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12/10/2000 | LUXEMBOURG | N°11604

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 octobre 2000, 11604


N° 11604 du rôle Inscrit le 26 octobre 1999 Audience publique du 12 octobre 2000

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Recours formé par Madame … KONEN, …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière de classe d’impôt

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Vu la requête inscrite sous le numéro 11604 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 octobre 1999 par Maître Nicolas DECKER, avocat à la Cour, inscrit au tabl

eau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … KONEN, épouse de Monsieur …, dem...

N° 11604 du rôle Inscrit le 26 octobre 1999 Audience publique du 12 octobre 2000

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Recours formé par Madame … KONEN, …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière de classe d’impôt

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Vu la requête inscrite sous le numéro 11604 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 octobre 1999 par Maître Nicolas DECKER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … KONEN, épouse de Monsieur …, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 26 juillet 1999, refusant de la ranger dans la classe d’impôt II pour les années 1994 à 1997 incluse ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 25 janvier 2000 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au nom de la demanderesse en date du 21 février 2000 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Emmanuelle VION, en remplacement de Maître Nicolas DECKER, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

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Madame … KONEN, …, de nationalité luxembourgeoise, réside depuis 1977 avec son époux, Monsieur …, de nationalité portugaise, à Luxembourg et ils demeurent actuellement à L-…, ensemble avec leurs deux enfants. Monsieur … bénéficie depuis le 19 septembre 1989 du statut diplomatique en qualité d’attaché social auprès de l’ambassade du Portugal.

En vertu des bulletins de l’impôt sur le revenu pour les années 1994 à 1997 incluse, Madame KONEN a été imposée, pour les années en question, sur base de la classe d’impôt 1a.2.

Par courriers datés du 7 février 1999, Madame KONEN introduisit une réclamation pour chaque année respective, devant le directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après dénommé « le directeur », contre les bulletins de l’impôt sur le revenu relatifs aux années 1994 à 1997 incluse, dans lesquels courriers elle a fait valoir les raisons pour lesquelles elle considère devoir bénéficier de la classe d’impôt II.

Suivant décision du 26 juillet 1999, portant les numéros C10288 à C10291 du rôle, le directeur rejeta ces réclamations comme non fondées, au motif que l’époux de Madame KONEN ne serait pas considéré comme étant un contribuable résident, de sorte qu’au titre de l’article 119 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, ci-après appelée « LIR », elle ne pourrait pas être rangée dans la classe d’impôt II.

Par requête déposée en date du 26 octobre 1999, Madame KONEN a introduit un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision directoriale précitée.

Au vœu des dispositions combinées de l’article 8 (3) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif et du paragraphe 228 de la loi générale des impôts, communément appelée « Abgabenordnung », ci-après dénommée « AO », le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation. Le recours ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. Le recours subsidiaire en annulation est en conséquence irrecevable.

La demanderesse reproche au directeur de ne pas reconnaître, dans la décision déférée, à son époux la qualité de résident fiscal au Luxembourg, nonobstant le fait que ce dernier aurait eu son séjour habituel au Luxembourg pendant les années litigieuses. Elle expose à ce titre qu’elle est de nationalité luxembourgeoise et qu’elle travaille en tant qu’enseignante au Luxembourg, qu’elle s’est mariée avec Monsieur …, de nationalité portugaise, et qu’ils habitent ensemble au Luxembourg depuis le 15 janvier 1977 et que son mari était considéré comme contribuable résident de 1977 jusqu’au 19 septembre 1989, date de son entrée en service en qualité d’attaché social auprès de l’ambassade du Portugal. Elle relève que son mari avait donc eu sa résidence au Luxembourg depuis plus de 10 ans avant qu’il ne bénéficie du statut diplomatique. Elle estime partant que les conditions d’application de l’article 3 LIR, à savoir être contribuable résident et ne pas vivre séparé en vertu d’une dispense de la loi, seraient remplies, de sorte qu’il y aurait lieu de l’imposer collectivement avec son mari, le bureau d’imposition devant prendre en considération la situation réelle du couple, sinon elle ferait l’objet d’une discrimination prohibée par la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés Européennes.

