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11/10/2000 | LUXEMBOURG | N°12026

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 11 octobre 2000, 12026


Numéro 12026 du rôle Inscrit le 29 mai 2000 Audience publique du 11 octobre 2000 Recours formé par Madame … KUCI et Monsieur … KUCI, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête, inscrite sous le numéro 12026 du rôle, déposée le 29 mai 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mada

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Numéro 12026 du rôle Inscrit le 29 mai 2000 Audience publique du 11 octobre 2000 Recours formé par Madame … KUCI et Monsieur … KUCI, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête, inscrite sous le numéro 12026 du rôle, déposée le 29 mai 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … KUCI, née le … à …, et de son frère, Monsieur … KUCI, né le … à …, les deux de nationalité yougoslave, demeurant tous les deux à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 3 mars 2000 et, pour autant que de besoin, d’une décision confirmative du 25 avril 2000 intervenue sur recours gracieux, les deux portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 juin 2000;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Louis TINTI et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 3 octobre 2000.

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Le 11 août 1998, Madame … KUCI, née le … à …, et son frère, Monsieur … KUCI, né le … à …, les deux de nationalité yougoslave, demeurant tous les deux actuellement à L-…, ci-après désignés par « les consorts KUCI », introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, les consorts KUCI furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur leur identité.

Les consorts KUCI furent entendus en date du 6 mai 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande.

Sur avis défavorable de la commission consultative pour les réfugiés du 12 janvier 2000, le ministre de la Justice informa les consorts KUCI, par lettre du 3 mars 2000, notifiée le 17 mars suivant, que leur demande avait été rejetée aux motifs suivants : « (…) Me ralliant à l’avis émis le 12 janvier 2000 par la Commission consultative pour les réfugiés à laquelle j’avais soumis votre demande et dont je joins une copie en annexe à la présente, je regrette de devoir vous informer que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande.

En effet, il ressort de votre dossier que vous n’invoquez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 12 de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

Un recours gracieux formé par le mandataire des consorts KUCI suivant courrier du 17 avril 2000 fut rencontré par une décision confirmative du ministre du 25 avril 2000.

A l’encontre de la première décision ministérielle de rejet du 3 mars 2000, ainsi que, pour autant que de besoin, contre la décision confirmative du 25 avril 2000, les consorts KUCI ont fait introduire un recours en réformation par requête déposée le 29 mai 2000.

L’article 13 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, dans sa teneur applicable au moment de la prise de la décision déférée, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asiles déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui doit être considéré comme étant dirigé contre l’ensemble formé par les deux décisions critiquées, à savoir la décision ministérielle initiale du 3 mars 2000 ainsi que la décision confirmative du 25 avril 2000, les deux formant un tout indissociable. Le recours en réformation est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Quant au fond les demandeurs estiment que les décisions critiquées reposeraient sur une appréciation erronée des faits en ce sens que ce serait à tort que le ministre aurait conclu qu’ils ne feraient pas état de persécutions vécues ou de craintes qui seraient telles que leur vie serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine. Ils exposent plus particulièrement que leur maison d’habitation serait située dans la zone de Pristina majoritairement occupée par les Serbes et qu’ils en auraient été chassés au petit matin du 9 juillet 1998 par des agents de la police serbe qui seraient entrés par la force pour leur enjoindre de quitter immédiatement leur demeure. Les faits ainsi exposés établiraient, d’après les demandeurs, qu’ils auraient quitté leur pays d’origine du fait de persécutions dont ils auraient fait l’objet, et plus particulièrement du fait de menaces pour leur vie ainsi que pour leur liberté qui auraient été 2 proférées à leur encontre par les autorités policières yougoslaves sinon par une partie du peuple yougoslave, à savoir les habitants serbes.

