N° 11709 du rôle Inscrit le 9 décembre 1999 Audience publique du 12 octobre 2000
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Recours formé par Monsieur … THOMAS contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière de remise d’impôts
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Vu la requête, inscrite sous le numéro 11709 du rôle, déposée le 9 décembre 1999 au greffe du tribunal administratif par Monsieur … THOMAS, demeurant à F-…, ayant élu domicile auprès de Madame …, demeurant à L-…, conformément à l’article 57 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, comprenant un recours dirigé contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 30 novembre 1999, par laquelle la demande en remise gracieuse introduite par Monsieur THOMAS auprès dudit directeur en date du 24 mars 1999 a été rejetée ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 mars 2000 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Monsieur … THOMAS en ses explications et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Marie KLEIN en ses plaidoiries.
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Il ressort d’une lettre adressée en date du 6 octobre 1998 à l’administration des Contributions directes par Monsieur … THOMAS, demeurant à F-…, ainsi que des renseignements fournis dans sa requête introductive d’instance qu’à la suite de la suppression de la pension d’invalidité qui lui avait été accordée antérieurement par la caisse de pension des employés privés et d’un recours subséquent introduit devant le conseil arbitral des assurances sociales en vue d’obtenir le maintien du paiement de ladite pension, les arriérés de pension lui ont été versés en avril 1998, à la suite d’un jugement rendu par le conseil arbitral des assurances sociales, avec une retenue à la source de …-
francs calculés sur un montant de …- francs, servant de base à la retenue, au titre de la pension versée pour l’année 1997. Cette lettre contenait encore une demande tendant à voir “ récupérer les impôts trop payés pour l’année 1997 ”, au motif que Monsieur THOMAS aurait dû recourir “ à l’aide d’autrui ” en vue de financer les dépenses de la vie quotidienne, à défaut d’avoir bénéficié, au cours de l’année 1997, du paiement de sa pension d’invalidité. L’affirmation suivant laquelle Monsieur THOMAS n’a obtenu aucun versement au titre de sa pension d’invalidité au cours de l’année 1997 est encore confirmée par un certificat délivré en date du 14 septembre 1998 par la caisse de pension des employés privés.
Il ressort encore d’un certificat de pension et de retenue d’impôt, du 19 janvier 1999, établi par la caisse de pension des employés privés au titre de l’année 1998, que Monsieur THOMAS a bénéficié d’un rappel de pension d’années écoulées qui s’élève à la somme de …- francs au titre de l’année 1997, dont 876.723.- francs servent de base à la retenue d’impôts qui s’élèvent à la somme de …- francs.
Par un courrier daté du 22 mars 1999, réceptionné par la direction de l’administration des Contributions directes en date du 24 mars 1999, Monsieur THOMAS introduisit une demande en vue de l’obtention d’une remise d’impôts par voie gracieuse auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, dénommé ci-après le “ directeur ”. Cette demande portait sur la somme de …- francs retenus au titre des impôts dus quant à la pension d’invalidité due pour l’année 1997, versée en tant que rappel de pension d’années écoulées en avril 1998. Dans cette lettre, il estima plus particulièrement que le paiement de ces arrérages de pension ne serait pas à considérer comme constituant un revenu extraordinaire et que partant il n’y aurait pas lieu d’y “ appliquer un taux d’imposition plus élevé ”, en faisant ressortir, à titre de comparaison, que pour l’année 1998, seul un montant de …- francs a été retenu sur sa pension d’invalidité pour un montant de …- francs servant de base à la retenue d’impôts. Pour justifier ladite demande de remise d’impôts par voie gracieuse, Monsieur THOMAS invoqua les difficultés auxquelles son ménage a dû faire face au cours de l’année 1997 et au début de l’année 1998 dans la mesure où, en l’absence des paiements mensuels de sa pension d’invalidité, son ménage a dû contracter des prêts et recourir à l’aide d’autrui en vue d’assurer le paiement des dépenses liées à la vie quotidienne.
