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11/10/2000 | LUXEMBOURG | N°12011

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 11 octobre 2000, 12011


N° 12011 du rôle Inscrit le 18 mai 2000 Audience publique du 11 octobre 2000

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Recours formé par Madame … MURATOVIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro 12011 du rôle, déposée le 18 mai 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Nicolas DECKER, avocat à la Cour, assisté de Maître Peggy FRANTZEN, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats

Luxembourg, au nom de Madame … MURATOVIC, née le … à …, de nationalité bosniaque, demeurant ...

N° 12011 du rôle Inscrit le 18 mai 2000 Audience publique du 11 octobre 2000

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Recours formé par Madame … MURATOVIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro 12011 du rôle, déposée le 18 mai 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Nicolas DECKER, avocat à la Cour, assisté de Maître Peggy FRANTZEN, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … MURATOVIC, née le … à …, de nationalité bosniaque, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 27 mars 2000, notifiée le 18 avril 2000, par laquelle sa demande en octroi du statut de réfugié politique fut rejetée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 mai 2000 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif par Maître Nicolas DECKER, assisté de Maître Peggy FRANTZEN, le 28 juin 2000 au nom de Madame MURATOVIC ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Peggy FRANTZEN et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 3 octobre 2000.

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Le 7 mai 1998, Madame … MURATOVIC, née le … à …, de nationalité bosniaque, demeurant actuellement à L-…, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-

après dénommé “ la Convention de Genève ”.

En dates des 15 juin et 14 juillet 1998, Madame MURATOVIC fut entendue par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande, ainsi que sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur son identité.

Sur avis défavorable de la commission consultative pour les réfugiés du 23 février 2000, le ministre de la Justice informa Madame MURATOVIC par lettre datant du 27 mars 2000, notifiée en date du 18 avril 2000, que sa demande avait été rejetée au motifs suivant :

“ (…) Me ralliant à l’avis émis le 23 février 2000 par la Commission consultative pour les réfugiés à laquelle j’avais soumis votre demande et dont je joins une copie en annexe à la présente, je regrette de devoir vous informer que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande.

En effet, il ressort de votre dossier que vous n’invoquez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 12 de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ”.

Par requête déposée en date du 18 mai 2000, Madame MURATOVIC fit introduire un recours contentieux tendant à la réformation de la décision ministérielle précitée du 27 mars 2000.

L’article 13 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, dans sa teneur applicable au moment de la prise de la décision déférée, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asiles déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation. Le recours est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Au fond, la demanderesse estime que la motivation à la base de la décision litigieuse serait inexacte et se trouverait contredite par ses propres affirmations. Elle fait exposer à cet égard avoir vécu deux années de guerre ensemble avec son mari lors desquelles elle aurait, en raison de son origine bosniaque et de sa confession musulmane, connu des discriminations, la résidence surveillée, l’expulsion de son domicile par une unité paramilitaire qui les aurait attaqués et dépouillés, ainsi que des évacuations et fuites, de manière à avoir eu à endurer une pression psychique certaine, engendrée notamment par la connaissance du fait qu’à proximité de son domicile des bosniaques musulmans se faisaient torturer et exécuter. Elle fait signaler en outre s’être trouvée à Srebrenica au moment où cette ville était enclavée et bombardée par les Serbes, ainsi que d’avoir pu quitter cette ville grâce à un convoi organisé par l’UNPROFOR, tout en relevant qu’elle aurait dû y abandonner son mari qui aurait trouvé plus tard la mort ensemble avec plusieurs autres membres de sa famille lors d’un massacre ayant eu lieu sur une base de l’ONU. Elle aurait dès lors préféré quitter le territoire de l’ex-Yougoslavie et serait toujours hantée par la crainte d’être persécutée et tuée du fait de sa race et de sa religion, cette crainte se trouvant à ses yeux toujours justifiée du fait que sa région d’origine se situe actuellement dans la République serbe de Bosnie-Herzégovine. Elle fait valoir plus particulièrement que la situation dans cette région serait toujours très précaire et ce malgré la présence massive de la SFOR.

