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30/10/2000 | LUXEMBOURG | N°s10549,10550

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 30 octobre 2000, s10549,10550


N°s 10549 et 10550 du rôle Inscrits le 5 février 1998 Audience publique du 30 octobre 2000

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Recours formés par Monsieur … ZURSTRASSEN et par son épouse, Madame … contre deux bulletins émis par le bureau d’imposition Luxembourg IV en matière d’impôt sur le revenu

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I.

Vu la requête inscrite sous le numéro 10549 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 5 février 1998 par Maître Jean-Paul NOESEN, avocat à la

Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … ZURSTRASSEN, …, de...

N°s 10549 et 10550 du rôle Inscrits le 5 février 1998 Audience publique du 30 octobre 2000

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Recours formés par Monsieur … ZURSTRASSEN et par son épouse, Madame … contre deux bulletins émis par le bureau d’imposition Luxembourg IV en matière d’impôt sur le revenu

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I.

Vu la requête inscrite sous le numéro 10549 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 5 février 1998 par Maître Jean-Paul NOESEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … ZURSTRASSEN, …, demeurant à L-…, et, pour autant que de besoin, de son épouse, Madame …, demeurant à B-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’un bulletin de l’impôt sur le revenu pour l’année fiscale 1995, émis en date du 29 mai 1997 par le bureau d’imposition Luxembourg IV ;

II.

Vu la requête inscrite sous le numéro 10550 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 5 février 1998 par Maître Jean-Paul NOESEN, préqualifié, au nom de Monsieur … ZURSTRASSEN et, pour autant que de besoin, de son épouse, Madame …, tous les deux préqualifiés, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’un bulletin de l’impôt sur le revenu pour l’année fiscale 1996, émis en date du 29 mai 1997 par le bureau d’imposition Luxembourg IV ;

Vu le jugement avant dire droit rendu contradictoirement en date du 11 mars 1999, par lequel la deuxième chambre du tribunal administratif a joint les affaires introduites sous les numéros 10549 et 10550 du rôle, s’est déclaré compétent pour connaître des recours en réformation, a déclaré les recours en réformation irrecevables dans la mesure où ils ont été introduits au nom de Madame …, a reçu les recours en réformation en la forme dans la mesure où ils ont été introduits par Monsieur ZURSTRASSEN, a rejeté les demandes tendant à obtenir une déclaration de jugement commun à l’égard de Madame …, a rejeté les offres de preuve comme étant non pertinentes et non concluantes, et, quant au fond, et avant tout autre progrès en cause, a formulé une question préjudicielle à soumettre à la Cour de Justice des Communautés européennes, a déclaré les recours en annulation irrecevables, a réservé les frais et a fixé les deux affaires au rôle général en attendant l’arrêt à intervenir de la part de la Cour de Justice des Communautés européennes à la suite de la question préjudicielle à lui soumettre ;

Vu l’arrêt de la Cour de Justice des Communautés européennes du 16 mai 2000, rendu dans l’affaire C-87/99, par lequel la Cour de Justice a répondu à la question préjudicielle lui posée par le tribunal administratif ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport complémentaire et Maître Jean-Paul NOESEN ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Marie KLEIN en leurs plaidoiries respectives.

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Par deux requêtes séparées, inscrites sous les numéros du rôle respectifs 10549 et 10550, Monsieur … ZURSTRASSEN, …, demeurant à L-…, et, pour autant que de besoin, son épouse, Madame …, sans état particulier, demeurant à B-…, ont introduit deux recours contentieux dirigés contre deux bulletins de l’impôt sur le revenu concernant respectivement les années 1995 et 1996, contre lesquels Monsieur ZURSTRASSEN avait fait introduire, par le biais de son mandataire, deux réclamations séparées, datées du 28 juillet 1997, adressées au directeur de l’administration des Contributions directes, restées toutefois sans réponse.

