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11/10/2000 | LUXEMBOURG | N°12014

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 11 octobre 2000, 12014


N° 12014 du rôle Inscrit le 19 mai 2000 Audience publique du 11 octobre 2000

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Recours formé par Monsieur … DACAJ et son épouse, Madame … et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12014 et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 mai 2000 par Maître Benoît ARNAUNE-GUILLOT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur

… DACAJ, né le … à … (Albanie), sans état particulier, de son épouse, Madame …, née le … à … (A...

N° 12014 du rôle Inscrit le 19 mai 2000 Audience publique du 11 octobre 2000

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Recours formé par Monsieur … DACAJ et son épouse, Madame … et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12014 et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 mai 2000 par Maître Benoît ARNAUNE-GUILLOT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … DACAJ, né le … à … (Albanie), sans état particulier, de son épouse, Madame …, née le … à … (Albanie), sans état particulier, et de leurs deux enfants mineurs …, né le…, et …, né le …, tous les quatre de nationalité albanaise, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 21 mars 2000, notifiée le 20 avril 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 31 mai 2000;

Vu le mémoire en réplique déposé le 30 juin 2000 au nom des demandeurs;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Benoît ARNAUNE-GUILLOT, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 19 octobre 1998, Monsieur … DACAJ, né le … à … (Albanie), sans état particulier, et son épouse, Madame …, née le … à … (Albanie), sans état particulier, agissant pour eux mêmes ainsi qu’en nom et pour compte de leurs deux enfants mineurs …, né le …, et …, né le 10 juillet 1995, tous les quatre de nationalité albanaise, demeurant actuellement ensemble à L-

…, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

1 Les époux DACAJ-… furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur DACAJ a encore été entendu en date des 11 et 12 août 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile. Son épouse fut entendu en date du 12 août 1999.

Le 23 février 2000, la commission consultative pour les réfugiés émit un avis défavorable.

Par décision du 21 mars 2000, notifiée le 20 avril 2000, le ministre de la Justice informa les époux DACAJ-… de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Me ralliant à l’avis émis le 23 février 2000 par la Commission consultative pour les réfugiés à laquelle j’avais soumis votre demande et dont je joins une copie en annexe à la présente, je regrette de devoir vous informer que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande.

En effet, il ressort de votre dossier que vous n’invoquez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie. (…) ».

Par requête déposée en date du 19 mai 2000, les époux DACAJ-…, agissant pour eux mêmes, ainsi qu’en nom et pour compte de leurs deux enfants Xhuljo et Xhojs, ont fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du ministre de la Justice du 21 mars 2000.

Etant donné que l’article 13 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, dans sa version applicable au moment de la prise de la décision déférée, prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation, formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est également recevable. - Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

Dans leur requête introductive d’instance, les demandeurs font exposer que leur demande d’asile repose « essentiellement sur le fait que les Epoux DACAJ-…, et Monsieur … DACAJ, en particulier, sont de sensibilité politique démocratique, qu’à ce titre, Monsieur DACAJ, sans être encarté et membre du Parti Démocratique, a été politiquement très actif et a participé à de nombreuses manifestations politiques, organisées par ce Parti, notamment depuis 1992 », que du fait de son opinion politique et de ses participations à des manifestations en vue de la démocratisation de son pays d’origine, la vie de Monsieur DACAJ et des membres 2 de sa famille serait en danger depuis le retour au pouvoir des « socialistes ». Ils font encore état de ce que leur fils aîné aurait failli être enlevé et qu’ils auraient été menacés. En outre, ils relèvent que la soeur de Monsieur DACAJ aurait été directrice de prison et que le mari de celle-ci « a travaillé auprès du Ministère de la Justice albanais quand le Parti Démocratique a accédé au pouvoir ». - Les demandeurs estiment qu’ils remplissent les conditions légales en vue de la reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève et que la décision ministérielle devrait être réformée en ce sens.

A l’appui de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ils soulèvent en outre la violation de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 5 novembre 1950, approuvée par une loi du 29 août 1953, dénommée ci-après « la Convention européenne des droits de l’homme ».

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des consorts DACAJ-… et que leur recours laisserait d’être fondé.

