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30/10/2000 | LUXEMBOURG | N°11987

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 30 octobre 2000, 11987


Numéro 11987 du rôle Inscrit le 8 mai 2000 Audience publique du 30 octobre 2000 Recours formé par Madame … ZHOU, Luxembourg contre deux décisions du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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Vu la requête, inscrite sous le numéro 11987 du rôle, déposée le 8 mai 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Daniel PHONG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … ZHOU, demeu

rant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du mini...

Numéro 11987 du rôle Inscrit le 8 mai 2000 Audience publique du 30 octobre 2000 Recours formé par Madame … ZHOU, Luxembourg contre deux décisions du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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Vu la requête, inscrite sous le numéro 11987 du rôle, déposée le 8 mai 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Daniel PHONG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … ZHOU, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 10 février 2000, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux émise le 28 avril 2000, les deux portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une autorisation de séjour en faveur de son fils … ZHOU;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 mai 2000;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 16 juin 2000 par Maître Daniel PHONG pour compte de Madame ZHOU;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Daniel PHONG et Monsieur le délégué du Gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 25 septembre 2000.

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Moyennant formulaire daté au 12 novembre 1998, Madame … ZHOU, de nationalité chinoise, mariée avec Monsieur …, également de nationalité chinoise, demeurant à l’époque à L-…, introduisit auprès du ministère de la Justice une demande en obtention d’une autorisation de séjour en faveur de son fils naturel … ZHOU, né le 4 février 1981, de nationalité chinoise, encore mineur au moment de l’introduction de ladite demande.

Suite à une demande de renseignements de la part du ministère du Justice du 11 janvier 2000 concernant les conditions actuelles de logement de la famille …-ZHOU et les revenus du couple, transmise pour raisons de compétence au commissariat de police à Eich, ce dernier confirma dans son rapport du 21 janvier 2000 l’habitation effective de la famille …-ZHOU à l’adresse précitée et constata l’état de salubrité insuffisant et de surpopulation de ce logement, tout en renseignant les déclarations des époux …-ZHOU concernant leurs revenus respectifs.

Par décision du 10 février 2000, le ministre de la Justice, ci-après dénommé « le ministre », rejeta la demande prévisée formée par Madame ZHOU au motif que « l’autorisation de séjour ne saurait être accordée alors qu’il ressort du dossier de la police grand-ducale d’Eich du 21 janvier 2000 à mon ministère que votre logement n’est pas adapté à accueillir une personne supplémentaire, abstraction faite de vos parents qui y résident déjà sans autorisation de séjour. D’autre part, l’intéressé est majeur depuis le 4 février 1999. Ce qui veut dire que l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers lui est applicable. Or, cet article exige que l’intéressé doit disposer de moyens personnels suffisants lui permettant d’assurer son séjour au Grand-Duché, abstraction faite de l’aide matérielle ou des secours financiers que de tierces personnes pourraient s’engager à lui faire parvenir. Or, votre fils ne remplit pas cette condition. Par conséquent, l’intéressé est invité à quitter le pays dans le délai d’un mois, sinon un rapatriement forcé sera organisé par nos soins ».

Par courrier de son mandataire du 27 mars 2000, Madame ZHOU forma un recours gracieux contre cette décision de rejet en faisant valoir plus particulièrement qu’elle aurait acquis ensemble avec son mari une maison sise à Luxembourg, …, laquelle serait suffisamment spacieuse pour loger toute leur famille, y compris son fils …, et qu’elle se déclare prête à assumer, ensemble avec son mari, l’obligation alimentaire légale envers son fils … qui se mettrait à la recherche d’un emploi dès son arrivée au pays.

Ce recours gracieux fut rencontré par une décision confirmative du ministre du 28 avril 2000 retenant que le fils … ZHOU ne satisferait pas à l’exigence de disposition de moyens personnels suffisants lui permettant d’assurer son séjour au Luxembourg, abstraction faite de l’aide matérielle ou de secours de la part de tierces personnes.

A l’encontre des deux décisions précitées des 10 février et 28 avril 2000, Madame ZHOU a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation par requête déposée le 8 mai 2000.

Le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours en réformation, introduit en ordre principal, au motif qu’un tel recours ne serait pas prévu en la matière.

Si le juge administratif est saisi d’un recours en réformation dans une matière dans laquelle la loi ne prévoit pas un tel recours, il doit se déclarer incompétent pour connaître du recours (trib. adm. 28 mai 1997, Orsini, Pas. adm. 1/2000, v° Recours en réformation, n° 5, page 310, et autres références y citées).

En l’espèce, aucune disposition légale ne prévoyant un recours de pleine juridiction contre une décision de refus d’un permis de séjour, le tribunal administratif est incompétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal.