Dans lesdits recours, Monsieur ZURSTRASSEN reproche au bureau d’imposition de l’avoir rangé dans la classe d’impôt I, alors qu’à son avis, il aurait dû bénéficier de la classe d’impôt II, dans la mesure où il aurait gagné, au cours des années litigieuses, la quasi intégralité de ses revenus au Grand-Duché de Luxembourg et où son épouse, Madame …, n’aurait pas eu de revenus propres et n’aurait pas payé d’impôt en Belgique.

Il soutient que partant le centre des intérêts vitaux de son ménage se serait trouvé au Luxembourg, d’autant plus que le couple n’aurait fait l’objet ni d’une procédure de divorce ni de séparation de corps et que de telles procédures n’auraient par ailleurs pas été envisagées. Il expose encore qu’il a habité au cours des années litigieuses à son domicile situé à Luxembourg, … et qu’il aurait rejoint assez régulièrement, pendant le week-end, son épouse qui aurait résidé la majorité du temps à B-… où le ménage aurait pris en location un immeuble. En outre, il serait également arrivé que l’épouse fit le voyage inverse.

Il reproche en substance au bureau d’imposition de ne pas avoir retenu une imposition collective et estime que le fait de le classer dans la classe d’impôt I constituerait une mesure discriminatoire en ce que son couple serait traité différemment de celui au sein duquel les deux époux résideraient à deux adresses différentes sur le territoire du Grand-

Duché de Luxembourg. Il souhaite encore voir tenir compte de sa situation familiale dans le cadre de son imposition au Luxembourg et notamment des enfants à sa charge au cours des années d’imposition litigieuses.

Il expose avoir fait l’objet d’un traitement discriminatoire de la part du bureau d’imposition ayant procédé à l’établissement des bulletins de l’impôt sur le revenu pour les 2 années fiscales 1995 et 1996, ce qui serait contraire à l’article 48 du traité de Rome, étant donné que ce traitement constituerait une entrave à la libre circulation des travailleurs, dans la mesure où l’accès à un barème fiscal réduit serait indubitablement soumis à des conditions plus restrictives pour les résidents d’autres pays de l’Union européenne que pour les résidents luxembourgeois. Dans ce contexte, il a demandé au tribunal de poser la question préjudicielle suivante à la Cour de Justice des Communautés européennes :

“ L’article 48 du Traité de Rome garantissant la libre circulation des travailleurs, ou une autre norme de droit communautaire ne fait-elle pas obstacle à ce qu’une disposition de droit national luxembourgeois, rendant accessible à un couple de deux résidents luxembourgeois, l’accès à un barème fiscal plus favorable par application de l’imposition cumulée des deux conjoints, mais à un barème réduit, sous la seule condition que les époux ne doivent pas être séparés de fait en raison d’une décision judiciaire ou d’une dispense légale du devoir de cohabitation: l’existence du devoir de cohabitation suffit, la preuve d’une cohabitation effective 365 jours sur 365 n’étant pas exigée ni exigible.

Tandis qu’un couple de deux non-résidents n’a accès à ce barème qu’à condition d’établir en sus que - Les époux doivent ne pas être séparés de fait de manière concrète, et en apporter la preuve, la simple existence du devoir de cohabitation étant insuffisante - Ils doivent promériter ensemble plus de 50% de leurs revenus professionnels au Luxembourg, et avoir chacun un emploi au Grand-Duché de Luxembourg - Ils doivent apporter la preuve d’une cohabitation effective 365 jours sur 365, pour eux, l’existence du devoir de cohabitation ne suffit pas pour bénéficier de l’imposition collective Et qu’un couple dont l’un des conjoints a un domicile à Luxembourg pour des raisons professionnelles, tandis que son conjoint est resté domicilié à l’étranger est a priori exclu de ce barème, mais que l’inexistence ou l’existence de la séparation de fait est en somme souverainement et arbitrairement appréciée par l’administration, qui se base tantôt sur l’existence d’un foyer sur deux du ménage à Luxembourg en dépit de l’existence d’un domicile légal à l’étranger pour procéder à imposition collective, tantôt sur l’existence d’un domicile légal à l’étranger en dépit d’un foyer sur deux du ménage à Luxembourg pour refuser l’imposition collective, et que le fait que le couple soit parfaitement uni au point sentimental est un critère qui joue tantôt pour, tantôt contre le contribuable: dans un cas, le fait de “ retrouver sa famille ” à un endroit est un élément justifiant l’imposition collective, dans un autre, elle est apparemment une raison pour la refuser ”.