Le délégué du Gouvernement, tout en relevant qu’il n’entend pas nier l’authenticité du récit de la demanderesse, fait valoir que la situation de celle-ci devrait s’apprécier en fonction de la situation régnant actuellement dans son pays d’origine et estime à cet égard qu’il ne 2 résulterait d’aucun élément du dossier qu’elle risquerait des persécutions au sens de la Convention de Genève en cas de retour en Bosnie-Herzégovine. Relativement au fait que la région d’origine de la demanderesse se situe dans l’actuelle République serbe, le représentant étatique conclut que cette considération serait sans pertinence à l'égard de l’analyse du dossier et relève que la demanderesse ne démontrerait pas qu’elle serait dans l’impossibilité de s’établir dans une autre partie de la Bosnie-Herzégovine et de bénéficier ainsi d’une possibilité de fuite interne. En dernier lieu il rétorque que les motifs de la demanderesse constitueraient principalement une référence à la situation générale de son pays d’origine, non susceptible de justifier à elle seule la reconnaissance du statut de réfugié.

Dans son mémoire en réplique la partie demanderesse insiste que dans sa région d’origine, à savoir la vallée de la Drina, de violents conflits et attaques, de même que de multiples obstacles administratifs rendraient pratiquement impossible le retour des réfugiés originaires de cette vallée, tout en relevant que les réfugiés désireux de rentrer dans cette région n’y seraient protégés d’aucune manière par les autorités publiques. Concernant l’alternative de s’établir dans une autre partie de la Bosnie-Herzégovine, évoquée par le délégué du Gouvernement, la demanderesse relève que les anciens habitants de la vallée de la Drina seraient considérés dans la Fédération bosniaque comme des réfugiés et subiraient quotidiennement des discriminations extrêmement graves. Elle précise encore que les femmes n’y disposeraient d’aucune “ lobby efficace ” pour la défense de leurs droits et besoins les plus élémentaires et soutient qu’il serait quasiment impossible pour une veuve retournant seule dans son pays et se retrouvant sans entourage solide dans la Fédération de trouver un logement et encore moins d’assurer son existence. Aussi suite à l’expulsion des anciens habitants bosniaques de l’actuelle République serbe, la Fédération commencerait à être surpeuplée ce qui pousserait la population indigène à se révolter contre les nouveaux arrivants, situation qui se solderait par de violents incidents utilisés pour intimider ceux qui veulent ou ont été forcés de retourner dans ce pays. Elle relève encore que de nombreuses femmes se retrouveraient dans des centres collectifs surchargés où les conditions de vie deviendraient alarmantes par manque de moyens financiers suffisants. La demanderesse estime dès lors subir, en tant que bosniaque musulmane originaire de la vallée de la Drina, de très graves discriminations dans sa région d’origine et ailleurs et ce aussi bien de la part de la population serbe, du fait de sa religion et de son appartenance ethnique, que de la part de la population bosniaque du fait qu’elle a quitté sa patrie durant la guerre.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme “ réfugié ” s’applique à toute personne qui “ craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ”.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant 3 compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

En l'espèce, l’examen des déclarations faites par la demanderesse lors de ses auditions respectives en date des 15 juin et 14 juillet 1998, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments et précisions apportés au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir, à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à établir dans son chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il ressort des déclaration faites par la demanderesse que la crainte par elle invoquée se rapporte essentiellement, d’une part, aux événements de la guerre par elle vécue et qui ne sont pas, à l’heure actuelle et en tant que tels, susceptibles de constituer dans son chef une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève, ainsi que, d’autre part, à la situation d’insécurité générale et économiquement difficile régnant en Bosnie-Herzégovine et plus particulièrement dans sa région d’origine qu’est la vallée de la Drina. En effet, les arguments avancés par la demanderesse pour justifier une impossibilité dans son chef de s’installer ailleurs en Bosnie-Herzégovine en ce qu’elle éprouve “ peur à cause de la crise économique qui règne en Bosnie ”, et, en cas de retour, aurait des difficultés de se loger convenablement et de subvenir à ses besoins, ne sont pas constitutifs d’un motif de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 11 octobre 2000 par :

Mme Lenert, premier juge Mme Lamesch, juge M. Schroeder, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

4 Schmit Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12011
Date de la décision : 11/10/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-10-11;12011 ?

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