins recevable dans la mesure des moyens de légalité invoqués, à condition d’observer les règles de procédure et les délais sous lesquels le recours en annulation doit être introduit (v. trib. adm. 26 mai 1997, n° 9370 du rôle, Pas. adm. 1/2000, v° Recours en annulation, n° 25, page 308). Aucune disposition légale n’instaurant un recours au fond à l’encontre de l’invitation à quitter le territoire national insérée dans les décisions critiquées, seul un recours en annulation est également admissible concernant ce volet.

Le délégué du Gouvernement se rapporte à prudence de justice concernant la recevabilité du recours en précisant que la décision confirmative du 6 septembre 2000 a été signée le même jour pour être expédiée encore le même jour ou le lendemain au plus tard, de sorte qu’elle aurait dû arriver à l’étude du mandataire du demandeur au plus tard le 8 septembre 2000, tandis que le recours contentieux a été déposé le 11 octobre 2000.

Dans la mesure où la notification par simple lettre missive ne permet pas à l’administration de se ménager une preuve quelconque de l’envoi et de la réception de la décision par le destinataire et où plus particulièrement la date estampillée sur une telle lettre n’établit pas la date de sa mise à la poste et en l’absence de tout autre élément de preuve d’une notification préalablement à la date du 11 septembre 2000 telle qu’alléguée par le demandeur (cf. trib. adm. 25 septembre 2000, Lenzke, n° 11835, non encore publié), le recours sous analyse doit être considéré comme ayant été déposé dans le délai légal.

Le recours ayant par ailleurs été introduit dans les formes de la loi, il est recevable dans la mesure des moyens d’annulation proposés.

Le demandeur formule en premier lieu plusieurs critiques à l’encontre de la manière d’après laquelle il a été procédé à son audition. Après avoir relevé ne pas avoir été assisté d’un avocat lors de son audition, il dénonce « de nombreux oublis et déformations de ses propos consignés au rapport d’audition » en soulevant plus particulièrement que, 3 contrairement au récit transcrit au rapport d’audition retenant qu’il n’aurait pas été appelé à la réserve, il aurait déclaré lors de l’audition du 17 août 1999 avoir été appelé à la réserve en mai/juin 1998 et avoir pris la fuite lorsque la police serait venue le chercher pour le forcer à donner suite à cet appel. Il critique encore le défaut d’une nouvelle traduction vers le serbo-

croate du texte rédigé en français du rapport d’audition à la fin de son audition. Au vu du déroulement de l’audition « au niveau du contact entre le requérant et l’agent » du ministère de la Justice, le demandeur renvoie au guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié politique, qui insisterait sur la nécessité de faire tenir les auditions des demandeurs d’asile par du personnel qualifié capable de comprendre les difficultés sur les plans pratique et psychologique et les besoins particuliers de ces derniers lors de leur audition, pour critiquer le défaut d’une telle qualification dans le chef de l’agent du ministère de la Justice ayant procédé à son audition. Par référence au même guide, le demandeur reproche le défaut de lui avoir accordé l’occasion de contacter préalablement un représentant du HCR ou d’une autre ONG œuvrant en la matière. Le demandeur fait encore valoir que ce serait le même agent prévisé du ministère l’ayant auditionné qui aurait rédigé la décision initiale de refus critiquée et que ce procédé serait « contestable du point de vue des droits de la défense et du caractère objectif avec lequel la demande d’asile devrait être traitée ».

Le rapport d’audition du 17 août 1999, dont une copie est versée au dossier, renseigne en langue française d’abord une déclaration concernant l’information reçue quant au droit de se faire assister par un avocat et ensuite les questions adressées au demandeur par l’agent du ministère concernant son identité et ses craintes de persécution, ainsi que les réponses afférentes du demandeur. Ce rapport comporte in fine une déclaration dactylographiée en langue serbo-croate, dont la traduction en langue française, effectuée par une traductrice assermentée, se lit comme suit : « Je déclare que le texte m’a été lu et traduit dans ma langue maternelle. Au début de l’audition j’ai été informé de mes droits. Je ne cache aucun fait ou information susceptible d’entraîner un changement significatif au contexte de la présente demande d’asile politique. Je n’ai donné aucune information ne correspondant pas à la réalité. De ma part, il n’y a plus d’autres faits à invoquer au sujet de la présente demande d’asile et aux déclarations faites dans ce contexte. Cette déclaration est faite sur mon honneur ». Cette déclaration est suivie de la mention manuscrite « Procitano i potvrdjeno », signifiant « lu et approuvé », apposée par le demandeur ainsi que de sa signature.

