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25/10/2000 | LUXEMBOURG | N°12364

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 octobre 2000, 12364


N° 12364 du rôle Inscrit le 6 octobre 2000 Audience publique du 25 octobre 2000

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Recours formé par Madame … SKRIJELJ contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro 12364 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 octobre 2000 par Maître Marc SUNNEN, avocat à la Cour, assisté de Maître Frédérique LERCH, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre

des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … SKRIJELJ, de nationalité yougoslave et originair...

N° 12364 du rôle Inscrit le 6 octobre 2000 Audience publique du 25 octobre 2000

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Recours formé par Madame … SKRIJELJ contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro 12364 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 octobre 2000 par Maître Marc SUNNEN, avocat à la Cour, assisté de Maître Frédérique LERCH, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … SKRIJELJ, de nationalité yougoslave et originaire du Monténégro, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 26 juin 2000, par laquelle sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique a été déclarée manifestement infondée, ainsi que d’une décision confirmative du 6 septembre 2000, intervenue sur recours gracieux du 1er septembre 2000 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 octobre 2000 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;

Ouï le juge rapporteur en son rapport, Maître Frédérique LERCH, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives.

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Madame … SKRIJELJ, née le … à …(Monténégro), sans état particulier, de nationalité yougoslave, originaire du Monténégro, demeurant actuellement à L-…, introduisit en date du 18 mai 2000 une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant dénommé ci-après “ la Convention de Genève ”.

Elle fut entendue en date du 18 mai 2000 par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg ainsi qu’en date du 29 mai 2000 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Madame SKRIJELJ, par lettre du 26 juin 2000, notifiée le 4 août 2000, que sa demande d’asile avait été rejetée aux motifs suivants : “ (…) Il résulte de vos déclarations que le matin du 14 mai 2000 vous avez quitté Novi Pazar en Serbie et que vous êtes arrivée au Luxembourg le 15 mai 2000 vers minuit. Vous ne pouvez donner aucun détail sur le chemin emprunté. Vous déclarez néanmoins avoir passé une frontière à pied, sans pouvoir dire pour autant de quelle frontière il s’agissait. Vous avez déposé une demande en obtention du statut de réfugié en date du 18 mai 2000.

Vous exposez que vous avez quitté votre pays parce que vous aviez peur. Vous soulignez que personnellement vous n’avez pas été persécutée, mais que votre famille a reçu des menaces par écrit. Vous affirmez par ailleurs que vous n’êtes pas membre d’un parti politique et que vous n’avez pas d’opinions politiques.

Vous ne faites pas état d’une persécution en raison de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos opinions politiques.

Or, selon l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, “ une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ”. Par ailleurs, l’article 3 du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 précitée, dispose que “ une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsque le demandeur n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande ”.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme manifestement infondée au sens de l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève.

Vous êtes invitée à quitter le territoire du Luxembourg dans le mois suivant la notification de la présente décision. Dans le cas où vous exerceriez un recours devant les juridictions administratives, vous devrez quitter le territoire dans le mois suivant le jour où la décision confirmative des juridictions administratives aura acquis le caractère de force de chose jugée. En cas de non respect des délais prescrits, un rapatriement sera organisé soit vers votre pays d’origine, soit vers un autre pays où vous serez légalement admissible.

(…) ”.

Par courrier de son mandataire datant du 1er septembre 2000, Madame SKRIJELJ fit introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision précitée du ministre de la Justice du 26 juin 2000.

Ce recours gracieux fut rejeté par une décision confirmative de la décision initiale, datée du 6 septembre 2000.

2 Par requête du 6 octobre 2000, Madame … SKRIJELJ a introduit un recours en annulation contre les décisions précitées des 26 juin et 6 septembre 2000.

Etant donné que l’article 10 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2) d’un régime de protection temporaire, prévoit expressément qu’en matière de demandes d’asile déclarées manifestement infondées au sens de l’article 9 de la loi précitée de 1996, seul un recours en annulation est ouvert devant les juridictions administratives.

