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10/11/2000 | LUXEMBOURG | N°12381

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 novembre 2000, 12381


N° 12381 du rôle Inscrit le 11 octobre 2000 Audience publique du 10 novembre 2000

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Recours formé par Monsieur … NUKIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro 12381 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 octobre 2000 par Maître Luc SCHANEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … NUK

IC, né le … à … (Serbie), demeurant actuellement à L-…, de nationalité bosniaque, tendant prin...

N° 12381 du rôle Inscrit le 11 octobre 2000 Audience publique du 10 novembre 2000

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Recours formé par Monsieur … NUKIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro 12381 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 octobre 2000 par Maître Luc SCHANEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … NUKIC, né le … à … (Serbie), demeurant actuellement à L-…, de nationalité bosniaque, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 28 juin 2000, notifiée le 11 août 2000, déclarant sa demande d’octroi du statut de réfugié politique manifestement infondée, ainsi que contre une décision confirmative du même ministre du 12 septembre 2000 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 octobre 2000 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Stéphanie JACQUET, en remplacement de Maître Luc SCHANEN et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-

Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 9 mars 1999, Monsieur … NUKIC, né le … à … (Serbie), de nationalité bosniaque, demeurant actuellement à L-…, introduisit au service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé “ la Convention de Genève ”.

En date du même jour, Monsieur NUKIC fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et son identité.

Monsieur NUKIC fut entendu en date du 13 avril 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande. Il fut procédé à une audition complémentaire dans son chef en date du 15 juin 2000.

Par décision datant du 28 juin 2000, notifiée le 11 août 2000, le ministre de la Justice a rejeté cette demande comme manifestement infondée au motif que Monsieur NUKIC n’allègue “ aucune crainte raisonnable de persécution pour une des raisons invoquées par la Convention de Genève ”.

A l’encontre de cette décision, Monsieur NUKIC a fait introduire un recours gracieux par courrier de son mandataire datant du 6 septembre 2000. Celui-ci s’étant soldé par une décision confirmative du ministre datant du 12 septembre suivant, il a fait introduire un recours contentieux tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des décisions ministérielles précitées des 28 juin et 12 septembre 2000 par requête déposée en date du 11 octobre 2000.

L’article 10 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit expressément qu’en matière de demandes d’asile déclarées manifestement infondées au sens de l’article 9 de la loi précitée de 1996, seul un recours en annulation est ouvert devant les juridictions administratives.

Il s’ensuit que le tribunal n’est pas compétent pour connaître du recours principal en réformation. Le recours en annulation introduit en ordre subsidiaire est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur expose être originaire de Hrnici/Bratunac en Serbie, de nationalité bosniaque et de religion musulmane, ainsi que d’avoir été chassé en date du 16 mars 1993 de sa ville natale Bratunac et s’être réfugié depuis 1993 à l’intérieur de la Bosnie en raison de son appartenance à la population musulmane, ceci d’abord à Srebenica et ensuite à Tuzla, puis Srebrenik, contraint à chaque fois de quitter ces villes respectives. Il fait valoir que toutes ces poursuites auraient été provoquées par l’armée yougoslave et démontreraient combien il n’aurait pas été libre de pratiquer sa religion. Il expose en outre avoir eu peur d’être contraint par les Serbes d’aller faire la guerre en Bosnie, guerre à laquelle son âme et conscience ne lui auraient pas permis de participer, de sorte que par souci de ne pas avoir à adhérer à une politique belliqueuse prônée par les dirigeants en place et de ne plus avoir à craindre d’être pourchassé sans cesse et d’être persécuté de façon systématique du fait de sa religion, il aurait décidé de quitter son pays d’origine.

Le demandeur estime que les décisions ministérielles déférées baseraient sur un examen superficiel et insuffisant des faits et ne prendraient pas en considération les craintes réelles de persécution par lui éprouvées en raison de sa confession musulmane. Il signale en outre qu’actuellement il serait “ terrorisé de devoir retourner en Nouvelle Serbie du fait de la purification ethnique qui sévit encore et toujours à l’encontre des musulmans ”.

