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06/11/2000 | LUXEMBOURG | N°12024

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 06 novembre 2000, 12024


N° 12024 du rôle Inscrit le 26 mai 2000 Audience publique du 6 novembre 2000

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Recours formé par Monsieur … DINGU et son épouse, Madame … contre une décision du ministre de la Justice en matière d’éloignement

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Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif le 26 mai 2000 par Maître Guy THOMAS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … DINGU, né le … à …(Albanie), et son épouse, Madame …, née le … à …(Albanie), demeurant

actuellement en Albanie, …, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants min...

N° 12024 du rôle Inscrit le 26 mai 2000 Audience publique du 6 novembre 2000

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Recours formé par Monsieur … DINGU et son épouse, Madame … contre une décision du ministre de la Justice en matière d’éloignement

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Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif le 26 mai 2000 par Maître Guy THOMAS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … DINGU, né le … à …(Albanie), et son épouse, Madame …, née le … à …(Albanie), demeurant actuellement en Albanie, …, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, née le 30 août 1996 à … et …, née le 2 juillet 1998 à Luxembourg, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 22 mars 1999 les invitant à quitter le territoire luxembourgeois dans un délai d’un mois à partir de la notification de ladite décision;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 juin 2000;

Vu le mémoire en réplique déposé au nom des demandeurs le 14 juillet 2000;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Guy THOMAS et Monsieur le délégué du gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives.

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Le 10 juin 1997, Monsieur … DINGU, né le … à …(Albanie), et son épouse, Madame …, née le … à …(Albanie), demeurant actuellement en Albanie, …, sollicitèrent la reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Suite à leurs auditions respectives par un agent du ministère de la Justice et un avis négatif de la commission pour les réfugiés politiques daté du 28 août 1997, le ministre de la 1 Justice, par arrêté du 23 septembre 1997, déclara leurs demandes manifestement infondées au sens de l’article 9 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, dans sa teneur applicable à l’époque.

Il se dégage, entre autres, d’un rapport dressé le 1er décembre 1997 par le service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale qu’en date du même jour les époux D. se sont plaints quant au comportement de Monsieur DINGU, qui résidait à l’époque dans le même foyer pour demandeurs d’asile qu’eux mêmes. Il ressort plus particulièrement dudit rapport que « wie das Ehepaar D. berichtete, begann der Streit am vergangenen Donnerstag, den 27. Novembre 97. Ursache hierfür war die Tatsache, dass DINGU … dem dreijährigen Sohn der Familie D. eine Ohrfeige gab. Als G. D. den Mann daraufhin zur Rede stellte, kam es am Freitag, den 28. November 1997 zu einer Auseinandersetzung, bei der DINGU … in der Küche des Asylbewerberwohnheims zu einem Messer griff und G. D. in den Rücken stach. Anschliessend, so das Ehepaar D., sei es zu einer Schlägerei zwischen den beiden Männern gekommen. (…) ».

Un recours contentieux introduit le 7 novembre 1997 à l’encontre de la décision du ministre de la Justice du 23 septembre 1997 fut rejeté par le tribunal administratif par jugement du 4 décembre 1997. Ledit jugement fut confirmé par un arrêt de la Cour administrative du 10 mars 1998.

Par jugement du 20 mai 1999, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, chambre correctionnelle, déclara Monsieur DINGU convaincu d’avoir soustrait frauduleusement au détriment du magasin A. un Walkman, trois cassettes de jeu, un paquet de piles et quelques hameçons, ces objets ayant été offerts en vente pour un prix total de 8.590.- francs et, eu égard au fait que l’infraction remontait à novembre 1997, à la valeur réduite des objets volés et aux excuses et regrets exprimés à l’audience, ordonna la suspension simple du prononcé de la condamnation pendant une durée de 2 ans.

Suite à l’arrêt de la Cour administrative du 10 mars 1998, le ministre de la Justice, par lettres des 22 mars 1999, notifiée le 15 mai 1999, et 22 novembre 1999, invita les époux DINGU-… à quitter le territoire luxembourgeois.

Le 17 janvier 2000, la décision précitée du ministre de la Justice en date du 22 mars 1999, fut une nouvelle fois notifiée aux époux DINGU-….

Le 21 mars 2000, le mandataire des époux DINGU-… sollicita une autorisation de séjour pour motifs humanitaires.

Le 26 mai 2000, les consorts DINGU-… ont été rapatriés en Albanie.

Par requête déposée le même jour, les époux DINGU-…, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, née le 30 août 1996 à … et …, née le 2 juillet 1998 à …, ont introduit un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du ministre de la Justice du 22 mars 1999 les invitant à quitter le territoire luxembourgeois dans un délai d’un mois à partir de la notification de ladite décision.