Elle soutient encore que contrairement à ce que le directeur a retenu dans sa décision déférée, l’article 34 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques du 18 avril 1961, approuvée par une loi du 17 juin 1966, consacrerait uniquement une « exemption restrictive d’impôt » pour les agents diplomatiques, exemption qui ne s’opposerait aucunement à l’application de l’article 119 LIR. Elle conclut qu’en tout état de cause, « l’octroi d’un avantage fiscal au profit de l’un des conjoints ne peut aboutir à une discrimination à l’encontre de l’autre conjoint ».

La demanderesse relève finalement que même si son époux devrait être considéré comme étant un contribuable non résident, il existerait quand même une « discrimination déguisée contraire à l’article 48 du traité [de l’Union Européenne] résultant de la différence de traitement que la législation luxembourgeoise réserve aux couples dont les deux conjoints résident dans le pays et à ceux dont l’un seulement des conjoints est résident ». Elle soutient également que si le bénéfice de l’imposition collective était subordonné à la condition que le conjoint soit également résident, ceci constituerait une discrimination déguisée fondée sur la nationalité.

Le délégué du gouvernement fait valoir que le recours ne serait pas fondé pour les motifs plus amplement développés dans la décision directoriale du 26 juillet 1999. Il estime 2 encore que la demanderesse ne saurait, d’une part, faire abstraction du statut diplomatique de son époux pour se voir accorder la classe d’impôt II au niveau de l'impôt sur le revenu et, d’autre part, invoquer le statut diplomatique de son époux, et partant la qualité de non résident, pour se voir accorder les avantages y attachés au niveau des impôts et taxes.

En l’espèce, il n’est pas contesté que depuis 1977, Madame KONEN vit au Luxembourg ensemble avec son époux et leurs deux enfants.

L’article 2 LIR détermine, dans son paragraphe (1), les conditions à remplir par une personne physique afin d’être considérée comme contribuable résident au Luxembourg au titre d’une année d’imposition considérée en ce sens que « sont considérés comme contribuables résidents ou comme contribuables non résidents, [les personnes physiques] suivant qu’elles ont ou qu’elles n’ont pas leur domicile fiscal ou leur séjour habituel au Grand-Duché », de sorte que les époux …-KONEN seraient en principe à considérer, au regard de la législation nationale applicable, comme des contribuables résidents susceptibles, par voie de conséquence, d’être rangés dans la classe d’imposition II.

Si les parties sont encore en accord pour admettre que Monsieur … bénéficie du statut d’agent diplomatique et qu’en vertu de l’article 34 de la Convention de Vienne précitée, il est exempt « de tous impôts et taxes, personnels ou réels, nationaux, régionaux ou communaux » au Luxembourg, leurs positions sont divergentes quant à l’interprétation à conférer à cette disposition d’ordre supranational en ce qui concerne la fixation du domicile fiscal.

La demanderesse fait valoir que l’article 34 de la Convention de Vienne prévoirait uniquement une exemption des impôts, mais ne dérogerait en aucun cas aux critères de résidence prévus par la législation nationale.

L’article 34 précité dispose que « l’agent diplomatique est exempt de tous impôts et taxes, personnels ou réels, nationaux, régionaux ou communaux à l’exception … ». Cet article, qui traduit un régime fiscal d’exception en faveur des agents diplomatiques, ne se prononce pas sur la question de la fixation du domicile fiscal des personnes concernées. Il est cependant admis que cette exemption dont bénéficie l’agent diplomatique dans l’Etat accréditaire prend sa source dans la courtoisie internationale qui est à l’origine du principe qu’en droit international public les agents diplomatiques des ambassades de l’Etat accréditant sont considérés comme « extraterritoriaux et ne sont partant pas des résidents de l’Etat accréditaire », comme l’a relevé le directeur dans la décision déférée. En effet, la Convention de Vienne a pour finalité de conférer à l’agent diplomatique un statut d’extraterritorialité en vertu duquel celui-ci échappe à l’autorité de l’Etat de résidence comme s’il se trouvait sur le territoire de l’Etat accréditant et il est, par conséquent, soustrait à l’autorité et à l’ordre juridique de l’Etat accréditaire. Le principe de l’extraterritorialité s’étend également à la souveraineté fiscale, entraînant comme conséquence que l’agent diplomatique ne peut pas être considéré comme un contribuable résident de l’Etat accréditaire.

