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25/10/2000 | LUXEMBOURG | N°11826

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 octobre 2000, 11826


N° 11826 du rôle Inscrit le 10 février 2000 Audience publique du 25 octobre 2000

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Recours formé par Monsieur … GHAVAMI, … contre une décision du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement en matière d’exercice de la profession d’architecte

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Vu la requête inscrite sous le numéro 11826 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 10 février 2000 par Maître Henri

FRANK, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieu...

N° 11826 du rôle Inscrit le 10 février 2000 Audience publique du 25 octobre 2000

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Recours formé par Monsieur … GHAVAMI, … contre une décision du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement en matière d’exercice de la profession d’architecte

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Vu la requête inscrite sous le numéro 11826 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 10 février 2000 par Maître Henri FRANK, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … GHAVAMI, architecte, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement du 22 novembre 1999 refusant de faire droit à sa demande de renouvellement de son autorisation d’établissement pour la profession d’architecte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 mars 2000 ;

Vu la demande en prorogation de délai imparti pour la présentation d’un mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 19 juin 2000 par Maître Henri FRANK ;

Vu l’ordonnance du premier vice-président du tribunal administratif du 21 juin 2000 déclarant ladite demande en prorogation de délai irrecevable ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Henri FRANK et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 9 octobre 2000.

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Suivant autorisation d’établissement référencée sous le numéro 58580, délivrée en date du 15 mars 1989 par le secrétaire d’Etat près le ministère des Classes moyennes et du Tourisme, Monsieur … GHAVAMI, demeurant à l’époque à L-…, demeurant actuellement à L-…, de nationalité iranienne, s’est vu autoriser “ à exercer à Mamer en qualité de profession libérale l’activité suivante : architecte indépendant ”.

Par courrier datant du 12 avril 1999, Monsieur GHAVAMI s’adressa au ministre des Classes moyennes et du Tourisme pour solliciter “ un renouvellement de (mon) autorisation n° 58580 ”. Cette demande fut transmise au ministre de la Justice en date du 21 mai 1999 “ avec prière d’avis quant à la responsabilité de Monsieur … GHAVAMI dans la faillite de la s. à r.l …, prononcée le 22 décembre 1989 et suite à sa déclaration en faillite le 22 avril 1994 ”.

Sur base d’un avis défavorable afférent du parquet auprès du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg datant du 7 octobre 1999, le procureur général d’Etat émit un avis défavorable conforme en date du 11 octobre 1999, transmis par le ministre de la Justice au ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement, ci-après désigné par “ le ministre ”, le 18 octobre 1999.

La commission prévue à l’article 2 de la loi modifiée du 28 décembre 1988 réglementant l’accès aux professions d’artisan, de commerçant, d’industriel ainsi qu’à certaines professions libérales, ci-après appelée “ la loi d’établissement ”, émit à son tour un avis défavorable relativement à l’honorabilité professionnelle de Monsieur GHAVAMI en date du 16 novembre 1999.

Le ministre, faisant siennes les prises de position des autorités judiciaires et de la commission prévisées, a décidé de ne pas faire droit à la demande de Monsieur GHAVAMI dans l’état actuel du dossier en se basant sur l’article 3, alinéas 1er et 4 de la loi d’établissement, tout en signalant à Monsieur GHAVAMI qu’il remplirait par ailleurs la condition de qualification professionnelle requise pour la profession d’architecte.

A l’encontre de cette décision, Monsieur GHAVAMI a fait introduire un recours contentieux en réformation, sinon en annulation par requête déposée en date du 10 février 2000.