Dans la mesure où le demandeur certifie ainsi, à travers un texte rédigé en sa langue maternelle et expressément approuvé par lui, que le texte du rapport d’audition lui a été traduit dans sa langue maternelle et où il marque par sa signature son accord avec le contenu dudit rapport, il ne saurait plus être admis à contester ex post, et sans fournir d’indices concrets afférents, l’accomplissement de ladite traduction et à soutenir que ledit rapport ne transcrirait pas correctement ses déclarations quant à ses craintes de persécution, alors qu’il lui aurait incombé de refuser sa signature dans ces hypothèses. Dans la mesure encore où le demandeur certifie que le texte du rapport d’audition, tel que traduit dans sa langue maternelle, renseigne fidèlement ses déclarations faites sur base des questions afférentes lui permettant de façon circonstanciée d’exposer les éléments objectifs et subjectifs à la base de sa demande d’asile, les reproches quant au climat dans lequel l’audition aurait eu lieu et au défaut de qualification appropriée de l’agent du ministère ne sont pas de nature à énerver la validité des bases sur lesquelles se fonde l’appréciation ministérielle à la base des décisions critiquées.

Etant donné encore que le guide des procédures et des critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié politique ne s’est pas vu conférer de force obligatoire et que le 4 non-respect de ce texte ne saurait dès lors être invoqué comme moyen de nullité d’une décision ministérielle de rejet d’une demande d’asile (cf. trib. adm. 3 mars 1997, Djekic, n° 9693, confirmé par Cour adm. 12 juin 1997, n° 9879C, Pas. adm. 1/2000, v° Etrangers, n° 11, p. 102), le défaut par le service compétent du ministère de la Justice d’avoir donné au demandeur préalablement à son audition l’occasion de contacter un représentant du HCR ou d’une ONG n’affecte point la légalité des décisions en cause, pareil droit n’étant par ailleurs non plus consacré par la loi prévisée du 3 avril 1996.

Au vu de la déclaration contenue au rapport d’audition et certifiée par le demandeur lui-même qu’il a été informé avant le début de l’audition de son droit de se faire assister par un avocat, le demandeur est malvenu de critiquer ex post l’absence d’un avocat durant son audition, alors qu’il a pu apprécier l’opportunité d’une telle assistance en temps utile et qu’il lui aurait appartenu d’invoquer ce droit avant le commencement de l’audition.

La circonstance que l’agent ayant procédé à l’audition serait également l’auteur d’un projet relatif à la décision initiale du 2 juin 2000, à la supposer établie, ne vicie pas les décisions entreprises, étant donné que l’organisation interne du ministère peut valablement comporter que l’agent qui constitue le dossier administratif soumette au ministre, ou au fonctionnaire par lui délégué, sa position quant au bien-fondé de la demande sous forme d’un projet de décision, le ministre ou le fonctionnaire délégué restant entièrement libres d’apprécier le dossier et de se rallier à la position exprimée par l’agent ou de prendre une décision divergente.

Quant au fond de sa demande d’asile politique, le demandeur entend la voir située dans le cadre de la situation de la minorité des musulmans slaves du Monténégro qui ferait l’objet d’une politique d’épuration ethnique pratiquée par les autorités yougoslaves sur base de leur seule croyance religieuse, abstraction faite de tout engagement politique, qui perdurerait encore à l’heure actuelle. Il fait valoir qu’en raison de son refus de servir dans l’armée yougoslave sur base d’un recrutement forcé il serait maintenant considéré comme déserteur et risquerait d’être condamné par la cour martiale à une peine d’emprisonnement de 5 à 20 ans, eu égard surtout à son appartenance à une minorité ethnique et religieuse. Il considère que, dans la mesure où l’action militaire à laquelle il n’aurait pas voulu s’associer a été condamnée par la communauté internationale comme étant contraire aux règles de conduite les plus élémentaires et a justifié l’intervention de l’OTAN et l’incrimination de Slobodan MILOSEVIC comme criminel de guerre, la peine prévue pour la désertion ou l’insoumission devrait être considérée en soi comme une persécution, tout en renvoyant à cet égard à certaines prises de position ministérielles et décisions judiciaires étrangères.

Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de tout fondement (…) ».

En vertu de l’article 3, alinéa 1er du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’un demandeur n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande ».

5 Il ne suffit pas qu’un demandeur d’asile invoque un ou des motifs tombant sous le champ d’application de la Convention de Genève, il faut encore que les faits invoqués à la base de ces motifs ne soient pas manifestement incrédibles ou que la crainte invoquée ne soit pas manifestement dénuée de fondement, eu égard aux pièces et renseignements fournis.

Ainsi, il ne suffit pas d’invoquer une crainte de persécution pour un des motifs prévus par la Convention de Genève, il faut encore que le demandeur d’asile soumette aux autorités compétentes des éléments suffisamment précis permettant à celles-ci d’apprécier la réalité de cette crainte. L’absence de production de tels éléments a pour conséquence que la demande d’asile doit être déclarée manifestement infondée.

Le tribunal doit partant examiner, sur base de l’ensemble des pièces du dossier et des renseignements qui lui ont été fournis, si les faits peuvent être qualifiés de manifestement incrédibles ou la crainte invoquée de manifestement dénuée de fondement.

En l’espèce, le demandeur a déclaré lors de son audition en date du 17 août 1999 ne pas avoir été appelé à la réserve et avoir quitté la Yougoslavie parce que « nous sommes maltraités par la police civile et à cause de la crise économique qui règne dans mon pays ».

Quant aux persécutions personnellement subies, il s’est référé à un vol par la police civile de son camion lequel lui aurait été restitué après cinq jours avec les marchandises qu’il contenait entre-temps pourries. En réponse aux questions expresses afférentes, le demandeur a déclaré ne pas avoir été accusé d’un crime ou délit et ne pas avoir été incarcéré sans jugement. Il a encore admis ne pas être membre d’un parti politique et que la politique ne l’intéresse pas. A la question de quoi il a peur, le demandeur a dit qu’il avait peur pour lui-même au motif qu’ « on ne peut pas sortir le soir, sinon on est attaqué ». Il a expressément dénié un lien de sa peur ainsi caractérisée avec ses opinions politiques, religieuses ou avec son appartenance à un groupe social ou national. A ce stade, le demandeur s’est ainsi référé exclusivement à la situation générale régnant dans son pays d’origine sans faire valoir un élément subjectif de persécution personnellement subie, l’incident en relation avec son camion ne pouvant être considéré comme tel à titre isolé.

Contrairement aux déclarations précitées relatées au rapport d’audition signé par le demandeur comme traduisant fidèlement son exposé de sa situation, c’est seulement à travers le recours gracieux introduit le 5 août 2000 par son mandataire que le demandeur prétend avoir été appelé à la réserve en mai/juin 1998 et avoir pris la fuite lors de la tentative de la police pour l’obliger à donner suite à sa convocation, pour invoquer ces faits comme élément subjectif à la base de sa crainte de persécution.

Force est de constater qu’il existe une contradiction flagrante au niveau de la description de sa situation personnelle par le demandeur lors de son audition et les moyens formulés dans le cadre du recours gracieux introduit pour son compte, de sorte que le ministre a valablement pu estimer que cette contradiction flagrante rend les faits invoqués manifestement incrédibles. Etant donné que le demandeur s’est référé pour le reste en substance à la situation générale dans son pays d’origine sans faire valoir d’autre élément personnel quant à l’existence d’un risque de persécution dans son chef, le ministre a été mis dans l’impossibilité d’examiner, en plus de la situation générale régnant dans son pays d’origine, sa situation particulière et de vérifier concrètement et individuellement s’il a des raisons de craindre d’être persécuté.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le demandeur reste en défaut de faire état d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance.

6 La demande d’asile ne reposant dès lors sur aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève, c’est à bon droit que le ministre de la Justice a déclaré la demande d’asile de Monsieur SKRIJELJ comme étant manifestement infondée.