En effet, la ratio legis de la Convention de Vienne est de soustraire les agents diplomatiques de l’emprise que l’Etat accréditaire pourrait avoir sur eux, de sorte que pour éviter de donner à l’Etat du lieu d’exercice des fonctions un moyen de pression, il y a lieu d’admettre que cet Etat, qui n’est pas en droit de les imposer, ne peut pas non plus être considéré comme étant l’Etat constitutif du domicile fiscal, avec toutes les obligations qui s’y rattachent.

Par ailleurs, en vertu de l’article 14 alinéa 2 de la loi d’adaptation fiscale du 16 octobre 1934, appelée Steueranpassungsgesetz, en abrégé « StAnpG », les membres du personnel 3 diplomatique des ambassades luxembourgeoises établies à l’étranger, en tant que fonctionnaires d’Etat exerçant leur activité à l’étranger sont à traiter en matière fiscale comme des contribuables résidant au Luxembourg (C.E., 23 juillet 1968, n°5795 du rôle). Par analogie, il y a lieu de retenir que les agents diplomatiques des ambassades étrangères, établies au Luxembourg, sont à considérer comme des non résidents sur le territoire du Grand-

Duché de Luxembourg, de sorte que la décision directoriale, qui retient que « la qualité de contribuable résident faisant défaut dans le chef de l’époux de la réclamante, la réclamante ne peut pas être rangée dans la classe d’impôt II au titre de l’article 119 LIR », est à confirmer sur ce point.

La demanderesse invoque en dernier lieu l’application du droit communautaire, en soutenant qu’il y aurait eu violation de l’article 48 du Traité de Rome, « résultant de la différence de traitement que la législation luxembourgeoise réserve aux couples dont les deux conjoints résident dans le pays et à ceux dont l’un seulement des conjoints est résident ».

En l’état actuel du droit communautaire, la matière des impôts directs ne relève pas en tant que telle du domaine de la compétence de la Communauté. Il n’en reste pas moins que les Etats membres doivent exercer leurs pouvoirs dans le respect du droit communautaire et que, s’agissant plus spécialement de la libre circulation des personnes à l’intérieur de la Communauté, l’article 48, paragraphe 2, du Traité implique l’abolition de toute discrimination fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des Etats membres, notamment en ce qui concerne la rémunération. A cet égard la Cour de Justice des Communautés européennes a dit pour droit, dans un arrêt du 8 mai 1990 (Biehl, C-175/88) que le principe d’égalité de traitement en matière de rémunération serait privé d’effet s’il pouvait y être porté atteinte par les dispositions nationales discriminatoires en matière d’impôt sur le revenu. C’est la raison pour laquelle le Conseil a prescrit, à l’article 7 de son règlement CEE 1612/68 du 15 octobre 1968 relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté, que les travailleurs ressortissants d’un Etat membre doivent bénéficier, sur le territoire d’un autre Etat membre, des mêmes avantages fiscaux que les travailleurs nationaux.

Abstraction faite de la question de savoir si la demanderesse remplit les conditions en vue de pouvoir bénéficier de l’application de l’article 48 du Traité, il y a lieu de retenir qu’en l’espèce les dispositions nationales critiquées par la demanderesse ne sont pas de nature à entraver la libre circulation de la demanderesse ni celle de son époux.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours laisse d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond le dit non justifié ;

partant en déboute ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

4 laisse les frais à charge de la demanderesse.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 12 octobre 2000 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 11604
Date de la décision : 12/10/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-10-12;11604 ?

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