2 Le recours subsidiaire en annulation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

La demanderesse critique les décisions litigieuses en faisant valoir qu’au moment du dépôt de sa demande, à savoir le 12 novembre 1998, son fils … était encore mineur, de manière à ce que la condition de disposition de moyens personnels instaurée par l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 ne lui aurait pas encore été applicable au vu de sa propre obligation alimentaire envers lui dont il bénéficiait encore à ce moment. Ce serait le délai anormalement long pris par le ministère pour instruire sa demande et aboutir à la décision initiale le 10 février 2000 seulement, soit un an et trois mois après l’introduction de sa demande, qui aurait entraîné l’acquisition de la majorité par son fils avant la prise d’une décision. Tout en admettant qu’aucun texte n’imposerait un délai d’instruction précis à l’administration, la demanderesse fait valoir que, par référence au délai de trois mois de silence de la part de l’administration équivalant à une décision implicite de rejet, une période de trois mois constituerait un délai normal pour instruire un dossier ne présentant pas de difficulté particulière, tel celui sous analyse, et prendre une décision afférente. Elle conclut que le dysfonctionnement résultant du délai d’instruction excessif serait constitutif d’un détournement de pouvoir ou de procédure ou subsidiairement d’une violation du principe de l’égalité de traitement d’un administré.

Il est de principe que la légalité d’une décision administrative s’apprécie en considération de la situation de droit et de fait au jour où elle a été prise (Cour adm. 1er décembre 1998, Muqaj, n° 10721, Pas. adm. 1/2000, v° Recours en annulation, n° 12, p. 306).

S’il est vrai que le silence gardé par l’administration au-delà d’un délai de trois mois après le dépôt d’une demande par un administré fait naître une présomption de décision implicite de rejet, à l’encontre de laquelle l’administré peut entamer les voies de recours légalement prévues, le défaut de décision au-delà dudit délai de trois mois n’est pas de nature à affecter la décision finalement prise du vice d’un détournement de pouvoir ou de procédure à défaut de preuve de l’usage du pouvoir décisionnel conféré dans un but autre que celui pour lequel il a été octroyé. La demanderesse reste pareillement en défaut d’établir concrètement une violation du principe de l’égalité de traitement tirée de la durée du délai d’instruction de sa demande par rapport au traitement accordé à d’autres dossiers comparables. S’y ajoute que le délégué du Gouvernement a utilement précisé que le fils … de la demanderesse a acquis l’âge de la majorité moins de trois mois après l’introduction de la demande en octroi d’une autorisation de séjour en sa faveur.

Le premier moyen est dès lors à rejeter.

La demanderesse précise ensuite qu’elle-même et son mari se déclareraient prêts à exécuter leur obligation alimentaire légale envers le fils … dès son arrivée au pays, étant donné qu’il serait actuellement encore étudiant, de sorte que la disposition de moyens d’existence personnels ne devrait pas être requise dans son chef. Elle affirme qu’ « il est bien entendu que ce dernier se mettra à la recherche d’un emploi dès son arrivée sur le territoire du Grand-Duché » et que le propriétaire d’un restaurant chinois se proposerait déjà de lui donner un emploi.

Dans la mesure où il ressort des indications ainsi soumises au tribunal par le mandataire de la demanderesse que son fils … ZHOU s’apprêterait non pas à poursuivre des études au Luxembourg, mais à y exercer une activité salariée, il ne saurait se fonder sur l’obligation alimentaire légale à charge de ses parents résidant au Luxembourg pour justifier 3 de pouvoir subvenir à ses besoins personnels, mais est tenu, conformément à l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 disposant que « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger: (…) - qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour », de rapporter la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, abstraction faite de tous moyens et garanties éventuellement procurés par des tiers (trib. adm. 17 février 1997, Pas. adm. 1/2000, v° Etrangers, n° 81, et autres références y citées). S’il n’établit pas, au moment de la prise de la décision ministérielle, être en possession d’un permis de travail et n’est partant pas autorisé à occuper un emploi au Luxembourg et à toucher des revenus provenant de cet emploi, il ne justifie pas l’existence de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour (trib. adm. 28 juillet 1999, Celebic, n° 10841, Pas. adm. 1/2000, v° Etrangers, n° 83, p. 118), de sorte que le ministre peut valablement rejeter la demande en octroi d’une autorisation de séjour dans cette hypothèse. A défaut par la demanderesse de produire un permis de travail délivré en faveur de son fils …, le moyen tiré de l’existence d’une obligation alimentaire à charge de la demanderesse n’est pas de nature à énerver la légalité des décisions attaquées.