Le recours en annulation à l’encontre des décisions ministérielles litigieuses ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, la demanderesse soutient tout d’abord que la décision confirmative précitée du 6 septembre 2000 ne prendrait pas position quant aux différents moyens développés dans le recours gracieux introduit en date du 1er septembre 2000 et qu’elle ne contiendrait de ce fait pas l’indication des motifs de refus se trouvant à sa base, dans la mesure où le ministre de la Justice y a indiqué “ qu’à défaut d’éléments pertinents nouveaux, [il] ne saurai[t] réserver une suite favorable à [sa] demande et [il] ne peu[t] que confirmer [sa] décision du 26 juin 2000, notifiée le 4 août 2000, dans son intégralité ”. Elle expose dans ce contexte que lors de son recours gracieux, elle avait décrit au ministre de la Justice la situation ayant existé au moment de son départ en Yougoslavie d’une manière générale et au Monténégro en particulier, en précisant les conséquences directes que cette situation risquerait d’avoir sur sa sécurité personnelle, en faisant valoir que ces éléments n’auraient pas figuré dans le dossier administratif tenu par le ministère de la Justice avant l’introduction du prédit recours gracieux. Elle soutient encore que la décision confirmative précitée du 6 septembre 2000 constituerait en réalité une “ réponse standard ” dans la mesure où tous les demandeurs d’asile se verraient refuser la reconnaissance du statut de réfugié politique sur base de décisions ayant un libellé “ rigoureusement identique au mot prés” à la décision qui lui a été notifiée. Elle conclut de ce fait à une absence de motivation devant entraîner l’annulation de la décision confirmative précitée.

Le délégué du gouvernement estime que dans la mesure où le recours gracieux introduit par la demanderesse ne contenait pas “ d’éléments nouveaux et pertinents ”, la décision confirmative précitée du 6 septembre 2000 serait dûment motivée. A titre subsidiaire, il fait valoir que de toute façon l’absence de motivation d’une décision administrative, même confirmative, ne saurait en aucun cas entraîner son annulation, alors que seule la suspension du délai de recours pourrait en constituer une sanction possible. Il rappelle dans ce contexte que de toute façon, l’administration avait la possibilité de compléter sa motivation en cours d’instance.

Une décision de refus, de même que celle intervenant sur recours gracieux, doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base. S’il est admis qu’en cas de décision prise sur recours gracieux, la motivation peut consister dans le renvoi à la décision antérieure dûment motivée, il reste que celle-ci doit alors préciser les éléments de fait constitutifs de la notion juridique applicable, ces derniers devant être spécifique à la cause en question et ne pas se limiter à des considérations d’ordre général (trib. adm. 8 juillet 1997, n°s 9685 et 9700 du rôle, Pas. adm. 1/2000, V° Procédure administrative non contentieuse, III. Motivation de la décision administrative, n° 24, p. 259).

3 En l’espèce, c’est à bon droit que le délégué du gouvernement soutient que la demanderesse n’a pas apporté des éléments nouveaux dans son recours gracieux du 1er septembre 2000, étant donné que les renseignements transmis au ministre de la Justice par la prédite lettre du 1er septembre 2000 constituent des précisions des faits initialement portés à la connaissance du ministre de la Justice, à la suite de l’audition de la demanderesse en date du 29 mai 2000, et c’est partant à bon droit que le ministre de la Justice a pu se référer, dans sa décision confirmative du 6 septembre 2000, à la motivation contenue dans la décision initiale du 26 juin 2000. Le moyen afférent est partant à écarter.

La demanderesse reproche encore au ministre de la Justice d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation des faits qu’elle lui a soumis dans le cadre de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, dans la mesure où elle estime que les faits se trouvant à la base de sa demande devraient justifier une telle reconnaissance. Dans ce contexte, elle expose qu’au début du printemps de l’année 2000, elle aurait à de nombreuses reprises était physiquement et verbalement agressé de manière particulièrement violente par un groupe de jeunes Serbes sur le chemin du retour de son travail et qu’elle aurait de ce fait peur d’être violée, voire tuée. En outre, elle expose que, dans ce contexte, et à la suite de ces agressions, elle aurait déposé plainte auprès du commissariat de police de Rozaje et “ qu’à chaque fois, les policiers serbes se sont moqués d’elle et n’ont jamais donné aucune suite à ses plaintes ”. Cette “ attitude passive voire malveillante de la police ” n’aurait fait que renforcer sa peur d’être persécutée, dans la mesure où elle n’aurait pas pu compter sur le soutien des forces de l’ordre en vue d’assurer sa protection physique.

Elle estime que ces prétendues persécutions seraient dues au fait qu’elle est née au Monténégro et qu’elle est de religion musulmane.