L’article 2 (6) de la loi d’établissement, tel que modifié par la loi du 4 novembre 1997 portant modification des articles 2, 12, 22 et 26 de la loi d’établissement, prévoyant expressément que le tribunal administratif statue comme juge d’annulation en matière d’autorisations d’établissement, le tribunal n’est pas compétent pour connaître du recours principal en réformation. Le recours subsidiaire en annulation est recevable pour avoir été introduit suivant les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur fait valoir que les deux motifs à la base de la décision déférée, appuyés sur ce qu’il ne remplirait plus les garanties requises d’honorabilité professionnelle en raison, d’une part, de son implication en qualité de dirigeant dans la faillite de la s. à r. l. … et d’autre part, de sa déclaration de faillite personnelle, ne vaudraient pas motifs de refus, en ce que d’un côté il conteste avoir été impliqué, en une quelconque qualité, dans la faillite de la s. à r.l. … et que, d’un autre côté, en qualité d’architecte indépendant, il n’aurait pas revêtu la qualité de commerçant et n’aurait dès lors pas pu avoir été déclaré en état de faillite en son nom personnel. Le demandeur relève en outre que pendant la période incriminée pour laquelle le ministre lui reproche son manque d’honorabilité, il aurait été “ le plus clair du temps ” emprisonné en Iran et qu’après avoir été libéré sur l’intervention de son frère avocat à Téhéran, il aurait d’abord déployé pendant un certain temps son activité tout à fait librement en travaillant comme ingénieur architecte au sud de l’Iran, qu’ensuite il aurait fait l’objet d’une inculpation injuste d’espionnage en faveur de la France et que finalement il aurait pu sortir d’Iran en 1997, muni d’un nouveau passeport et retourner au Grand-Duché par le détour de l’Azerbaïdjan. Dans la mesure où les faits lui reprochés se seraient dès lors situés à 2 une période où il n’aurait manifestement pas été au pays, les motifs de refus seraient injustifiés et constitueraient le détournement, respectivement l’excès de pouvoir au sens de la loi.

Le délégué du Gouvernement rétorque que pour obtenir l’autorisation d’établissement, le postulant doit disposer de l’honorabilité professionnelle, conformément aux dispositions de l’article 3, alinéa 1er de la loi d’établissement et que cette honorabilité serait évaluée sur base des antécédents judiciaires du postulant, ainsi que de tous les éléments fournis par l’enquête administrative. Il se réfère plus particulièrement au rapport du curateur de la faillite s. à r.l. … dont Monsieur GHAVAMI était le gérant, ainsi qu’au rapport du curateur de la faillite en nom personnel de Monsieur GHAVAMI, synthétisés par l’avis du parquet du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg du 7 octobre 1999, pour conclure à une absence d’honorabilité professionnelle dans le chef de Monsieur GHAVAMI.

Il relève à cet égard que Monsieur GHAVAMI, plutôt que de s’occuper personnellement et concrètement des affaires de la société …, se serait désintéressé de celle-ci, et qu’au moins pour les années 1986 et 1987, période pendant laquelle la gérance technique lui était dévolue, la comptabilité n’aurait pas été tenue correctement, ce qui constituerait une faute grave dans son chef.

Le représentant étatique déduit de l’ensemble des éléments révélés par les avis des autorités judiciaires et curateurs que le comportement de Monsieur GHAVAMI aurait engagé sa responsabilité personnelle dans la survenance des deux faillites en question. Il relève en outre que plus de 2.000.000.- de francs de charges fiscales n’auraient délibérément pas été continués et que le curateur aurait noté “ qu’on a l’impression que tout cela a dû être bien organisé au préalable, alors que malgré les recherches effectuées de ma part auprès des banques de la place, je n’ai pu trouver aucun compte au nom de la s. à r.l. … au moment de sa mise en faillite ”. Il rappelle encore que le fait pour Monsieur GHAVAMI de s’être servi d’une personne interposée serait interdit par l’article 5 de la loi d’établissement et entraînerait la perte de l’honorabilité professionnelle et signale que le “ prétendu séjour forcé ” en Iran de Monsieur GHAVAMI serait intervenu en 1993, au moment où les dettes se seraient accumulées et où les conséquences de ses agissements seraient devenues inéluctables.