Le délégué du Gouvernement signale d’abord que c’était lors d’un contrôle de routine au Café Monaco à Esch-sur-Alzette, le 9 mars 1999, que le demandeur a été 2 trouvé sans papiers d’identité et a posé sa demande d’asile. Il signale ensuite qu’interrogé sur les motifs à la base de sa demande, le demandeur n’aurait pas pu donner la moindre raison plausible de son départ de Bosnie, mais se serait contenté de répéter à deux reprises qu’il voulait se rendre auprès de sa femme en Suède et que ce n’aurait été que par la suite d’une faute du passeur qu’il serait arrivé au Grand-Duché. Il estime dès lors que le demandeur n’aurait jamais fait état de persécutions dont il aurait fait l’objet et n’aurait pas fourni d’éléments laissant croire à un risque de persécution dans son chef en cas de retour en Bosnie.

Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 “ une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New-York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de tout fondement (…) ”.

En vertu de l’article 3, alinéa 1er du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 “ une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’un demandeur n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande ”.

Il ne suffit pas qu’un demandeur d’asile invoque un ou des motifs tombant sous le champ d’application de la Convention de Genève, il faut encore que les faits invoqués à la base de ces motifs ne soient pas manifestement incrédibles ou, eu égard aux pièces et renseignements fournis, manifestement dénués de fondement. Ainsi, il ne suffit pas d’invoquer une crainte de persécution pour un des motifs prévus par la Convention de Genève, il faut encore que le demandeur d’asile soumette aux autorités compétentes des éléments suffisamment précis permettant à celles-ci d’apprécier la réalité de cette crainte.

L’absence de production de tels éléments a pour conséquence que la demande d’asile doit être déclarée manifestement infondée.

Le tribunal doit partant examiner, sur base de l’ensemble des pièces du dossier et des renseignements qui lui ont été fournis, si les faits peuvent être qualifiés de manifestement incrédibles ou si la crainte invoquée est manifestement dénuée de fondement.

En l’espèce, l’examen des faits et motifs invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande d’asile amène le tribunal à conclure qu’il n’a manifestement pas établi, ni même allégué, des raisons personnelles suffisamment précises de nature à établir dans son chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance. En effet, lors de ses auditions, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux compte rendus figurant au dossier, Monsieur NUKIC, interrogé sur les motifs de sa décision de départ, a répondu : “ Je voulais joindre ma femme en Suède après mon service militaire. Ma femme, sa mère et son frère avaient quitté la Bosnie il y a onze mois parce que mon beau-père avait été tué pendant la guerre de Bosnie et qu’il n’avait plus rien pour vivre ”, et, interrogé plus particulièrement au sujet des motifs ayant guidé son choix de poser une demande d’asile au Luxembourg, il a répondu que “ l’unique raison pour laquelle je me trouve en procédure d’asile politique est que le 3 passeur m’a abandonné ici au Luxembourg et que la police m’a attrapé lors d’un contrôle des papiers. Je n’avais jamais l’intention de venir au Luxembourg. Je ne veux pas rester ici, mais je veux le plus rapidement possible aller en Suède chez ma femme ”.

Lors de son audition complémentaire en date du 15 juin 2000, il a encore précisé relativement à un éventuel retour dans son pays d’origine : “ Je ne vois pas d’avenir là-

bas ”.

Le tribunal constate, d’une part, que le demandeur base ses craintes de persécution sur la situation générale existant actuellement en Bosnie, et sur sa religion musulmane, sans apporter davantage de précisions quant aux persécutions qu’il risquerait personnellement de subir du fait de cette situation et de sa religion. Ainsi, il ne précise pas en quoi sa situation particulière ait été telle qu’il pouvait avec raison craindre qu’il ferait l’objet de persécutions au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance.

Les autorités luxembourgeoises ont partant été mises dans l’impossibilité d’examiner, en plus de la situation générale régnant dans son pays d’origine, sa situation particulière et de vérifier concrètement et individuellement s’il a raison de craindre d’être persécuté.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le demandeur reste en défaut de faire état d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance.

La demande d’asile ne repose dès lors sur aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève.

Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre de la Justice a déclaré la demande d’asile de Monsieur NUKIC comme étant manifestement infondée, de sorte que le recours formé par lui est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation;

reçoit le recours en annulation en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 10 novembre 2000 par :

M. Campill, premier juge Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Campill 4


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12381
Date de la décision : 10/11/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-11-10;12381 ?

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