Par sa décision du 30 novembre 1999, le directeur rejeta la demande en vue de l’obtention d’une remise d’impôts par voie gracieuse, après avoir constaté que “ la retenue d’impôts a été fixée suivant les dispositions de la loi de l’impôt sur le revenu, à savoir l’article 108, alinéa 1 et l’article 132 alinéa 1 n° 3 ”, au motif, d’une part, que “ sur le plan objectif de la détermination du revenu, il ne saurait être question d’iniquité en ce qui est de l’impôt dû conformément aux dispositions légales ; que des circonstances particulières pouvant faire conclure à une rigueur objective inhérente à des dispositions légales inadaptées dans le cas d’espèce ne sont pas données ; qu’il ne convient pas de déjouer en l’occurrence la volonté expresse du législateur ; ”, et, d’autre part, qu’“ une rigueur subjective incompatible avec le principe d’équité au sens du paragraphe 131 AO ne saurait se dégager par le motif invoqué ”.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 9 décembre 1999, Monsieur THOMAS a fait introduire un recours dirigé contre la décision précitée du directeur du 30 novembre 1999. En l’absence d’indication plus précise quant au type de recours que le demandeur entendait introduire, il y a lieu d’admettre qu’il entendait introduire le recours tel que prévu par la loi. (trib. adm. 18 janvier 1999, n° 10760, Pas.
adm. 1/2000, V° Impôts, VII. Procédure contentieuse, n° 187, p. 217 et autre référence y citée).
2 Le paragraphe 131 de la loi générale sur les impôts, dite “ Abgabenordnung ”, ci-
après désignée par “ AO ”, tel que remplacé par l’article 97, alinéa 3 numéro 3 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, prévoit un recours de pleine juridiction en la matière. Partant seul un recours en réformation a pu être introduit par le demandeur. Ledit recours en réformation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit suivant les formes et délai prévus par la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur estime que le paiement tardif de sa pension d’invalidité au titre de l’année 1997, intervenu seulement après un jugement du conseil arbitral des assurances sociales, l’aurait mis dans une situation financière difficile en ce qu’il aurait été privé de revenus pendant 15 mois pendant lesquels il aurait néanmoins dû faire face aux dépenses “ inhérentes à la vie commune ”, et qu’il aurait dû contracter à cet effet un emprunt “ pour vivre et payer les différentes taxes et factures ”. Il aurait ainsi été “ pénalisé par ce retard intentionnel de la CPEP ” et demande en conséquence à la juridiction administrative “ d’examiner [sa] demande de recours en vue de la récupération entière ou partielle de cet impôt indûment perçu et qui [lui] porte grand préjudice ”.
Le délégué du gouvernement estime que la règle comprise à l’article 131, paragraphe (1) litt.b de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, en abrégé “ LIR ”, ne devrait pas faire obstacle à ce que, dans des cas individuels, l’équité devrait pouvoir corriger la raideur de la règle abstraite, tout en ne rompant pas l’égalité devant l’impôt, en assurant une imposition selon les facultés, telle qu’instituée par le législateur.
En ce qui concerne la rigueur subjective, le représentant étatique soutient qu’il incomberait au demandeur d’alléguer des faits et de les établir suffisamment pour qu’une remise ou restitution en équité paraisse justifiée pour le principe et pour le montant. Il appartiendrait ainsi au demandeur de documenter au tribunal administratif sa situation économique depuis le versement du rappel de pension jusqu’au jour où l’affaire a été plaidée, étant entendu que la retenue d’impôt opérée en 1998 n’aurait pu constituer une rigueur subjective en 1997.
Au vu du paragraphe 131 AO précité, une remise gracieuse se conçoit “ dans la mesure où la perception d’un impôt dont la légalité n’est pas contestée entraînerait une rigueur incompatible avec l’équité, soit objectivement selon la matière, soit subjectivement dans la personne du contribuable ”.
Une remise gracieuse n’est envisageable que si, soit objectivement ratione materiae, soit subjectivement ratione personae dans le chef du contribuable concerné, la perception de l’impôt apparaît comme constituant une rigueur incompatible avec le principe d’équité (trib. adm. 5 mars 1997, n° 9220 du rôle, Pas. adm. 1/2000, V° Impôts, V. Remise gracieuse, n° 113, p. 202 et autres références y citées). Dans ce cas, la décision sur l’existence d’une rigueur objective doit tendre à aboutir à la solution que le législateur aurait prise s’il avait eu à réglementer la situation sous examen. Il n’en demeure pas moins qu’une demande de remise gracieuse s’analyse également et exclusivement en une pétition du contribuable d’être libéré, sur base de considérations tirées de l’équité, de l’obligation de régler une certaine dette fiscale et ne comporte ainsi aucune contestation de la légalité de la fixation de cette même dette (trib. adm. 21 juillet 1999, n° 11180 du rôle, Pas. adm.
