La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

18/10/2000 | LUXEMBOURG | N°11779

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 18 octobre 2000, 11779


N° 11779 du rôle Inscrit le 14 janvier 2000 Audience publique du 18 octobre 2000

=============================

Recours formé par les époux … FRIEDEN et …, contre un bulletin de l’impôt sur le revenu en matière d’impôt sur le revenu

--------------------------------------------------------------------------------------------------------

Vu la requête inscrite sous le numéro 11779 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 14 janvier 2000 par Maître Fernand ENTRINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des a

vocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … FRIEDEN, …, et de son épouse, Madame …, demeurant ens...

N° 11779 du rôle Inscrit le 14 janvier 2000 Audience publique du 18 octobre 2000

=============================

Recours formé par les époux … FRIEDEN et …, contre un bulletin de l’impôt sur le revenu en matière d’impôt sur le revenu

--------------------------------------------------------------------------------------------------------

Vu la requête inscrite sous le numéro 11779 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 14 janvier 2000 par Maître Fernand ENTRINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … FRIEDEN, …, et de son épouse, Madame …, demeurant ensemble à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une prétendue décision implicite de rejet du directeur de l’administration des Contributions directes par laquelle celui-ci n’aurait pas fait droit à une réclamation lui adressée en date du 14 juin 1996, dirigée contre un bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 1993, émis à leur encontre en date du 14 mars 1996 par le bureau d’imposition Luxembourg 1 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 7 avril 2000 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 2 mai 2000 par Maître Fernand ENTRINGER pour compte des demandeurs ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le bulletin critiqué ;

Ouï le juge rapporteur en son rapport et Maître Fernand ENTRINGER, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Marie KLEIN en leurs plaidoiries respectives.

--------------------------------------------------------------------------------------------------------

Le 14 mars 1996, le bureau d’imposition Luxembourg 1 de la section des personnes physiques de l’administration des Contributions directes a émit à l’encontre des époux … FRIEDEN, …, et …, demeurant ensemble à L-…, un bulletin de l’impôt sur le revenu des personnes physiques relatif à l’année 1993.

A l’encontre de ce bulletin, les époux FRIEDEN-…, par le biais de leur mandataire, introduisirent, par lettre datant du 14 juin 1996, une réclamation auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après dénommé “ le directeur ”, en soutenant que « l’administration a imposé erronément un montant de neuf millions comme revenus de capitaux mobiliers en refusant au contribuable le bénéfice de la loi du 27 avril 1984 (dite loi Rau) [au motif que] les titres ne faisaient plus partie du patrimoine privé du contribuable au 31.12.1993 », alors qu’au contraire, ces titres auraient fait partie de leur patrimoine privé pour avoir été vendu seulement avec effet au 1er février 1994. Ils contestent encore le fait que la transformation d’une société à responsabilité limitée en société anonyme pourrait être considérée comme une vente de titres.

En l’absence d’une décision directoriale, les époux FRIEDEN-… firent introduire le 14 janvier 2000 une requête tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une prétendue décision implicite de rejet du directeur qui serait intervenue à la suite de la susdite réclamation du 14 juin 1996.

Le délégué du gouvernement soulève l’irrecevabilité du recours dans la mesure où il est dirigé contre une telle décision, étant donné que le tribunal administratif ne saurait être saisi après une « réclamation au sens de §228 AO, que d’un recours contre une décision expresse du directeur ou, lorsque le directeur n’a pas vidé la réclamation dans les six mois, d’un recours contre le bulletin d’impôt ».

L’article 8 (3) 3 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif n’admet l’introduction d’un recours devant le tribunal administratif, en cas de silence du directeur suite à une réclamation, que contre « la décision qui fait l’objet de la réclamation », en l’espèce le bulletin d’impôt précité du 14 mars 1996, et non pas contre une décision implicite de rejet du directeur (cf. doc. parl.

3940A2, amendements adoptés par la commission des institutions et de la révision constitutionnelle, p. 5, ad. (3) 3. : «Par opposition au domaine administratif, le silence de l’administration n’est pas à considérer comme le rejet de la demande. .. Il en résulte également que dans ce cas le recours est dirigé, non pas contre une décision implicite de rejet mais contre la déclaration initiale contre laquelle la réclamation avait été interjetée »). Néanmoins, le recours sous discussion, visant concrètement le bulletin d’impôt en cause, versé comme pièce par les demandeurs, doit être considéré comme étant dirigé directement contre ce même bulletin d’impôt (trib. adm. 25 novembre 1998, n°s 10308 à 10311 du rôle, Pas. adm. 1/2000, V° Impôts, VII Procédure contentieuse, n° 196, p. 219 et autre référence y citée).

Au vœu des dispositions combinées des articles 8 (3) de la loi précitée du 7 novembre 1996 et des paragraphes 228 et 235 de la loi générale des impôts, ci-après dénommée « AO », le tribunal administratif est compétent pour statuer comme juge du fond sur les recours contre des bulletins de l’impôt sur le revenu en cas de silence du directeur suite à une réclamation dûment introduite par le contribuable. Partant le tribunal a compétence pour connaître du recours en réformation dirigé contre le bulletin déféré de l’impôt sur le revenu de l’année 1993. Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est par contre irrecevable.