Par jugement avant dire droit du 11 mars 1999, le tribunal a tout d’abord joint, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, les recours respectifs introduits sous les numéros 10549 et 10550 du rôle, pour y statuer par un seul et même jugement.

Le tribunal s’est encore déclaré compétent pour connaître des recours en réformation introduits contre les bulletins litigieux, tout en déclarant les recours en réformation irrecevables dans la mesure où ils ont été introduits par Madame …, au motif qu’elle n’avait pas qualité pour agir à l’encontre des bulletins déférés, en ce qu’ils ne lui étaient ni destinés d’après leur contenu ni dirigés contre elle. Pour les mêmes motifs que ceux ayant abouti à l’irrecevabilité des recours en réformation dans la mesure où ils ont été formulés 3 par Madame …, le tribunal a également écarté une demande afférente tendant à obtenir une déclaration de jugement commun à l’égard de Madame …. Le tribunal a encore déclaré irrecevables les recours en annulation, dans la mesure où, en la présente matière, seul un recours en réformation a pu être formé contre les bulletins déférés. Enfin, le tribunal a déclaré recevables les recours en réformation, dans la mesure où ils ont été introduits par Monsieur ZURSTRASSEN, et, après avoir écarté une offre de preuve telle que présentée par le demandeur en vue d’établir que Madame … le rejoignait régulièrement et en moyenne une fois par semaine au Luxembourg, comme étant ni pertinente ni concluante, alors que même à supposer que les faits offerts en preuve par le demandeur puissent être établis par les témoins, ils ne suffiraient pas à établir que Madame … avait soit son séjour habituel soit son domicile fiscal au Luxembourg, et après avoir écarté encore la convention belgo-luxembourgeoise de non double imposition, comme n’étant pas susceptible de trouver application en l’espèce, le tribunal a décidé de poser à la Cour de Justice des Communautés européennes, à titre préjudiciel, la question ci-après formulée, par application de l’article 177 du Traité de Rome : “ L’article 48 du traité de l’Union européenne et l’article 1er, paragraphe 1er du règlement CEE n° 1612/68 du Conseil des CE relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté s’opposent-ils à une réglementation nationale qui soumet le bénéfice de l’imposition collective de deux époux et de la classe d’impôt II correspondante, accordant sous certaines conditions aux conjoints une charge fiscale plus favorable que celle qui leur incomberait en cas d’imposition individuelle, à la condition que les deux époux non séparés ni de fait ni sur base d’une décision de justice doivent avoir leurs domiciles fiscaux respectifs dans un même Etat membre, et qui exclut ainsi du bénéfice de ce régime d’imposition l’époux qui s’établit dans un Etat membre, en laissant le reste de sa famille dans un autre Etat membre ”.

Dans son arrêt du 16 mai 2000 précité, la Cour de Justice des Communautés européennes a compris la question préjudicielle comme tendant plus précisément à savoir si l’article 48, paragraphe 2, du traité et l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 1612/68 s’opposent à une réglementation nationale qui, en matière d’impôt sur le revenu, soumet le bénéfice de l’imposition collective des conjoints non séparés ni de fait ni en vertu d’une décision de justice à la condition que ces derniers soient tous deux résidents sur le territoire national et refuse l'octroi de cet avantage fiscal à un travailleur résidant dans cet Etat, dans lequel il perçoit la quasi-totalité des revenus du foyer, et dont le conjoint réside dans un autre Etat membre.