1/2000, V° Impôts, V. Remise gracieuse, n° 113 et autre référence y citée).
3 En l’espèce, le demandeur ne met pas en doute la légalité de l’imposition intervenue à son encontre mais il se plaint de ce que, du fait du paiement tardif, et injustifié, de la part de la caisse de pension des employés privés, de sa pension d’invalidité qui lui a été due au titre de l’année 1997, il a subi une retenue à la source, au titre du paiement de ladite pension d’invalidité, s’élevant à un montant beaucoup plus élevé que celui qu’il aurait normalement dû payer au cas où sa pension d’invalidité lui aurait été payée mensuellement, au cours de l’année 1997. Dans ce contexte, il attire l’attention du tribunal au fait que, à titre de comparaison, un montant de …- francs a été retenu d’un montant de …- francs servant de base à la retenue d’impôt, au titre des impôts pour l’année 1997, alors que pour l’année 1998, et pour un revenu servant de base à la retenue d’impôts de …- francs, seul un montant de …- francs a été retenu au titre des impôts sur le revenu. Il s’estime partant pénalisé du fait de ce paiement tardif de sa pension d’invalidité et souhaite obtenir “ la récupération entière ou partielle de cet impôt indûment perçu ”.
La voie gracieuse a pour objet d’assurer l’égalité des citoyens devant l’impôt selon l’article 101 de la Constitution (trib. adm. 12 janvier 1999, n° 10802 du rôle, Pas. adm.
1/2000, V° Impôts, V. Remise gracieuse, n° 112, p. 202 et autre référence y citée).
En l’espèce, l’application de la législation fiscale conduit à un résultat contraire à l’intention du législateur, suivant laquelle les contribuables doivent être imposés d’une manière identique au cas où ils se trouvent dans des situations identiques, assurant ainsi l’égalité des citoyens devant la loi fiscale, et constitue partant une rigueur objective, en ce que, du fait du versement tardif et non justifié, de la pension d’invalidité de Monsieur THOMAS due au titre de l’année 1997, celui-ci s’est vu imposer celle-ci au titre des revenus extraordinaires s’ajoutant aux revenus perçus au titre de l’année 1998, et ayant pour conséquence une retenue d’impôts sur lesdits arriérés d’un montant dépassant de loin celui qu’il aurait dû payer si la pension d’invalidité lui aurait été versée mensuellement, au cours de l’année 1997.
Il s’ensuit que Monsieur THOMAS est mis dans une situation dans laquelle il a dû payer un montant plus élevé au titre des impôts qu’un autre citoyen qui, pour un même revenu perçu au titre d’une pension d’invalidité, a encaissé celui-ci mensuellement au cours de l’année 1997. Il y a partant eu rupture, à son détriment, de l’égalité des citoyens devant l’impôt selon l’article 101 de la Constitution.
Sur base du principe qu’une remise gracieuse peut être soit partielle soit totale, il y a lieu d’accorder à Monsieur THOMAS une remise gracieuse des impôts retenus sur le rappel de pension au titre de l’année 1997 équivalente au montant excédant l’impôt qu’il aurait dû payer au cas où ladite pension d’invalidité lui aurait été payée mensuellement au cours de l’année 1997 en question.
Par ces motifs le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en la forme ;
4 au fond le déclare partiellement justifié ;
partant, par réformation de la décision directoriale du 30 novembre 1999, accorde à Monsieur … THOMAS une remise d’impôts par voie gracieuse au sujet des impôts retenus sur sa pension d’invalidité lui payée au titre de l’année 1997, équivalente au montant excédant l’impôt qui aurait dû lui être retenu si sa pension d’invalidité lui aurait été payée mensuellement au cours de l’année 1997 en question ;
renvoie le dossier pour prosécution de cause au directeur de l’administration des Contributions directes ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé par :
M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme. Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 12 octobre 2000 par le vice-président, en présence de M.
Legille, greffier.
s. Legille s. Schockweiler 5