Il est constant à travers les pièces versées au dossier que Monsieur GHAVAMI était détenteur d’une autorisation d’établissement pour l’exercice de l’activité d’architecte indépendant lui délivrée en date du 15 mars 1989. Il se dégage encore des explications fournies par le demandeur à travers la requête introductive d’instance que depuis la fin du mois de mars 1993 jusqu’en 1997, soit pendant approximativement quatre années, il n’a pas séjourné au Grand-Duché de Luxembourg pour avoir été d’abord emprisonné en Iran et ensuite, après sa libération, avoir exercé son activité d’ingénieur architecte au sud de l’Iran.

Il y a dès lors lieu d’admettre à partir des faits ainsi avancés en cause que Monsieur GHAVAMI n’a pas utilisé son autorisation d’établissement au Luxembourg pendant la période où selon ses propres indications et de façon ininterrompue, il n’était pas au pays, de sorte que, conformément aux dispositions de l’article 2, alinéa 5 de la loi d’établissement, qui dispose que “ l’autorisation perd sa validité par le défaut d’utilisation pendant plus de deux ans à partir de la date d’octroi, ou, en cas d’établissement, par la cessation volontaire d’activité pendant le même délai ”, son autorisation d’établissement référencée sous le numéro 58580 et délivrée en date du 15 mars 1989 avait perdu sa validité au moment où il en a sollicité le renouvellement par courrier datant du 12 avril 1999.

3 Il s’ensuit que la demande de renouvellement présentée par le demandeur le 12 avril 1999 s’analyse en réalité en une demande tendant à l’obtention d’une nouvelle autorisation d’établissement.

En vertu des dispositions de l’alinéa 1er de l’article 3 de la loi d’établissement “ l’autorisation ne peut être accordée à une personne physique que si celle-ci présente les garanties nécessaires d’honorabilité et de qualification professionnelles ”. Au vœu de l’alinéa final du même article 3 “ l’honorabilité s’apprécie sur base des antécédents judiciaires du postulant et de tous les éléments fournis par l’enquête administrative ”. Ainsi, toutes les circonstances révélées par l’enquête administrative et pouvant avoir une incidence sur la manière de l’exercice de la profession faisant l’objet de la demande d’autorisation, peuvent être prises en compte par le ministre pour apprécier l’honorabilité dans le chef du demandeur de l’autorisation.

Si le seul fait d’avoir été impliqué dans une faillite n’entraîne pas nécessairement et péremptoirement le défaut d’honorabilité professionnelle dans le chef de la personne concernée, toujours est-il que des faits permettant de conclure dans le chef du gérant d’une société à l’existence d’actes personnels portant atteinte à l’honorabilité professionnelle, constituent des indices suffisants pour refuser l’autorisation sollicitée (cf. trib. adm. 5 mars 1997, n° 9196 du rôle, Megamobil, Pas. adm. 1/2000, V° Autorisations d’établissement, III.

Honorabilité professionnelle, n° 43 et autres références y citées).

En l’espèce, la décision déférée est motivée par la considération que Monsieur GHAVAMI ne possède plus l’honorabilité professionnelle requise pour exercer la fonction d’architecte indépendant à la suite de son implication en tant que gérant dans la faillite de la société …, ainsi qu’à la suite de sa faillite en nom personnel.

Dans le cadre d’un recours en annulation, le juge administratif est amené à vérifier si les faits à la base de la décision administrative déférée sont établis et si la mesure prise est proportionnée par rapport aux faits établis (cf. trib. adm. 7 décembre 1998, Salihovic, n°10807 du rôle, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en annulation, II. Pouvoirs du juge, n° 10, ainsi que les autres références y citées).

En l’espèce, le délégué du Gouvernement a relevé, en se référant à cet égard au rapport du curateur de la faillite … datant du 27 juillet 1999, que “ les gérants administratif et technique se sont totalement désintéressés de l’affaire et ont abandonné le terrain ”, que “ le seul acte signé par le gérant technique est l’acte de constitution de la société de 1984 ” et qu’“ à part cela il semble qu’il n’a joué aucun rôle actif dans cette société ”. Il se dégage encore du même rapport “ qu’aucune collaboration du gérant technique dans le cadre des opérations de liquidation de la faillite n’a été assurée ”.