Le délégué du gouvernement conteste l’intérêt à agir dans le chef de Madame … en soutenant que le bulletin serait certes adressé aux époux FRIEDEN-…, mais il n’aurait été notifié qu’en un exemplaire unique avec mention du seul numéro fiscal de l’époux de la demanderesse, alors que l’épouse constituerait, à l’instar du mari, un contribuable qui devrait également recevoir notification d’un exemplaire du bulletin d’impôt indépendamment de la question si elle est imposée ensemble avec son époux ou non. A 2 défaut d’une notification conforme aux exigences du paragraphe 91 AO, le représentant étatique conclut que le bulletin d’impôt ne serait pas opposable à la demanderesse, laquelle ne serait partant pas affectée dans ses droits par son effet.

Le cercle de personnes admises à exercer une voie de recours contre un bulletin de l'impôt sur le revenu est circonscrit en l’espèce par les paragraphes 238 et 232 AO.

Dans la mesure où conformément au paragraphe 238 AO qui dispose que « befugt, ein Rechtsmittel einzulegen, ist der, gegen den der Bescheid oder die Verfügung ergangen ist », le destinataire d’un bulletin effectivement émis a qualité pour introduire un recours à son encontre, il s’ensuit en l’espèce que la demanderesse est à considérer comme destinataire du bulletin déféré du 14 mars 1996 la soumettant à l’imposition collective avec son mari du chef de ses revenus indigènes.

L’intérêt à agir est conditionné par les dispositions du paragraphe 232 AO au prescrit duquel « einen Steuerbescheid kann der Steuerpflichtige nur deshalb anfechten, weil er sich durch die Höhe der festgesetzten Steuer oder dadurch beschwert fühlt, dass die Steuerpflicht bejaht worden ist ». La demanderesse peut affirmer en l’espèce qu’elle se sent lésée, nonobstant l’existence alléguée d’une irrégularité au niveau de la notification, par une décision d’imposition lui parvenue de la part du bureau d'imposition compétent sous forme du bulletin déféré du 14 mars 1996 et fixant à son encontre pour l’année d’imposition 1993 une cote d’impôt dont elle est redevable solidaire ensemble avec son mari. Une irrégularité, voire un défaut de notification valable d’un bulletin d’impôt, outre l’incidence éventuelle sur la recevabilité ratione temporis d’un recours dirigé à son encontre, reste en effet sans incidence sur la question de l’intérêt à agir en la matière du destinataire du bulletin, cet intérêt étant conditionné par les dispositions du paragraphe 232 AO et le contribuable étant admis comme se sentant lésé (« sich beschwert fühlt ») par l’imposition nonobstant l’existence d’une irrégularité au niveau de la notification.

Il s’ensuit que la demanderesse répond à l’ensemble des exigences légales pour pouvoir entamer contre le prédit bulletin d’impôt les voies de recours lui ouvertes par la loi et doit être admise à soumettre au tribunal administratif ses moyens tendant à contester le principe de sa soumission à l'impôt sur le revenu ou la cote de cet impôt fixée à son égard.

Conformément à l’organisation juridictionnelle luxembourgeoise, le tribunal administratif est en effet compétent pour connaître des questions relatives au principe d’imposition et à la cote d’impôt, mais n’est pas le juge des contestations relatives au recouvrement de l’impôt sur le revenu, de sorte qu’il n’est en principe pas appelé à se prononcer sur le caractère valable ou non de la notification à la base de la mise à exécution d’un bulletin d’imposition, sous peine d’empiéter sur une compétence du juge judiciaire et d’être à l’origine, le cas échéant, de décisions juridictionnelles contradictoires.

D’un autre côté, le juge judiciaire n’est pas compétent pour toiser les questions relatives au principe d'imposition et à la cote d'impôt, de sorte que le refus du juge administratif de connaître de celles-ci au motif d’une notification non conforme à la loi, d’un bulletin d’imposition ayant été émis, risquerait de priver, le cas échéant, le 3 contribuable d’un recours effectif contre une décision d’imposition lui faisant grief par ailleurs au sens du paragraphe 232 AO. (trib. adm. 19 juillet 2000, FEIS-BESCH, n° 11746 du rôle, non encore publié).

Il s’ensuit que le recours est recevable pour avoir été par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi et notamment après l’expiration du délai de six mois prévu par l’article 8 (3) 3. de la loi précitée du 7 novembre 1996.

Les demandeurs soulèvent en premier lieu que le bureau d’imposition aurait violé le § 205 alinéa 3 AO en ce qu’ils n’auraient pas été préalablement mis en mesure de faire valoir leur point de vue à l’occasion d’une augmentation d’office du revenu imposable.

Les questions de procédure étant à analyser avant les questions ayant trait au fond, le tribunal est amené à examiner d’abord le moyen invoqué par les demandeurs quant à une prétendue violation du paragraphe 205, alinéa 3 AO.

