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06/11/2000 | LUXEMBOURG | N°12374

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 06 novembre 2000, 12374


N° 12374 du rôle Inscrit le 9 octobre 2000 Audience publique du 6 novembre 2000

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Recours formé par Madame … PRAMENKOVIC contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro 12374 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 octobre 2000 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … PR

AMENKOVIC, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d...

N° 12374 du rôle Inscrit le 9 octobre 2000 Audience publique du 6 novembre 2000

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Recours formé par Madame … PRAMENKOVIC contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro 12374 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 octobre 2000 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … PRAMENKOVIC, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 9 juin 2000, par laquelle sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique a été déclarée manifestement infondée, ainsi que d’une décision confirmative du 6 septembre 2000, intervenue sur recours gracieux du 17 août 2000 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 octobre 2000 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;

Ouï le juge rapporteur en son rapport, Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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Madame … PRAMENKOVIC, née le … à …(Serbie), sans état particulier, demeurant actuellement à L-…, introduisit en date du 16 juin 1999 une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant dénommé ci-après “ la Convention de Genève ”.

Elle fut entendue en date du 16 juin 1999 par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg ainsi qu’en date du 18 juin 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Madame PRAMENKOVIC, par lettre du 9 juin 2000, notifiée le 18 juillet 2000, que sa demande d’asile avait été rejetée aux motifs suivants : “ (…) Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté votre pays début juin 1999 à cause de la situation là-bas. Votre père vous aurait dit de partir en raison des bombardements de l’OTAN sur Belgrade. Vous êtes arrivée au Luxembourg le 15 juin 1999.

Vous déclarez qu’il n’y a pas eu de bombardements à Tutin et que vous n’avez rien vu de la guerre. Vous êtes partie, parce que vos parents avaient peur pour vous, alors que votre frère, à l’époque âgé de 22 ans, est resté là-bas.

Vous exposez avoir peur, parce que les femmes auraient dû être rassemblées pour la réserve. Votre frère a cependant pu rester là-bas.

Vous affirmez être trop jeune pour vivre dans un pays avec autant d’armée. En outre, vous auriez peur de la panique qui règne là-bas.

Enfin, vous indiquez que vous ne vous occupez pas de politique et que votre religion ne vous a jamais posé de problème.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution pour un des motifs prévus par la Convention de Genève.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme manifestement infondée au sens de l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1.

d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2. d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève (…) ”.

Par courrier de son mandataire datant du 17 août 2000, Madame PRAMENKOVIC fit introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision précitée du ministre de la Justice du 9 juin 2000.

Ce recours gracieux fut rejeté par une décision confirmative de la décision initiale, datée du 6 septembre 2000.

Par requête du 9 octobre 2000, Madame … PRAMENKOVIC a introduit un recours en annulation contre les décisions précitées des 9 juin et 6 septembre 2000.

L’article 10 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2) d’un régime de protection temporaire, prévoit expressément qu’en matière de demandes d’asile déclarées manifestement infondées au sens de l’article 9 de la loi précitée de 1996, seul un recours en annulation est ouvert devant les juridictions administratives.

Le recours en annulation à l’encontre des décisions ministérielles litigieuses ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, la demanderesse soutient qu’en raison de son appartenance à la religion musulmane et à la minorité bosniaque, elle aurait risqué, de même que l’ensemble de sa famille, de faire l’objet de discriminations par les autorités 2 serbes, et que plus particulièrement sa famille aurait été persécutée en raison de l’insoumission de son frère. Elle reproche de ce fait au ministre de la Justice d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation des faits, en ce qu’il aurait à tort décidé que les faits lui soumis ne justifiaient pas, dans son chef, une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève. Elle soutient encore qu’un retour dans son pays d’origine et plus particulièrement dans la ville de Tutin, lui serait impossible en raison du fait que celle-ci serait exclusivement peuplée par des Serbes, partant par des personnes de confession orthodoxe. Elle est d’avis que le ministre de la Justice aurait, à tort, estimé que les prédits faits ne rentreraient pas dans le champ d’application de l’article 1er, section A, paragraphe 2 de la Convention de Genève.

Le délégué du gouvernement rétorque que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de la demanderesse, en estimant que celle-ci n’aurait invoqué aucun fait susceptible de tomber sous le champ d’application de la Convention de Genève en vue de la reconnaissance du statut de réfugié politique, en soulignant plus particulièrement les contradictions existant entre le récit de la demanderesse fait au cours de son audition précitée du 18 juin 1999 et les déclarations figurant dans sa requête introductive d’instance, dans la mesure où, au cours de l’audition précitée, elle a reconnu ne pas avoir eu de problème dans son pays d’origine du fait de sa religion musulmane et où, dans le cadre de son recours, elle fait état de discriminations subies de la part des autorités serbes. Dans ce contexte, le représentant étatique soutient encore qu’une simple discrimination ne saurait constituer une persécution au sens de la Convention de Genève.