La demanderesse se prévaut enfin de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme lui garantissant l’exercice du droit au respect d’une vie familiale existante en faisant valoir plus particulièrement que le regroupement de sa famille ne pourrait s’opérer ailleurs qu’au Grand-Duché, étant donné que tous les autres membres de sa famille auraient « refait leur vie sur le territoire luxembourgeois et où ils ont tous déjà une autorisation de résider ». Elle précise que, depuis son entrée au Luxembourg en février 1997, elle aurait dû se préoccuper d’abord de faire venir en août 1997 ses trois filles issues de son mariage avec Monsieur … et qu’elle n’aurait pu entamer les démarches nécessaires pour faire suivre son fils naturel …, encore mineur à l’époque, seulement qu’après avoir pu installer sa famille légitime au pays. Elle relève que le laps de temps couru entre son entrée au pays et le dépôt de sa demande d’autorisation de séjour en faveur de son fils … serait seulement d’un an et neuf mois, pour conclure que ce délai serait insuffisant pour entraîner une rupture des liens familiaux ayant existé antérieurement en raison de sa vie commune avec son fils naturel en Chine.

L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose que:

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-

être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

Sans remettre en cause la compétence de principe de chaque Etat de prendre des mesures en matière d’entrée, de séjour et d’éloignement des étrangers, l’article 8 implique que l’autorité étatique investie du pouvoir de décision en la matière n’est pas investie d’un pouvoir discrétionnaire, mais qu’en exerçant ledit pouvoir, elle doit tenir compte du droit au respect de la vie privée et familiale des personnes concernées.

En l’espèce, il est indifférent de savoir si au moment de la prise des décisions litigieuses Monsieur … ZHOU était mineur ou majeur, étant donné que la notion de famille, 4 au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, englobe, au-delà de la cellule fondamentale composée des parents et de leurs enfants mineurs, tous les liens de co-

sanguinité suffisamment étroits.

Toutefois, la garantie du respect de la vie privée et familiale comporte des limites.

En premier lieu, elle ne comporte pas le droit de choisir l’implantation géographique de la vie familiale, de sorte qu’on ne saurait obliger un Etat à laisser accéder un étranger sur son territoire pour y créer des liens familiaux nouveaux (cf. Frédéric SUDRE in Droit International et Européen des Droits de l’Homme, n° 183 au sujet de l’arrêt CRUZ VARAS et autres de la Cour européenne des droits de l’homme du 20 mars 1991, A.201 §88). En second lieu, elle ne s’applique qu’à une vie familiale effective, c’est-à-dire caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites parmi ses membres, et existante, voire préexistante.

Cette deuxième restriction requiert la mise en lumière de la distinction entre, d’une part, les décisions d’éloignement d’un étranger du territoire national et, d’autre part, les décisions relativement à des demandes d’entrée et de séjour au titre d’un regroupement familial. Les deux types de décisions impliquent des considérations de nature différente.

L’étranger qui invoque l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme pour tenir en échec une mesure d’éloignement, vise à voir protéger la vie familiale qu’il a établie sur le territoire national et qui est menacée. Dans ce cas, le tribunal est appelé à vérifier l’existence d’une vie familiale effective et les effets que la mesure projetée risque d’avoir sur elle. Dans la deuxième hypothèse, un étranger entend accéder et séjourner sur le territoire national pour vivre ensemble avec sa famille, et vise partant à voir reconstituée son unité familiale. Dans ce cas, le tribunal est appelé à vérifier la préexistence à l’immigration d’une vie familiale effective.

En l’espèce, la demanderesse reste en défaut d’établir la préexistence d’une vie familiale effective en Chine. En effet, elle affirme certes que dans la mentalité chinoise, un enfant naturel viendrait toujours en second rang derrière les enfants issus d’un mariage et qu’elle aurait toujours essayé de vivre avec son fils … sauf à le loger auprès de ses grands-

parents lorsque son mari était présent, mais elle n’établit aucun indice concret sur la réalité d’une telle vie familiale en Chine et admet que son fils vivrait actuellement auprès d’une famille d’accueil en Chine. Les allégations concernant sa volonté ferme dès son arrivée au pays d’accueillir son enfant naturel au Luxembourg restent dès lors sans incidence en l’espèce en l’absence de preuve d’une vie familiale effective préexistante.

Le recours n’étant partant fondé en aucun de ses moyens, il est à rejeter.

PAR CES MOTIFS Le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation, 5 reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, laisse les frais à charge de la demanderesse.

Ainsi jugé par:

M. SCHOCKWEILER, vice-président, Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, et lu à l’audience publique du 30 octobre 2000 par le vice-président, en présence de Madame Anne-Marie WILTZIUS, greffier de la Cour administrative, greffier assumé.

s. WILTZIUS S. SCHOCKWEILER 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 11987
Date de la décision : 30/10/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-10-30;11987 ?

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