Les demandeurs font valoir à cet effet que la notion de crainte raisonnable au sens de la Convention de Genève serait basée sur une évaluation objective de la situation dans le pays d’origine du demandeur d’asile et qu’une telle crainte pourrait découler du manquement de l’Etat d’origine à remplir ses obligations de protection de ses citoyens résultant des engagements des Etats au titre de la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptées par l’assemblée générale des Nations Unies le 10 décembre 1948, la mise en cause de ces droits civils et politiques constituant une persécution au sens de la Convention de Genève. Les demandeurs estiment que leurs droits énumérés à la Déclaration universelle des droits de l’homme auraient été violés par l’Etat yougoslave, en ce que plus particulièrement ils auraient été contraints de quitter leur domicile sous la menace des autorités yougoslaves respectivement des forces de police locales et que leur maison serait actuellement occupée par des personnes parlant le serbo-croate. Ils soutiennent que ces faits seraient le produit d’une manœuvre absolument incompatible avec les droits les plus élémentaires attachés au respect de la personne humaine et s’inséreraient dans une stratégie d’épuration ethnique mise en œuvre par le régime yougoslave encore actuellement en cours dans leur région natale. Etant donné que leur maison serait située dans la zone de Pristina majoritairement habitée par des Serbes, les demandeurs sont d’avis qu’un retour dans leur maison serait d’une part matériellement impossible du fait de son occupation par des Serbes et mettrait d’autre part gravement en péril leur vie en raison du contexte particulièrement hostile dans lequel se situerait leur retour. Les demandeurs concluent à partir de la situation régnant dans leur région d’origine qu’ils ne pourraient ni revendiquer la protection des autorités yougoslaves, lesquelles seraient précisément à l’origine des actes ayant motivé leur départ, ni se prévaloir de la protection des forces onusiennes, lesquelles seraient difficilement en mesure d’assurer une protection individuelle suffisante aux musulmans résidant dans la zone majoritairement habitée par les Serbes. Les demandeurs contestent que le retour d’autres personnes au Kosovo permettrait de conclure qu’un retour de leur part serait possible sans danger. Ils concluent avoir fait valoir une crainte avec raison d’être persécutés dans leur pays d’origine qui subsisterait encore à l’heure actuelle, de sorte que la décision ministérielle critiquée devrait encourir la réformation.

Le délégué du Gouvernement rétorque que l’armée yougoslave aurait quitté le Kosovo et qu’une force internationale de paix y serait installée, de sorte qu’un risque de persécution par les autorités yougoslaves n’existerait plus à l’heure actuelle. Il fait valoir ensuite que les habitants serbes de Pristina ne sauraient être considérés comme des agents de persécution au sens de la Convention de Genève et qu’il ne serait pas établi que les forces onusiennes soient dans l’incapacité totale de protéger les demandeurs en cas d’un retour dans leur ville d’origine. Il avance en fin que les demandeurs n’apporteraient aucun élément concret permettant d’établir des raisons pour lesquelles ils ne seraient pas en mesure de s’installer soit dans un autre quartier de Pristina soit dans une autre partie du Kosovo et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne dans leur pays d’origine.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

3 La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs.

En l'espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions en date du 6 mai 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments et précisions apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir, à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à établir dans leur chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, en ce qui concerne la crainte de la police serbe invoquée par les demandeurs, force est de constater que les forces serbes ont quitté le Kosovo et qu’une force armée et une administration civile internationales sous l’égide des Nations Unies sont en place, de sorte qu’une crainte de persécutions de la part d’agents du pouvoir serbe ne saurait plus être légitimement admise à l’heure actuelle. Sous ce point de vue, les demandeurs restent encore en défaut de faire valoir d’autres circonstances pour lesquelles ils risqueraient de subir des persécutions de la part d’agents du pouvoir serbe en cas de retour dans leur pays d’origine.

Le risque de persécutions de la part de la majorité serbe de leur quartier d’origine de Pristina, dont se prévalent les demandeurs, revient en substance à faire valoir des persécutions de la part d’un groupe de la population à leur encontre et d’un défaut de protection de la part des autorités de leur pays d’origine face à ces actes de persécution.

Or, une persécution émanant non pas de l’Etat, mais de groupes de la population ne peut être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève. La notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée.

Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves CARLIER : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

4 En l’espèce, les demandeurs font état de leur crainte de voir la majorité ethnique de la partie visée de Pristina commettre des actes de violence à leur encontre, mais restent en défaut d’établir concrètement l’existence de persécutions systématiques à l’encontre de la minorité ethnique dont ils font partie et l’incapacité des forces onusiennes et de l’administration civile actuellement en place de leur assurer une protection adéquate en cas de retour.

Par ailleurs, même à admettre par hypothèse qu’un retour des demandeurs dans leur ville d’origine soit difficile à l’heure actuelle, force est encore de constater qu’ils n’apportent aucun élément concret permettant d’établir des raisons pour lesquelles ils ne seraient pas en mesure de s’installer soit dans un autre quartier de Pristina, soit dans une autre partie du Kosovo et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne dans leur pays d’origine, leur allégation générale et non circonstanciée relativement à l’impossibilité d’un retour au Kosovo sans danger pour leurs personnes n’étant pas de nature à faire infirmer l’appréciation opérée par le ministre à travers les décisions critiquées.

Il s’ensuit que le recours laisse d’être fondé et doit être rejeté.

PAR CES MOTIFS Le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, laisse les frais à charge des demandeurs.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 11 octobre 2000 par:

Mme LENERT, premier juge, Mme LAMESCH, juge, M. SCHROEDER, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef s. SCHMIT s. LENERT 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12026
Date de la décision : 11/10/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-10-11;12026 ?

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