Il conteste encore que la ville de Tutin soit exclusivement peuplée de Serbes de confession orthodoxe, en estimant, au contraire, que cette ville, qui se trouve dans la région du Sandjak, serait peuplée d’un grand nombre de personnes de religion musulmane. Enfin, il admet que même si un retour éventuel de la demanderesse dans son pays d’origine serait “ loin d’être sécurisé ”, il n’en resterait pas moins que ce seul fait, lié à la situation générale du pays d’origine de la demanderesse, ne changerait rien au caractère manifestement infondé de la demande d’asile présentée par elle.

Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 “ une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New-York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de tout fondement ( …) ”.

En vertu de l’article 3, alinéa 1er du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 “ une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’un demandeur n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande ”.

Il ne suffit pas qu’un demandeur d’asile invoque un ou des motifs tombant sous le champ d’application de la Convention de Genève, il faut encore que les faits invoqués à la base de ces motifs ne soient pas manifestement incrédibles ou, eu égard aux pièces et renseignements fournis, que la crainte invoquée ne soit pas manifestement dénuée de fondement. Ainsi, il ne suffit pas d’invoquer une crainte de persécution pour un des motifs prévus par la Convention de Genève, il faut encore que le demandeur d’asile soumette aux 3 autorités compétentes des éléments suffisamment précis permettant à celles-ci d’apprécier la réalité de cette crainte. L’absence de production de tels éléments a pour conséquence que la demande d’asile doit être déclarée manifestement infondée.

Le tribunal doit partant examiner, sur base de l’ensemble des pièces du dossier et des renseignements qui lui ont été fournis, si les faits peuvent être qualifiés de manifestement incrédibles ou la crainte invoquée de manifestement dénuée de fondement.

En l’espèce, l’examen des faits et motifs invoqués par la demanderesse à l’appui de sa demande d’asile amène le tribunal à conclure qu’elle n’a manifestement pas établi, ni même allégué, des raisons personnelles suffisamment précises de nature à établir dans son chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, à savoir la Serbie. - En effet, lors de son audition, telle que celle-ci a été relatée dans le compte rendu figurant au dossier, Madame PRAMENKOVIC a affirmé avoir quitté son pays d’origine “ à cause de la situation ”, en affirmant que son père lui aurait recommandé de partir, au motif que l’OTAN bombardait Belgrade. Dans ce contexte, elle a encore indiqué que Tutin n’aurait pas fait l’objet de bombardements, qu’elle n’aurait “ rien vu de la guerre ” en ajoutant que ses parents auraient eu peur pour elle. Par ailleurs, interrogée sur la question de savoir si elle avait personnellement subi des persécutions, elle a répondu par la négative, en ajoutant que d’autres membres de sa famille n’auraient pas non plus fait l’objet de persécutions. Quant aux conséquences qu’elle risquait d’encourir lors d’un retour éventuel dans son pays d’origine, elle a indiqué ce qui suit : “ Je ne sais pas. J’ai peur car ils veulent ramasser les femmes pour la réserve ”, en spécifiant qu’elle aurait encore peur, malgré le fait que la guerre “ est finie maintenant ”. En ce qui concerne plus particulièrement les raisons de sa peur, elle a indiqué qu’elle était trop jeune “ pour vivre dans un pays avec autant d’armée ” et qu’elle avait “ peur de la panique car là-bas tout le monde panique ”. Enfin, interrogée sur d’éventuelles activités politiques, elle a déclaré qu’elle n’était pas membre d‘un parti politique ou d’un groupe social défendant les intérêts de personnes et qu’elle ne s’occupait pas de politique, en précisant encore que “ le fait d’être musulmane ne [lui] a jamais posé de problème ”.

Le tribunal constate, d’une part, que la demanderesse base ses craintes de persécution sur la situation générale existant dans son pays d’origine, à savoir la Serbie, et sur son appartenance à la religion musulmane, vivant en Serbie, sans apporter davantage de précisions quant aux persécutions qu’elle risquerait personnellement de subir du fait de cette situation. Ainsi, elle ne précise pas en quoi sa situation particulière ait été telle qu’elle pouvait avec raison craindre qu’elle ferait l’objet de persécutions au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance. Les autorités luxembourgeoises ont partant été mises dans l’impossibilité d’examiner, en plus de la situation générale régnant en Serbie, sa situation particulière et de vérifier concrètement et individuellement si elle a raison de craindre d’être persécutée. Les éléments invoqués dans ce contexte s’analysent dans leur ensemble en l’expression d’un sentiment général d’insécurité en raison de la mauvaise situation générale en Serbie.

Il se dégage des considérations qui précèdent que la demanderesse reste en défaut de faire état d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, à savoir la Serbie.

4 La demande d’asile ne repose dès lors sur aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève.

Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre de la Justice a déclaré la demande d’asile de Madame PRAMENKOVIC comme étant manifestement infondée, de sorte que le recours formé par elle est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme. Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 6 novembre 2000 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12374
Date de la décision : 06/11/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-11-06;12374 ?

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