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10/11/2000 | LUXEMBOURG | N°12385

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 novembre 2000, 12385


N° 12385 du rôle Inscrit le 11 octobre 2000 Audience publique du 10 novembre 2000

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Recours formé par Monsieur … RASTODER, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro 12385 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 octobre 2000 par Maître Pol URBANY, avocat à la Cour, assisté de Maître Frank WIES, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l

Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur … RASTODER, né le … à …(Monténégro), de nat...

N° 12385 du rôle Inscrit le 11 octobre 2000 Audience publique du 10 novembre 2000

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Recours formé par Monsieur … RASTODER, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro 12385 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 octobre 2000 par Maître Pol URBANY, avocat à la Cour, assisté de Maître Frank WIES, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur … RASTODER, né le … à …(Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 16 juin 2000, notifiée le 8 août 2000, par laquelle sa demande en obtention du statut de réfugié politique a été déclarée manifestement infondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 octobre 2000 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 8 novembre 2000 au nom du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Ouï le juge rapporteur en son rapport et Maître Frank WIES, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Monsieur … RASTODER, né le … à …(Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, introduisit en date du 9 décembre 1998 une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé “ la Convention de Genève ”.

Il fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg, ainsi qu’en date du 6 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Monsieur RASTODER par lettre du 16 juin 2000, notifiée en date du 8 août 2000, que sa demande avait été rejetée aux motifs suivants :

“ Tout en invoquant que vous avez accompli votre service militaire en 1996/1997 et que la police militaire s’est présentée à votre domicile en été 1999, vous déclarez clairement avoir quitté votre pays parce que vous n’y avez pas eu d’emploi et parce qu’ainsi vous n’avez pas su comment y vivre. Vous expliquez que vous ne demandez pas l’asile politique à condition que vous puissiez travailler au Luxembourg et que dans la mesure où vous trouvez un emploi au Luxembourg, vous ne comptez pas retourner dans votre pays.

Vous relatez d’autre part ne pas avoir été membre d’un parti politique, ni avoir subi des mauvais traitements. De même, vous déclarez ne pas avoir peur de quelqu’un ou de quelque chose.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution pour un des motifs invoqués par la Convention de Genève (…) ”.

Par courrier de son mandataire datant du 8 septembre 2000, Monsieur RASTODER fit introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision précitée du ministre de la Justice du 16 juin 2000.

Ce recours gracieux fut rejeté par une décision confirmative du 12 septembre 2000.

Par requête déposée en date du 11 octobre 2000, Monsieur RASTODER a introduit un recours en annulation contre la décision ministérielle précitée du 16 juin 2000.

Le recours en annulation ayant été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.

Le demandeur conclut d’abord à l’annulation de la décision déférée pour cause de violation de la loi et plus particulièrement des dispositions de l’article 10 alinéa 1er de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2) d’un régime de protection temporaire, en relevant que la décision déférée serait intervenue dix-huit mois seulement après l’introduction de sa demande d’asile, soit largement en dehors du délai de deux mois prévu par la loi. Il invoque en outre l’article 6-1 de la Convention européenne des droits de l’homme pour soutenir que sa cause n’aurait pas été entendue dans un délai raisonnable par le ministre.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur fait encore valoir plus particulièrement à cet égard que le dépassement excessif du délai s’apparenterait en l’espèce à un fonctionnement défectueux d’un service public susceptible de constituer une faute au sens de la loi du 1er septembre 1988 relative à la responsabilité civile de l’Etat et des collectivité publiques. Il signale en outre que le temps par lui “ ainsi perdu aurait pu être utilement mis à profit pour prendre en temps utile des dispositions nécessaires relatives à son avenir et lui cause dès lors un préjudice indéniable ”.

Le délai de deux mois prévu pour prendre une décision en matière de demandes d’asile irrecevables ou manifestement infondées tend à assurer une expédition rapide des décisions en la matière et touche ainsi principalement au fonctionnement du service concerné. En effet, tel que l’a soutenu le Conseil d’Etat dans son avis relativement au projet 2 de loi devenu l’actuelle loi du 3 avril 1996 précitée, “ il s’agit davantage d’inciter les responsables à traiter les affaires avec célérité ”, tout en relevant que l’ “ on ne saurait cependant surestimer la portée (dudit délai) étant donné que la loi ne prévoit pas de sanction en cas de non-observation ” (cf. doc. parl. n°380610, deuxième avis complémentaire du Conseil d’Etat).

Le demandeur restant en l’espèce en défaut d’établir en quoi le non-respect du délai en question aurait eu une incidence préjudiciable sur l’examen au fond de sa demande et ne faisant pas non plus état d’une quelconque lésion afférente de ses droits de la défense, force est de constater que le seul caractère tardif de la décision déférée n’est en l’espèce pas de nature à énerver sa légalité, abstraction faite de toutes autres considérations relatives à la question de la responsabilité de l’Etat pour fonctionnement défectueux de ses services avancées par le demandeur, celles-ci ne relevant pas de la compétence du tribunal administratif.

Concernant le moyen du demandeur basé sur l’article 6.1 de la Convention européenne des droits de l’homme, c’est à bon droit que le délégué du Gouvernement a relevé que cet article n’est pas applicable aux procédures administratives précontentieuses.

Il s’ensuit que le premier moyen d’annulation du demandeur relatif au non-respect du délai de deux mois prévu par l’article 10 alinéa 1er de la loi du 3 avril 1996 précitée laisse d’être fondé.