Le paragraphe 205, alinéa 3 AO dispose que : “ Wenn von der Steuererklärung abgewichen werden soll, sind dem Steuerpflichtigen die Punkte, in denen eine wesentliche Abweichung zu seinen Ungunsten in Frage kommt, zur vorherigen Äusserung mitzuteilen ”.

Cette disposition met en substance à charge du bureau d’imposition, préalablement à l’émission du bulletin d’impôt, une obligation positive de communication des éléments au sujet desquels il décide de ne pas s’en tenir à la déclaration du contribuable, pour autant que ces éléments représentent une “ wesentliche Abweichung ” en défaveur du contribuable par rapport à sa déclaration.

Le paragraphe 205 alinéa 3 AO constitue une application du principe général du droit pour le contribuable d’être entendu par le bureau d’imposition (“ Anspruch auf Gehör ”), tel qu’il résulte du paragraphe 204, alinéa 1er AO. L’application de ce principe général a pour conséquence que sans une consultation appropriée du contribuable, il n’est pas possible d’asseoir correctement l’obligation fiscale du contribuable compte tenu de sa situation patrimoniale.

A cet effet le contribuable est appelé d’abord à indiquer les éléments et données qui lui sont demandés dans le cadre de la déclaration d’impôt, ainsi que, par ailleurs, dans le cadre de son devoir de collaboration, tel que défini au paragraphe 171 AO, les informations lui réclamées en vue d’établir les bases d’imposition.

Cette obligation de collaboration du contribuable dans le cadre de l’établissement des bases d’imposition de son revenu a comme corollaire son droit d’être entendu avant la prise d’une décision administrative lui fixant une obligation patrimoniale plus lourde que celle par lui escomptée à travers sa déclaration, lorsque cette “ wesentliche Abweichung ” en sa défaveur provient d’une divergence au sujet des informations et documents par lui communiqués au bureau d’imposition à travers sa déclaration d’impôt ou encore dans le cadre de son devoir de collaboration, suite à une demande afférente du bureau d’imposition.

En l’espèce, le bureau d’imposition a refusé d’appliquer la loi du 27 avril 1984 4 visant à favoriser les investissements productifs des entreprises et la création d’emplois au moyen de la promotion de l’épargne mobilier, dite « loi Rau », et a imposé les demandeurs du chef de revenus nets provenant de capitaux mobiliers sur un montant de …- francs, au motif que « les titres ne faisaient plus partie du patrimoine privé du contribuable au 31.12.1993 ». A ce titre, il y a lieu de retenir que les demandeurs avaient indiqué dans leur déclaration d’impôt sur le revenu pour l’année 1993, la somme de …-

francs qui correspondait à des intérêts créditeurs encaissés au cours de l’exercice. Ils avaient par ailleurs demandé la restitution (par voie d’imputation) de la retenue d’impôt sur les dividendes de titres acquis dans les conditions de la loi Rau d’un montant de …-

francs. Il s’agissait de la retenue d’impôt sur des dividendes encaissés en 1993 et provenant de la distribution de dividendes d’un montant de …- pour l’exercice 1991 et d’un montant de …- pour l’exercice 1992.

La divergence mise en avant par les demandeurs, tant à travers leur réclamation qu’à travers le recours contentieux sous analyse, provient du fait que le bureau d’imposition a considéré que les titres sous discussion « ne faisaient plus partie du patrimoine privé du contribuable au 31.12.1993 » et le bureau a dès lors procédé à une réintégration des dividendes se chiffrant à la somme de …- francs comme revenus de capitaux mobiliers dans le revenu imposable des demandeurs au cours de l’année 1993, s’écartant ainsi substantiellement de la déclaration d’impôt sur le revenu présentée pour l’année concernée, en omettant d’en informer les demandeurs, préalablement à l’émission du bulletin d’impôt critiqué. Il s’agit en l’espèce d’une interprétation divergente de la situation de fait à la base de l’imposition litigieuse et en omettant d’en informer les demandeurs, le bureau les a mis dans l’impossibilité de présenter leurs observations et explications quant aux circonstances de fait justifiant le cas échéant, leur qualité de propriétaires des titres litigieux à la date du 31 décembre 1993.

Le tribunal administratif peut, dans le cadre d’un recours en réformation, se limiter à prononcer l’annulation du bulletin entrepris au cas où, comme en l’espèce, une formalité substantielle n’a pas été respectée lors de l’instruction du dossier par le bureau d’imposition. Il s’ensuit que le bulletin critiqué, émis le 14 mars 1996, encourt l’annulation, l’analyse des autres moyens invoqués devenant par ailleurs superflue.

Par ces motifs le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond le déclare partiellement justifié ;

annule le bulletin de l'impôt sur le revenu de l’année 1993 émis le 14 mars 1996 à charge des demandeurs ;

renvoie l’affaire devant le directeur de l’administration des Contributions directes pour prosécution ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

5 condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 18 octobre 2000 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 11779
Date de la décision : 18/10/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-10-18;11779 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award