Dans leur mémoire en réplique, les demandeurs font soutenir que l’engagement politique de Monsieur DACAJ serait établi par les pièces communiquées avec ladite réplique, lesquelles documenteraient qu’il aurait été membre du Parti Démocratique du 13 mars 1992 au 10 avril 1995. Dans ce contexte, ils précisent que par la suite, Monsieur DACAJ aurait été simple membre et qu’il n’aurait jamais occupé un poste de responsabilité, ce pourquoi il aurait antérieurement affirmé qu’il n’aurait pas été membre dudit parti. Par ailleurs, les autres pièces documenteraient le rôle actif qu’il aurait joué auprès dudit parti, plus particulièrement « lors des élections, en surveillant les urnes et en représentant le Parti Démocratique dans les Commissions électorales ».

Dans ladite réplique, les demandeurs font encore état d’une arrestation de Monsieur DACAJ en date du 13 décembre 1990 et de ce qu’il aurait été « à l’initiative de l’ouverture des Eglises Catholiques du Pays, mouvement à l’origine de la liberté de religion en Albanie ».

Enfin, ils font état de risques émanant de leurs relations familiales, à savoir du fait que la soeur de Monsieur DACAJ aurait été « directrice des prisons de l’Albanie durant les années 1993 et 1994 » et de ce que le beau-frère aurait occupé un poste clé dans le gouvernement démocrate au pouvoir suite aux élections de 1991 et que, plus particulièrement, du fait qu’il aurait été ministre de la Justice de 1996 à 1997. Ils relèvent encore que le père de Monsieur DACAJ aurait été arrêté en 1974 « sous le prétexte qu’il était un agent de la Yougoslavie ».

Les demandeurs concluent qu’ils seraient « devenus indésirables depuis les élections de l’année 1997 qui ont porté de nouveau au pouvoir les Socialistes » et qu’à l’heure actuelle, par leurs antécédents et ceux de leur famille, leur vie serait en danger en cas de retour en Albanie.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a 3 pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux DACAJ-… lors de leurs auditions respectives en date des 11 et 12 août 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les trois comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit de raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, même abstraction faite de certaines différences ou contradictions dans les allégations des époux DACAJ-…, à savoir notamment les versions différentes de leurs récits au sujet de la tentative d’enlèvement de leur fils et la contradiction entre la déclaration initiale de Monsieur DACAJ de ce qu’il n’aurait pas été membre d’un parti politique, alors que, par la suite, il allègue, pièce à l’appui, qu’il aurait été membre du parti démocratique, le tribunal constate que les déclarations et récits des demandeurs restent vagues et qu’ils n’ont pas apporté suffisamment de précisions quant aux persécutions qu’ils risqueraient personnellement de subir du fait de leurs opinions politiques.

En outre, en ce qui concerne les motifs fondés sur les activités de membres de leur famille, ils n’établissent pas à suffisance de droit en quoi leur situation particulière ait été telle qu’ils pouvaient avec raison craindre qu’ils feraient l’objet de persécutions au sens de la Convention de Genève dans leur pays de provenance. En substance, les craintes invoquées s’analysent en l’expression d’un sentiment général d’insécurité dans leur pays d’origine.

Par ailleurs, en ce qui concerne le moyen soulevé par les demandeurs et tiré d’une prétendue violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, il échet de constater qu’il n’appartient pas au tribunal administratif d’analyser une éventuelle atteinte portée par le ministre de la Justice au droit des demandeurs au respect de leur vie privée et familiale, telle que protégée par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, dans le cadre d’un litige portant sur le refus de reconnaître un demandeur d’asile comme réfugié politique au sens de la Convention de Genève. En effet, même à admettre que les demandeurs tombent dans le champ d’application de la disposition de droit international 4 précitée, pareille circonstance ne saurait les autoriser à se voir reconnaître le statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève (comp. trib. adm. 25 mai 2000, n° 11717 du rôle, non encore publié). Ce moyen doit partant être rejeté comme étant étranger à la matière faisant l’objet de la décision ministérielle incriminée.

Le recours en réformation est donc à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

se déclare compétent pour connaître du recours en réformation;

le déclare également recevable en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

déclare le recours en annulation irrecevable;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 11 octobre 2000, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12014
Date de la décision : 11/10/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-10-11;12014 ?

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