QUANT AU RECOURS EN REFORMATION 2 Le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours en réformation, introduit en ordre principal, au motif qu’un tel recours n’est pas prévu en la matière.

Si le juge administratif est saisi d’un recours en réformation dans une matière dans laquelle la loi ne prévoit pas un tel recours, il doit se déclarer incompétent pour connaître du recours (trib. adm. 28 mai 1997, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 5, page 310, et autres références y citées).

Aucune disposition légale ne conférant compétence à la juridiction administrative pour statuer comme juge du fond en la présente matière, le tribunal est incompétent pour connaître de la demande en réformation de la décision critiquée.

QUANT AU RECOURS EN ANNULATION Lors des plaidoiries, le représentant étatique a soutenu oralement qu’aucune décision attaquable n’aurait été prise et que l’invitation à quitter le territoire luxembourgeois ne serait qu’une conséquence du refus du statut de réfugié politique, décision qui a été confirmée sur recours par le tribunal administratif et la Cour administrative, de sorte que le recours devrait être déclaré irrecevable.

C’est à bon droit que les demandeurs concluent au rejet de ce moyen, étant donné que l’ordre de quitter le territoire s’analyse en une décision administrative qui ne se confond pas avec la ou les décisions prises dans le cadre de la reconnaissance du statut de réfugié politique, mais elle constitue une décision distincte de nature à faire grief aux destinataires et, plus particulièrement, elle constitue une mesure d’éloignement ou de refoulement d’un étranger du territoire luxembourgeois qui doit être examinée au regard des dispositions propres à ladite matière.

Le délégué soulève ensuite l’irrecevabilité du recours en annulation « pour défaut d’objet sinon pour défaut d’intérêt. En effet, rappelons que les requérants ont été rapatriés vers l’Albanie en date du 26 mai 2000 ».

Or, même dans l’hypothèse où, comme en l’espèce, l’annulation de la décision ministérielle ne saurait plus avoir d’effet concret, les demandeurs gardent un intérêt à obtenir une décision relativement à la légalité de la décision critiquée, de la part de la juridiction administrative, puisqu’en vertu de la jurisprudence dominante des tribunaux judiciaires, respectivement la réformation ou l’annulation des décisions administratives individuelles constitue une condition nécessaire pour la mise en oeuvre de la responsabilité des pouvoirs publics du chef du préjudice causé aux particuliers par les décisions en question (cf. trib. adm.

24 janvier 1997, n° 9774 du rôle, Pas. adm. 1/2000, V° Procédure contentieuse, I. Intérêt à agir, n° 6, et autres références y citées).

Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi - faute d’information quant aux voies de recours incluse dans la décision critiquée -, il est recevable.

Quant au fond, les demandeurs soutiennent que la décision querellée serait contraire à l’article 14 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant: 1° l’entrée et le séjour des 3 étrangers; 2° le contrôle médical des étrangers; 3° l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère, lequel prohiberait un éloignement vers un pays à propos duquel il est établi que la vie, la liberté ou la santé de l’intéressé est en danger. Concernant leur santé, ils font état de risques de subir des traitements contraires à l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ou des traitements tels que visés par les articles 1er et 3 de la convention des Nations-Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Or, selon les demandeurs, leur vie et leur liberté seraient en danger en Albanie. Dans ce contexte, ils exposent que Monsieur DINGU aurait été condamné à une peine d’emprisonnement de trois ans pour des faits liés à son opposition politique au parti socialiste lors des élections de mars 1997, que son oncle … aurait été assassiné par balles dans la nuit du 28 au 29 mai 1997 par des paramilitaires commandités par le parti socialiste et que Monsieur DINGU lui-même aurait fait l’objet d’une tentative de meurtre une semaine auparavant et son magasin aurait été détruit par l’explosion d’une bombe le 30 mai 1997.

Les demandeurs ajoutent que toute la famille de Monsieur DINGU, à savoir ses parents …, son frère …, sa tante … avec son mari … et leurs trois enfants, ainsi que sa tante …, se trouverait à Luxembourg, que les consorts … auraient obtenu le statut de réfugié politique au Luxembourg, que sa tante …, épouse … aurait obtenu le statut de réfugié politique en Belgique, son cousin …(le fils de la soeur de son père) l’aurait obtenu en France et les filles de sa tante … aux Etats-Unis d’Amérique.

Ils soutiennent encore qu’il se dégagerait des pièces produites à l’appui de leur recours que les forces de police seraient incapables de combattre efficacement la violence, dans laquelle les policiers seraient d’ailleurs souvent impliqués directement, qui régnerait en Albanie et de poursuivre les crimes qui y sont commis.