A l’appui de son recours, le demandeur conclut ensuite à l’annulation de la décision déférée pour baser sur une erreur d’appréciation manifeste des faits invoqués, ainsi que pour ne pas avoir tenu compte des faits nouveaux par lui invoqués à l’appui de sa demande. Il soutient à cet égard que s’il est vrai que lors de son audition, il avait indiqué avoir quitté son pays d’origine avant même d’avoir reçu sa convocation à la réserve de l’armée fédérale yougoslave, il y aurait cependant lieu non seulement de prendre en considération sa situation au jour du départ de son pays d’origine, mais qu’il faudrait également analyser si le retour éventuel dans son pays d’origine risquerait de constituer actuellement un danger sérieux pour sa personne. Il relève à cet égard que dans le cadre de son recours gracieux du 8 septembre 2000, il avait indiqué, pièce à l’appui, la survenance de faits nouveaux susceptibles d’avoir une incidence sur le sort de sa demande, étant donné qu’avant son départ du Monténégro, la police militaire se serait présentée à plusieurs reprises à son domicile pour l’enrôler dans l’armée, qu’il aurait réussi à quatre reprises de se cacher à temps avant l’arrivée des forces policières, mais que la cinquième fois la police serait arrivée par surprise et qu’une altercation violente s’en serait suivie au cours de laquelle il aurait reçu plusieurs coups et n’aurait pas manqué d’en retourner à son tour. Ainsi il aurait reçu au cours du mois de juillet 2000 communication d’une convocation à se présenter au tribunal de Berane en date du 25 septembre 2000 pour répondre de l’inculpation de coups et blessures sur la personne d’un policier présent lors de cette altercation. Le demandeur estime que cette convocation démontrerait à suffisance que son récit ne serait pas dénué de tout fondement même s’il n’avait pas relaté les faits prémentionnés lors de son audition et qu’il y aurait partant eu lieu de prendre en considération ces faits pour statuer en pleine connaissance de cause sur le sort de sa demande, plutôt que de confirmer purement et simplement la première décision de refus du 16 juin 2000 “ à défaut d’éléments pertinents nouveaux ”.

3 Le délégué du Gouvernement rétorque que le demandeur n’aurait fait valoir aucun fait ou argument dont on aurait pu déduire un risque de persécution en cas de retour dans son pays d’origine ou dont on aurait pu admettre une persécution au sens de la Convention de Genève avant le départ du Monténégro relativement à la convocation à comparaître devant le tribunal de Berane versée au dossier à travers son recours gracieux. Il relève par ailleurs que même à la supposer authentique, cette convocation ne serait pas une preuve de persécution pour des motifs ethniques, politiques ou religieux, mais se rapporterait à une affaire de droit commun.

Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 “ une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New-York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de tout fondement (…) ”.

En vertu de l’article 3, alinéa 1er du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 “ une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’un demandeur n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande ”.

Il ne suffit pas qu’un demandeur d’asile invoque un ou des motifs tombant sous le champ d’application de la Convention de Genève, il faut encore que les faits invoqués à la base de ces motifs ne soient pas manifestement incrédibles ou, eu égard aux pièces et renseignements fournis, manifestement dénués de fondement. Ainsi, il ne suffit pas d’invoquer une crainte de persécution pour un des motifs prévus par la Convention de Genève, il faut encore que le demandeur d’asile soumette aux autorités compétentes des éléments suffisamment précis permettant à celles-ci d’apprécier la réalité de cette crainte.

L’absence de production de tels éléments a pour conséquence que la demande d’asile doit être déclarée manifestement infondée.

Le tribunal doit partant examiner, sur base de l’ensemble des pièces du dossier et des renseignements qui lui ont été fournis, si les faits peuvent être qualifiés de manifestement incrédibles ou manifestement dénués de fondement.

En l’espèce, l’examen des faits et motifs invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande d’asile amène le tribunal à conclure qu’il n’a manifestement pas établi, ni même allégué, des raisons personnelles suffisamment précises de nature à établir dans son chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, à savoir le Monténégro. - En effet, lors de son audition, telle que celle-ci a été relatée dans le compte rendu figurant au dossier, Monsieur RASTODER, après avoir relevé que la police militaire serait venue chez lui “ il y a environ un mois ”, a affirmé avoir quitté son pays d’origine depuis longtemps avant la convocation pour la réserve et a indiqué comme raison de son départ ce qui suit : “ Je suis parti parce que je n’avais pas de travail. Je ne savais pas comment vivre au Monténégro ”. Interrogé plus particulièrement sur l’existence de persécutions personnellement subies ainsi que de craintes afférentes, Monsieur RASTODER a clairement répondu par la négative.

4 Le tribunal constate que le demandeur reste en défaut de préciser en quoi sa situation particulière était telle qu’il pouvait avec raison craindre qu’il ferait l’objet de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance. Les autorités luxembourgeoises ont partant été mises dans l’impossibilité d’examiner, en plus la situation générale régnant au Monténégro, sa situation particulière et de vérifier concrètement et individuellement si la raison de craindre d’être persécuté.

Cette conclusion ne saurait être énervée par la convocation versée en cause qui, même à admettre son authenticité, a trait, d’après les propres indications du demandeur, à une infraction de droit commun et ne documente partant pas à elle seule un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans le chef du demandeur. De surcroît elle est tout au plus de nature à ébranler d’avantage la crédibilité des déclarations du demandeur lors de son audition par un agent du ministère de la Justice en date du 6 juillet 1999, étant donné qu’il y a précisé que la police militaire serait venue chez lui à un moment où il était déjà parti pour le Luxembourg.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le demandeur reste en défaut de faire état d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, à savoir le Monténégro.

La demande d’asile ne repose dès lors sur aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève.

Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre de la Justice a déclaré la demande d’asile de Monsieur RASTODER comme étant manifestement infondée, de sorte que le recours formé par lui est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en annulation en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 10 novembre 2000 par:

M. Campill, premier juge Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

5 Schmit Campill 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12385
Date de la décision : 10/11/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-11-10;12385 ?

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