Elle soutient que sur base des faits lui soumis, le ministre de la Justice n’aurait pas pu considérer sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme étant manifestement infondée, alors qu’au contraire sa demande aurait dû être déclarée fondée, en ce qu’elle estime avoir invoqué une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social.

Le délégué du gouvernement estime au contraire que les faits invoqués par la demanderesse traduiraient plutôt une peur diffuse qui s’inscrirait dans le cadre d’un sentiment général d’insécurité, en soutenant que la demanderesse n’aurait à aucun moment invoqué des persécutions ou bien indiqué des faits qui auraient pu pousser le ministre de la Justice à une analyse au fond du dossier.

Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 “ une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New-York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de tout fondement ( …) ”.

En vertu de l’article 3, alinéa 1er du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 “ une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’un demandeur n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son 4 appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande ”.

Il ne suffit pas qu’un demandeur d’asile invoque un ou des motifs tombant sous le champ d’application de la Convention de Genève, il faut encore que les faits invoqués à la base de ces motifs ne soient pas manifestement incrédibles ou, eu égard aux pièces et renseignements fournis, manifestement dénués de fondement. Ainsi, il ne suffit pas d’invoquer une crainte de persécution pour un des motifs prévus par la Convention de Genève, il faut encore que le demandeur d’asile soumette aux autorités compétentes des éléments suffisamment précis permettant à celles-ci d’apprécier la réalité de cette crainte. L’absence de production de tels éléments a pour conséquence que la demande d’asile doit être déclarée manifestement infondée.

Le tribunal doit partant examiner, sur base de l’ensemble des pièces du dossier et des renseignements qui lui ont été fournis, si les faits peuvent être qualifiés de manifestement incrédibles ou la crainte invoquée de manifestement dénuée de fondement.

En l’espèce, l’examen des faits et motifs invoqués par la demanderesse à l’appui de sa demande d’asile amène le tribunal à conclure qu’elle n’a manifestement pas établi, ni même allégué, des raisons personnelles suffisamment précises de nature à établir dans son chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, à savoir le Monténégro. - En effet, lors de son audition, telle que celle-ci a été relatée dans le compte rendu figurant au dossier, Madame SKRIJELJ a affirmé avoir quitté son pays d’origine parce qu’elle avait “ peur du viol ” et “ peur d’être tuée ” et que, d’une manière générale, elle avait “ peur de retourner là-bas ”. Par ailleurs, interrogée sur la question de savoir si elle avait personnellement subi des persécutions, elle a répondu par la négative, en précisant toutefois qu’“ on nous faisait parvenir des menaces par écrit ”, sans autrement spécifier de quel type de menaces il s’agissait et sans donner aucune indication quant aux auteurs potentiels desdites menaces. Enfin, elle a précisé dans son recours gracieux, qu’elle avait été agressée par un groupe de jeunes Serbes et que la police serbe refusait d’enregistrer ses plaintes, sans apporter un quelconque autre élément permettant de connaître les motifs exacts des comportements ainsi décrits.

Le tribunal constate, d’une part, que la demanderesse base ses craintes de persécution sur la situation générale existant dans son pays d’origine, à savoir le Monténégro, et sur son appartenance à la religion musulmane, vivant au Monténégro, sans apporter davantage de précisions quant aux persécutions qu’elle risquerait personnellement de subir du fait de cette situation. Ainsi, elle ne précise pas en quoi sa situation particulière ait été telle qu’elle pouvait avec raison craindre qu’elle ferait l’objet de persécutions au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance. Les autorités luxembourgeoises ont partant été mises dans l’impossibilité d’examiner, en plus de la situation générale régnant au Monténégro, sa situation particulière et de vérifier concrètement et individuellement si elle a raison de craindre d’être persécutée. Les éléments invoqués dans ce contexte s’analysent dans leur ensemble en l’expression d’un sentiment général d’insécurité en raison de la mauvaise situation générale au Monténégro.

Il se dégage des considérations qui précèdent que la demanderesse reste en défaut de faire état d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, à savoir le Monténégro.

5 La demande d’asile ne repose dès lors sur aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève.

Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre de la Justice a déclaré la demande d’asile de Madame SKRIJELJ comme étant manifestement infondée, de sorte que le recours formé par elle est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme. Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 25 octobre 2000 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12364
Date de la décision : 25/10/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-10-25;12364 ?

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