Ensuite, ils estiment que, même si les attentats subis par eux en 1997 et l’assassinat de leur oncle ne devraient pas être l’oeuvre des autorités socialistes, mais celle de bandes criminelles, cela ne devrait pas changer le fait qu’ils seraient exposés à un risque de subir des traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Enfin, concernant le rapport de police susvisé du 1er décembre 1997 et le jugement du 20 mai 1999 de la chambre correctionnelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg, ils estiment que « ces pièces ne sauraient permettre l’invocation de l’article 33 paragraphe 2 de la Convention de Genève ni de faire obstacle à l’application des autres traités invoqués ci-

avant, alors que le procès-verbal n’a même pas été suivi d’une plainte de la victime d’une part et que le jugement correctionnel a accordé à … DINGU le bénéfice de la suspension du prononcé de la peine, eu égard à ses bons antécédents et à son repentir sincère. Les faits en question ne présentent aucune gravité et s’expliquent par la situation de frustration des réfugiés entassés dans des foyers exigus et non-autorisés à travailler ».

Le délégué du gouvernement rétorque que les demandeurs ne spécifieraient pas en quoi leur vie, leur liberté et leur santé seraient gravement menacées en Albanie, qu’ils ne préciseraient non plus en quoi consisteraient les traitements inhumains contraires à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et que la situation de leurs parents plus ou moins proches ne saurait justifier leurs craintes.

4 Le délégué relève encore que la demande d’asile des époux DINGU-… a été déclarée manifestement infondée en 1997, époque à laquelle la situation en Albanie aurait été beaucoup plus délicate qu’à l’heure actuelle.

L’article 14 de la loi précitée du 3 avril 1996 dispose que « si le statut de réfugié est refusé, soit au titre de l’article 10, soit au titre de l’article 12, le demandeur d’asile sera éloigné du territoire, en conformité des dispositions de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers.

Un éloignement ne peut avoir lieu ni au cours de la procédure d’examen de la demande, ni pendant le délai d’introduction du recours prévu à l’article 13 ».

Il convient encore de relever que l’éloignement d’un étranger du territoire luxembourgeois peut être ordonné par le ministre de la Justice sur base de l’article 12 alinéa 1er de la loi prévisée du 28 mars 1972 disposant que « peuvent être éloignés du territoire par la force publique, sans autre forme de procédure que la simple constatation du fait par un procès-verbal à adresser au ministre de la Justice les étrangers non autorisés à résidence :

(..) 2) qui ne disposent pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ; 3) aux quels l’entrée dans le pays a été refusée en conformité de l’article 2 de la présente loi ; 4) qui ne sont pas en possession des papiers de légitimation prescrits et de visa si celui-ci est requis (..) ».

En l’espèce, l’invitation de quitter le territoire national a été motivée par la considération que les demandeurs n’ont pas pu obtenir la reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève.

Dans la mesure où la décision ministérielle critiquée, invitant les demandeurs à quitter le territoire national, a été prise postérieurement au jugement du tribunal administratif précité du 4 décembre 1997 et de l’arrêt de la Cour administrative du 10 mars 1998, retenant le caractère manifestement infondé de leur demande d’asile, le ministre de la Justice était légalement habilité à prendre ladite mesure sans se heurter aux dispositions dudit article 14.

Les demandeurs n’invoquent en outre pas avoir, à un quelconque autre titre, un droit de séjourner au Grand-Duché, leur moyen unique au fond ayant trait à leur situation dans leur pays d’origine en cas de retour forcé.

Quant au risque sérieux d’assassinat ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants allégué par les demandeurs en cas de refoulement vers l’Albanie, force est encore de constater que, d’une part, les demandeurs sont restés vagues quant aux dangers effectifs et personnels qu’ils risqueraient de subir en cas de retour dans leur pays d’origine, notamment n’ont-ils pas apporté d’éléments suffisants pour justifier en quoi leur situation particulière serait affectée directement ou indirectement par les problèmes qu’ont pu connaître d’autres membres de leur famille, d’autre part, ils restent en défaut d’établir à suffisance de droit que les autorités en place ne seraient pas en mesure de leur assurer une protection adéquate, étant entendu que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.

5 Il s’ensuit que c’est en vain que les demandeurs opposent à la mesure de refoulement le principe du non-refoulement vers un territoire dans lequel leur vie ou leur liberté seraient menacées, consacré notamment par l’article 33 de la Convention de Genève.

Le ministre a partant valablement pu ordonner aux demandeurs de quitter le territoire luxembourgeois en se basant sur son refus de reconnaissance du statut de réfugié politique et l’absence d’un autre motif ayant légalement pu justifier la présence des demandeurs sur le territoire luxembourgeois.

Il résulte de l’ensemble des développements ci-avant exposés que le recours doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation;

reçoit le recours en annulation en la forme;

au fond le déclare non justifié, partant le rejette;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme. Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 6 novembre 2000 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12024
Date de la décision : 06/11/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-11-06;12024 ?

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