Force est de constater que cette absence de collaboration ne se trouve contredite par aucun élément du dossier et que les explications fournies relativement au séjour forcé de Monsieur GHAVAMI en Iran ont trait à une période ultérieure seulement, la faillite de la société …, prononcée le 22 décembre 1989, ayant été clôturée en 1992 déjà.

Or, indépendamment du fait mis en évidence par le demandeur qu’à ses côtés en qualité de gérant technique, une autre personne assurait la gérance administrative de la société, il 4 incombe à un gérant de société, fût-il technique ou administratif, de collaborer au mieux de ses compétences respectives à l’administration de la faillite de la société.

Relativement à la faillite de Monsieur GHAVAMI en nom personnel prononcée en date du 22 avril 1994, il y a lieu de relever à partir du rapport du curateur datant du 21 juin 1999 que le passif renseigne des dettes envers notamment l’administration de l’Enregistrement et des Domaines de l’ordre de 1.737.004.- francs, l’administration des Contributions directes de l’ordre de 795.552.- francs, le centre commun de la sécurité sociale de l’ordre respectivement de 296.870.- et 255.970.- francs, ainsi que des salaires impayés s’élevant à 262.268.- francs.

Il est constant que les chiffres ainsi avancés et non autrement contestés en cause dépassent largement le seul actif disponible, de même que l’affirmation du curateur qu’aucune comptabilité n’a pu être trouvée et se trouve contredite par les éléments du dossier.

En effet, le caractère forcé du séjour de Monsieur GHAVAMI en Iran, qui en l’état actuel du dossier constitue par ailleurs une simple affirmation non autrement documentée, n’est de nature à justifier ni l’importance des dettes accumulées avant son départ au mois de mars 1993, ni encore son inaction relativement aux opérations de la faillite depuis 1997, soit après la libération de prison alléguée. Aussi l’argument avancé par le demandeur relativement à une impossibilité de prononcer une faillite en nom personnel dans son chef touche directement au droit de la faillite et est étranger en tant que tel au présent litige, le ministre s’étant limité à relever certains faits révélés par l’enquête administrative pour motiver sa propre décision sans pour autant tirer directement une conséquence de la mise en faillite même.

L’absence de collaboration évoquée par les curateurs des deux faillites en question, ensemble l’importance des dettes respectivement accumulées et l’abstention de faire en temps voulu l’aveu de la faillite, sont en l’espèce des éléments suffisants pour porter atteinte à l’honorabilité professionnelle de Monsieur GHAVAMI.

La finalité de la procédure d’autorisation préalable ainsi que la possibilité de refuser l’autorisation pour défaut d’honorabilité professionnelle suffisante consistant à assurer la sécurité de la profession concernée et tendant à éviter l’échec de futures activités, cette conclusion ne saurait être contredite ni par la considération, étrangère au présent litige, que Monsieur GHAVAMI n’aurait pas pu être déclaré personnellement en faillite faute de revêtir la qualité de commerçant, ni encore par le fait avancé qu’il aurait à un moment donné été dans l’impossibilité de s’intéresser concrètement à ses affaires, ou encore par la considération que la décision déférée lui enlèverait son “ gagne pain ”, étant entendu que la possibilité pour le demandeur de travailler en tant que salarié dans sa profession reste intacte.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le ministre a valablement pu fonder la décision déférée à travers le défaut d’honorabilité professionnelle retenu, en se basant sur les implications de Monsieur GHAVAMI dans la faillite de la société … dont il était le gérant technique, ainsi que sur ses agissements ayant mené à sa faillite en nom personnel.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement;

5 se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation;

reçoit le recours en annulation en la forme;

au fond le dit non justifié et en déboute;

laisse les frais à charge du demandeur.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 25 octobre 2000 par:

M. Delaporte, premier vice-président Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Delaporte 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 11826
Date de la décision : 25/10/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-10-25;11826 ?

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