Quant à l’invitation de quitter le territoire dont il a fait l’objet à travers la décision critiquée du 2 juin 2000, le demandeur soutient que le principe de non-refoulement consacré par l’article 14 de la loi prévisée du 28 mars 1972, les articles 1er et 3 de la Convention des Nations-Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, l’article 33 de la Convention de Genève et l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme s’opposerait à une mesure l’obligeant à quitter le territoire luxembourgeois, dans la mesure où sa vie et son intégrité physique et morale seraient en danger au Monténégro. Il ajoute que la Commission européenne des droits de l’homme aurait retenu que les persécutions pourraient provenir d’agents autres que ceux de l’autorité publique et que le refoulement ne devrait être admis que si la situation dans le pays de destination permettrait d’admettre que la police se trouverait sous contrôle démocratique ou que le système judiciaire pourrait se réaffirmer pleinement en tant que pouvoir indépendant.

L’article 14 de la loi précitée du 3 avril 1996 dispose que « si le statut de réfugié est refusé, soit au titre de l’article 10, soit au titre de l’article 12, le demandeur d’asile sera éloigné du territoire, en conformité des dispositions de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers.

Un éloignement ne peut avoir lieu ni au cours de la procédure d’examen de la demande, ni pendant le délai d’introduction du recours prévu à l’article 13 ».

L’éloignement d’un étranger du territoire luxembourgeois peut être ordonné par le ministre sur base de l’article 12 alinéa 1er de la loi prévisée du 28 mars 1972 disposant que « peuvent être éloignés du territoire par la force publique, sans autre forme de procédure que la simple constatation du fait par un procès-verbal à adresser au ministre de la Justice les étrangers non autorisés à résidence : (..) 2) qui ne disposent pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ; 3) aux quels l’entrée dans le pays a été refusée en conformité de l’article 2 de la présente loi ; 4) qui ne sont pas en possession des papiers de légitimation prescrits et de visa si celui-ci est requis (..) ».

En l’espèce, l’ordre de quitter le territoire est motivé par la considération que le demandeur n’a pas pu obtenir la reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève, le présent jugement confirmant par ailleurs cette analyse ministérielle de sa situation.

Dans la mesure où la décision critiquée du 2 juin 2000 précise expressément que l’obligation de quitter le territoire national dans le mois prend effet le jour où la décision, soit celle initiale émanant du ministre soit la décision confirmative ultime des juridictions administratives, aura acquis un caractère inattaquable et où le présent jugement confirme le caractère manifestement infondé de la demande d’asile présentée par le demandeur, le ministre pouvait prendre cette mesure sans se heurter aux dispositions dudit article 14.

Le demandeur n’invoque en outre pas avoir, à un quelconque autre titre, un droit de séjourner au Grand-Duché, l’ensemble de ses moyens au fond ayant trait à sa demande en octroi du statut de réfugié politique.

Quant au risque sérieux pour sa vie et son intégrité physique et morale allégué par le demandeur en cas de refoulement vers le Monténégro, force est encore de constater que, 7 d’une part, le demandeur est resté vague quant aux dangers effectifs et personnels qu’il risquerait de subir en cas de retour dans son pays d’origine, notamment n’a-t-il pas apporté d’éléments suffisants pour justifier en quoi sa situation particulière serait affectée directement ou indirectement par les problèmes qu’ont pu connaître d’autres membres de son ethnie, et que, d’autre part, il reste en défaut d’établir à suffisance de droit que les autorités en place ne seraient pas en mesure de lui assurer une protection adéquate, étant entendu que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.

Il n’est dès lors pas établi qu’en cas de refoulement du demandeur vers le Monténégro, sa vie ou sa liberté y seraient menacées.

Le ministre a partant valablement pu ordonner au demandeur de quitter le territoire luxembourgeois en se basant sur son refus de reconnaissance du statut de réfugié politique et sur l’absence d’un autre motif ayant légalement pu justifier la présence du demandeur sur le territoire luxembourgeois.

Il résulte de l’ensemble des développements ci-avant que le recours doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS Le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, se déclare incompétent pour connaître de la demande en réformation des décisions ministérielles critiquées, reçoit le recours en la forme dans les limites des moyens d’annulation, au fond, le déclare non justifié et en déboute, laisse les frais à charge du demandeur.

Ainsi jugé par:

M. CAMPILL, premier juge, Mme LAMESCH, juge, M. SCHROEDER, juge, et lu à l’audience publique extraordinaire du 10 novembre 2000 par le premier juge en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

SCHMIT CAMPILL 8


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12390
Date de la décision : 10/11/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-11-10;12390 ?

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