En réponse à la question préjudicielle ainsi formulée, la Cour de Justice des Communautés européennes a dit pour droit, dans son arrêt précité du 16 mai 2000, ce qui suit : “ L’article 48, paragraphe 2, du traité CE (devenu, après modification, article 39, paragraphe 2, CE) et l’article 7, paragraphe 2, du règlement (CEE) n° 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté, s’opposent à l’application d’une réglementation nationale qui, en matière d’impôt sur le revenu, soumet le bénéfice de l’imposition collective des conjoints non séparés ni de fait ni en vertu d’une décision de justice à la condition qu’ils soient tous deux résidents sur le territoire national et refusent l’octroi de cet avantage fiscal à un travailleur résident dans cet Etat, dans lequel il perçoit la quasi-totalité des revenus du foyer, et dont le conjoint réside dans un autre Etat membre ”.

4 Aucune des parties à l’instance n’a déposé au greffe du tribunal administratif un mémoire complémentaire à la suite de l’arrêt précité de la Cour de Justice des Communautés européennes.

Il se dégage de l’arrêt en question de la Cour de Justice que l’article 48, paragraphe 2, du traité CE (devenu, après modification, article 39, paragraphe 2, CE) et l’article 7, paragraphe 2, du règlement précité n° 1612/68 s’opposent à l’application de l’article 3 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, ci-après dénommée “ LIR ”, dans la mesure où celui-ci réserve l’imposition collective exclusivement à ceux des époux qui sont, au début d’une année d’imposition concernée, tous les deux contribuables résidents au Luxembourg et qui ne vivent pas en fait séparés en vertu d’une dispense de la loi ou de l’autorité judiciaire. En effet, dans la mesure où cette disposition légale refuse l’imposition collective à un travailleur résident au Luxembourg, dans lequel il perçoit la quasi-totalité des revenus du foyer, et dont le conjoint réside dans un autre Etat membre, tout en imposant collectivement les époux qui sont tous les deux contribuables du Luxembourg, elle comporte une inégalité de traitement interdite par les articles 48, paragraphe 2, du traité, et 7, paragraphe 2, du règlement précité n° 1612/68.

Dans la mesure où le droit communautaire, norme juridique d’essence supérieure à la loi nationale d’un Etat membre de l’Union européenne, s’oppose à l’application de l’article 3, a) LIR à la situation de Monsieur ZURSTRASSEN, c’est à tort que le bureau d’imposition Luxembourg IV a refusé d’imposer Monsieur ZURSTRASSEN collectivement avec son épouse et de tenir compte, lors de l’établissement des bulletins de l’impôt sur le revenu pour les années fiscales 1995 et 1996, de la situation de son ménage ainsi que des enfants à charge au cours de la période en question.

Il y a partant lieu de renvoyer le dossier au directeur de l’administration des Contributions directes, pour transmission au prédit bureau d’imposition, afin que celui-ci procède, en application des principes ci-avant dégagés, tels qu’ils ressortent également de l’arrêt précité de la Cour de Justice des Communautés européennes du 16 mai 2000, à l’imposition de Monsieur ZURSTRASSEN pour les années fiscales 1995 et 1996, en l’imposant collectivement avec son épouse et en tenant notamment compte de ses charges familiales éventuelles, sans qu’il y ait lieu de prendre position par rapport au moyen tiré d’une éventuelle violation de l’article 11 (2) de la Constitution du Grand-Duché de Luxembourg, étant donné que ce moyen est épuisé par la réponse à la question préjudicielle.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

vidant le jugement interlocutoire du 11 mars 1999 ;

au fond déclare les recours en réformation tels qu’introduits par Monsieur ZURSTRASSEN justifiés, partant annule les bulletins de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 1995 et 1996, tels qu’émis par le bureau d’imposition Luxembourg IV en date du 29 mai 1997 et renvoie l’affaire devant le directeur de l’administration des Contributions directes pour prosécution ;

5 condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme. Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 30 octobre 2000 par le vice-président, en présence de Madame Anne-Marie WILTZIUS, greffier de la Cour administrative, greffier assumé.

s. Wiltzius s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : s10549,10550
Date de la décision : 30/10/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-10-30;s10549.10550 ?

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